Ernestine ou Célestine? Sous la lucarne, une soubrette bretonne très ... trouble! On ne sort pas indemne de cette vivante peinture naturaliste - le décor est signé Noémie Breeus - car question hypocrisies de toutes natures, voilà une époque qui n’a rien à envier à la nôtre! Voilà une humanité avare, égoïste, hypocrite, aux allures nationalistes et antisémites. Mais on rit! Les coincés gloussent faiblement, les femmes réagissent sans tabous! Et tous ovationnent la comédienne! Les littéraires jubilent. Les historiens et les sociologues s’inquiètent. Et ils ont raison de le faire.
La langue fleurie de la plébéienne « sans instruction » s’est déliée et affirmée dans un journal intime « légèrement retravaillé » par Octave Mirbeau (selon ses dires), et édité en 1900 sous forme de feuilleton sulfureux. La jeune Célestine croque à belles dents les travers de la société bourgeoise à l’aube du 20ième siècle, la dépravation généralisée des mœurs familiales, religieuses, sociales et politiques. La guerre.
« La mercière m'a expliqué que, sous Napoléon III, tout le monde n'étant pas soldat comme aujourd'hui, les jeunes gens riches «tombés au sort» avaient le droit de «se racheter du service». Ils s'adressaient à une agence ou à un monsieur qui, moyennant une prime variant de mille à deux mille francs, selon les risques du moment, leur trouvait un pauvre diable, lequel consentait à les remplacer au régiment pendant sept années et, en cas de guerre, à mourir pour eux. Ainsi, on faisait, en France, la traite des blancs, comme en Afrique, la traite des noirs?... Il y avait des marchés d'hommes, comme des marchés de bestiaux pour une plus horrible boucherie? Cela ne m'étonne pas trop... Est-ce qu'il n'y en a plus aujourd'hui? Et que sont donc les bureaux de placement et les maisons publiques, sinon des foires d'esclaves, des étals de viande humaine? »
Cela fait beaucoup pour une seule femme qui, craignant de ne pas avoir le succès rêvé dans la galanterie de haute lice, a préféré se tourner vers le métier plus humble de femme de chambre. Mais elle ne mâche pas ses mots et ne manque ni de courage, ni de clairvoyance. Toutefois, Célestine s’avère être un personnage très ambigu, car dès l’entrée de jeu, elle affiche une perversité assumée qui ne fera qu’embellir.
« J’adore servir à table. C’est là qu’on surprend ses maîtres dans toute la saleté, dans toute la bassesse de leur nature intime. Prudents, d’abord, et se surveillant l’un l’autre, ils en arrivent, peu à peu, à se révéler, à s’étaler tels qu’ils sont, sans fard et sans voiles oubliant qu’il y a autour d’eux quelqu’un qui rôde et qui écoute et qui note leurs tares, leurs bosses morales, les plaies secrètes de leur existence, tout ce que peut contenir d’infamies et de rêves ignobles le cerveau respectable des honnêtes gens. Ramasser ces aveux, les classer, les étiqueter dans notre mémoire, en attendant de s’en faire une arme terrible, au jour des comptes à rendre, c’est une des grandes et fortes joies du métier, et c’est la revanche la plus précieuse de nos humiliations... »
Malgré sa condition de domestique-travailleuse sexuelle à domicile, elle écrit un journal intime on ne peut plus cartographié, acerbe et lucide, et foisonnant d’érotisme qualifié à l’époque de nauséabond. C’est donc un rôle très complexe que Stéphanie Moriau prend à bras le corps et à fleur de peau, aussi facilement, semble-t-il que si elle allait innocemment pendre une lessive fraîche au jardin !
L’espace miteux et glauque de la soupente où Célestine se réfugie est son espace de liberté, où grâce à la plume, elle s’humanise mais révèle, presque malgré elle, le développement sournois d’un esprit immoral et manipulateur. Pour tromper son ennui, dans la solitude glacée de sa retraite sous les toits, Célestine se fait un véritable théâtre : jouant les provocations, les cajoleries, la férocité, l’humour, la moquerie, le dédain, la duplicité avec, au bout de tous les contes, l’engrenage fatidique de l’humiliation-haine-vengeance. Le rythme verbal adopté puise activement dans des parlers divers, ce qui a le don de divertir, question d’alléger quelque peu l’intense tension naturaliste. Cette vivacité verbale contraste elle, de façon presque comique, avec la gestuelle et les déplacements très étudiés qui jouent sur une sorte d’inventivité tranquille, à la manière d’un strip-tease particulier longuement prémédité. La dynamique est puissante et implacable. Comme Célestine astique, range innocemment, déplace de menus objets, se met au lit épuisée, s’habille et se déshabille mille fois pour le service ! Quel art consommé de poser sa coiffe de domestique de mille façons et d’endosser les bretelles de son tablier immaculé par-dessus une robe sévère dont le boutonnage rappelle ceux des noirs habits ecclésiastiques.
