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humanisme (85)

La tentation de l' Occident

En 1923, le jeune Malraux part pour l'Extrême-Orient en mission archéologique.

En 1926 il en ramène un petit essai intitulé La tentation de l’occident, sous la forme traditionnelle d'une correspondance.

Déjà, au seuil de son oeuvre, il en donne la clé. Ce n'est pas encore son style. Ses lecteurs habituels, ceux qui sont faits à ses halètements, ses saccades, ses amoncellements pyramidaux d'images, à son grandiose crispé, auront quelque surprise à trouver sous la plume d'un Malraux de vingt-six ans tant de retenue, de classicisme et de grâce.

A. D., l' occidental, voyage en Extême-orient, tandis que Ling, l'Extrême-Oriental, visite l'Europe. Les lettres qu'ils s'adressent sont datées de Shangaï ou de Canton, de Rome ou de Paris. Ni l'un ni l'autre ne sont des symboles, ils sont tous deux Malraux, l'écrivain-protée; ou plutôt toutes ses tentations: sa curiosité quasi envieuse et admirative de l'Autre, le besoin dont il fait la pierre de touche de son érotisme, de ressentir aussi ce que l'autre éprouve. Etre soi et la personne d'en face, se dédoubler, d'où nécessité du miroir. L'auteur-Janus souffre, comme Ling, de la sécheresse si cérébrale de l' Occidental, ce monde semblable à une île nue sur lequel règne, seul, l'homme individuel, avec l'obligation de se créer lui-même comme s'il était Dieu. Il est tenté, comme A. D., par le confort voluptueux de la pensée orientale, par cet univers qui n'a pas rompu complètement avec l'Age d'Or, où les humains sont encore liés organiquement aux autres vivants, aux grands éléments qui composent le décor cosmique, où l'on recherche la perfection et la sagesse comme un bonheur en soi, clos, et le seul but pour parvenir au but suprême: le détachement. La tentation est grande; mais l' Occidental, comme l' Oriental, est enfermé dans sa peau. Echappe-t-on à une patrie? Europe, tu nous tiens. Nous n'avons pas droit à la sérénité. Peuple aux poings serrés, il n'est d'autre chemin, pour nous accomplir, que l'aventure particulière qui nous conduit à la grandeur. C'est pourquoi A. D. sera et Vannec et Perken et Kyo et Garine et Kassner et Manuel et Vincent Berger et André Malraux.

Son premier livre était une préface exemplaire à son œuvre à suivre.

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Le Thésée de Gide, Testament humaniste

Dans son « Thésée » (1946) , Gide entreprend le récit de la vie du héros. Après avoir rapidement relaté diverses prouesses et aventures galantes - notamment ses amours avec Antiope qui lui donna un fils, Hippolyte -, il raconte son départ pour la Crète afin d'affronter le Minotaure. Ariane, fille du roi Minos, tombe amoureuse du héros. Grâce à elle, celui-ci obtient une entrevue avec Dédale, qui lui révèle les secrets du labyrinthe et lui conseille de rester relié à Ariane par un fil lorsqu'il y pénétrera. Thésée tue le Minotaure puis regagne la Grèce avec ses compagnons. Il abandonne Ariane dans une île car il lui préfère Phèdre, sa jeune soeur, qu'il a enlevée lors de son départ de Crète, puis épousée. Le roi Égée étant mort, son fils Thésée se consacre à l'organisation de la cité athénienne. Phèdre lutte en vain contre son amour pour Hippolyte; ce fatal sentiment conduit à la mort la femme et le fils de Thésée. Ce dernier est seul désormais. Son destin est accompli et il peut contempler son oeuvre: «Derrière moi, je laisse la cité d'Athènes. Plus encore que ma femme et mon fils, je l'ai chérie. J'ai fait ma ville. Après moi, saura l'habiter immortellement ma pensée.»

La Mythologie grecque constitue pour Gide un terrain privilégié d'inspiration et de méditation. Son oeuvre s'est amplement abreuvée à cette source, comme l'attestent les titres de plusieurs ouvrages tels que le Traité du Narcisse (1891), le Prométhée mal enchaîné (1899) ou Oedipe (1931). Avec Thésée, Gide rédige, dans sa période de vieillesse et à l'heure des bilans, une sorte d'autobiographie symbolique. Dès le début de son récit, le héros affirme: «Il s'agit d'abord de bien comprendre qui l'on est»; «raconter [sa] vie», tant pour Thésée que pour Gide, participe sans doute de cette quête d'une identité intelligible.

La figure mythique conserve ses caractéristiques et son histoire traditionnelles, mais elle est également une sorte de modèle de l'écrivain. Ainsi, l'évocation de la jeunesse de Thésée rappelle les accents des Nourritures terrestres. On retrouve la même ferveur dans la saisie du monde, la même sensualité exacerbée, la même inspiration dionysiaque: «Je ne m'arrêtais pas à moi-même, et tout contact avec un monde extérieur ne m'enseignait point tant mes limites qu'il n'éveillait en moi de volupté [...]. Vers tout ce que Pan, Zeus ou Thétis me présentaient de charmant, je bandais.»

Avatar de Nathanaël, le jeune Thésée reçoit d'Égée ce conseil: «Il y a de grandes choses à faire.

Obtiens-toi.» Au terme du parcours, toutefois, la vision du monde et la manière d'y prendre place se trouvent modifiées: l'édification et l'enracinement ont supplanté le refus de tout attachement. Le volage et aventurier Thésée s'est arrêté pour construire Athènes.

Oeuvre profondément humaniste, Thésée est le récit de l'acquisition d'une sagesse. C'est aussi une sorte de testament adressé par l'écrivain aux générations futures (Thésée destinait d'ailleurs son récit à son fils Hippolyte): «C'est consentant que j'approche la mort solitaire. J'ai goûté des biens de la terre. Il m'est doux de penser qu'après moi, grâce à moi, les hommes se reconnaîtront plus heureux, meilleurs et plus libres. Pour le bien de l'humanité future, j'ai fait mon oeuvre. J'ai vécu.»

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« L'amour de la poésie » (1929) , d’Eluard : ce "livre sans fin" est dédié "à Gala", la compagne du poète.

Nous retrouvons dans les premiers poèmes du recueil l'inspiration amoureuse qui avait embrasé la fin de "Capitale de la douleur".

Maintenant, l' amour a exorcisé l'univers contre les puissances malfaisantes et rendu "la confiance dans la durée". Dès lors vivre est possible, tout est possible: "Mes rêves sont au monde/Clairs et perpétuels/Et quand tu n'es pas là/Je rêve que je dors je rêve que je rêve."

Apparaissent alors quelques-uns des plus beaux poèmes d' amour de la poésie française, tel "Je te l'ai dit: "Je te l'ai dit pour les nuages/Je te l'ai dit pour l'arbre de la mer/ (...) Je te l'ai dit pour tes pensées et tes paroles/Toute caresse toute confiance se survivent."

Cependant, cette vision d'un monde transparent et amical, suscité par l' amour, ne saurait, de même que l' amour, être immuable, assurés, possédée définitivement. Aussi le recueil contient-il à côté des clairs poèmes du bonheur nombre d'autres poèmes où le désespoir a retrouvé son ancienne puissance.

Mais, au fond même de l'amertume, le poète reste constamment passionné, conscient de l'urgence qu'il y a à exprimer les révoltes encore muettes: "Entendez-moi/Je parle pour les hommes qui se taisent/Les meilleurs."