Le personnage, une vraie réjouissance littéraire, est incarné par une comédienne en armes, une vraie vedette en la matière. Stéphanie Moriau, joutant avec elle-même, est passée maître dans le pouvoir narrateur, l’enchaînement des flashbacks les changements de ton abrupts. La comédienne possède l’art de ballotter le spectateur entre le chaud et le froid. Faisant miroiter sans aucun répit les tonalités sombres ou rebelles de Célestine, elle lui sert le poison des souvenirs amers, douloureux, parfois même totalement effroyables, à la façon d’une cynique prestidigitatrice. La complicité entre Stéphanie Moriau et la metteuse en scène Danielle Fire est évidente.
Malgré l’huis-clos, on en a plein les yeux. L’imaginaire prend alors ses quartiers dans cette petite ville de Normandie où Célestine a échoué -pourquoi- ? Par ses yeux on contemple la richesse véreuse d’une demeure que l’on appelle château, on s’attarde chez l’épicière ou la mercière, on parlotte avec les voisins, on surprend les secrets sordides des alcôves, des monastères et des églises. On court à Ostende (la honte !) et on se retrouve à Cherbourg, en fin de parcours, là où Célestine a achevé sa métamorphose et s’avère pire que toutes ses dénonciations! La chaleur suffocante de la dernière scène fait froid dans le dos et rappelle étrangement les conclusions désabusées de l’auteur Georges Orwell dans son «Animal Farm».
du Mercredi 24 Février au Dimanche 13 Mars 2016
LE JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE
Octave MIRBEAU
Figure tragique du début du XXème siècle, Célestine, quitte Paris pour la province et entre au service de riches bourgeois. À travers son journal, elle brosse avec humour l’étrange galerie de portraits et d’événements qui colorent son quotidien.
Son attirance pour l’énigmatique jardinier cultive l’intrigue jusqu’à la fin…
Avec : Stéphanie MORIAU
Mise en scène : Danielle FIRE
Décors : Noémie BREEUS
Création lumière & Régie : Sébastien COUCHARD
Représentations du Mardi au Samedi 20h15, Dimanche à 16h
Durée du spectacle : 1h25 sans entracte
LE 8 MARS : JOURNÉE INTERNATIONALE DES FEMMES
Débat après la représentation
Avec : Danielle FIRE (Metteur en scène), Stéphanie MORIAU (comédienne)
&
Thilde BARBONI (Psychologue clinicienne, Professeur à L’Université de Mons et Écrivain)
ANIMATIONS SCOLAIRES conçues autour de l’œuvre de Mirbeau et proposées en classe avant ou après la représentation. Réalisées par la comédienne, elles sont vivement conseillées pour favoriser l’intérêt, l’écoute et la compréhension des élèves durant le spectacle. Et, un dossier pédagogique, spécialement conçu, est envoyé dès la réservation de l’animation. Il est possible d’organiser les animations au théâtre, complétée d’une visite guidée.
Ces animations sont gratuites pour les écoles de la Région de Bruxelles-Capitale, sinon 8€ par élève à partir de 10 élèves. Vestiaire obligatoire compris.
La place est offerte au professeur accompagnant le groupe.
Cette année, les animations s’inscrivent dans le cadre de la Journée internationale des Femmes, la richesse du texte de Mirbeau offre très nombreuses ressources pour les outils pédagogiques.
Instaurée pour souligner les progrès en terme d’égalité, la journée met aussi en relief les nombreux défis pour une véritable parité des sexes à l’échelle mondiale.
Le 8 mars 1917, les femmes russes ont réclamé du pain et le retour de leurs maris, dont deux millions étaient morts durant la Guerre 14-18. En 1921, Lénine décréta le 8 mars Journée des femmes, les Nations Unies l’officialisèrent en 1977. La 1ère journée Internationale des femmes eut lieu en 1975.