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« La trahison des clercs » (1927) de Julien Benda qui déchaîna à l'époque quelques violentes polémiques, aborde un problème essentiel de la culture contemporaine: les rapports de la vie politique avec la vie de l'esprit. Il convient d'abord de préciser la signification du mot "clerc" dans l'esprit de l'auteur. Sans faire de partage entre laïcs et religieux, Julien Benda prend le terme dans son sens le plus large: est clerc tout homme qui ne se fixe point pour but immédiat un résultat pratique, qui garde le culte de l' art et de la pensée pure, qui met son bonheur dans une jouissance d'abord spirituelle, "disant en quelque manière: Mon royaume n'est pas de ce monde. Et, de fait, depuis plus de deux mille ans, jusqu'à ces derniers temps, j'aperçois à travers l'histoire une suite ininterrompue de philosophes, de religieux, de littéraires, d'artistes, de savants... dont le mouvement est une opposition formelle au réalisme des multitudes". Le clerc est une sorte de solitaire: lorsqu'il exerce son magistère, il se dégage des passions qui animent la foule, amour familial, racial, patriotique, passion de classe: il est le champion de l' éternel, de la vérité universelle et il ne doit accepter pour elle aucun compromis. Il est le Témoin de l' Esprit, et peu lui importe que son témoignage soit inactuel, ou inefficace. A travers l'histoire, s'avance la noble théorie des clercs dignes de ce nom: Platon, saint Thomas, Vinci, Malebranche, Spinoza et surtout Socrate, "parfait modèle du clerc". Le clerc, en effet, par sa seule présence, est un facteur de trouble dans l'Etat: sa mission est de protester contre tous les abaissements spirituels, même s'ils sont demandés au nom de la Patrie: "Tel nous apparaît le bon ordre des choses: le clerc, fidèle à son essence, flétrit le réalisme des Etats, sur quoi ceux-ci, non moins fidèles à la leur, lui font boire la cigüe..." Mais il n'en est plus ainsi. Les clercs modernes, mus soit par le désir de l'argent, soit par la volonté de puissance, soit par sensualisme romantique, ont cessé de mettre au sommet des hiérarchies spirituelles les valeurs désintéressées. Comme la foule, ils ne reconnaissent plus que les valeurs pratiques, ils sont devenus les agents du temporel. Sans doute, l'auteur n'ignore point qu'il y eut de tout temps des clercs infidèles à leur mission, serviles en face des puissances de ce monde. Mais ce n'est point la faute particulière qui l'irrite: c'est une tendance générale de l'intelligence contemporaine. La trahison des clercs est toute spirituelle: elle consiste bien moins à s'engager dans une action politique, qu'à prétendre qu'il est juste que l'intelligence soit toute ordonnée à des triomphes immédiats et terrestres. A l'appui de son argumentation, Benda a rassemblé un grand nombre de textes d'écrivains français modernes, au premier rang desquels il place Péguy, Maurras, Barrès, chez lesquels la passion patriotique détermine évidemment les jugements intellectuels. Mais, comme il l'avait déjà fait dans ses "Sentiments de Critas", c'est à l' Allemagne qu'il impute la plus lourde part de responsabilités: c'est elle, assure-t-il, qui a introduit en Europe la religion de l'âme nationale, de la race, le culte de la force, l'apologie de la guerre, les philosophies nationalistes de l'histoire. La trahison des clercs se rattache en effet à la crise de sensibilité que traverse l'Europe depuis plus de deux cents ans: c'est une maladie romantique, une conséquence des préférences données à la sensibilité sur la raison, au visible sur l'invisible, au charnel sur le spirituel.

Partie de constatations très justes, il pourrait sembler que la thèse de Julien Benda, poussée à l'extrême, aboutisse à une séparation radicale entre le domaine de la vie et celui de la pensée et à la négation de toute influence possible de celui-ci sur celui-là. C'est une tentation constante pour l'auteur. Cependant le clerc idéal, tel qu'il l'imagine, n'est nullement indifférent à la vie commune. Il aura le droit de s'y engager et précisément en tant que clerc: ainsi firent Voltaire pour Calas, Zola pour Dreyfus: ils ne trahissaient pas, "il étaient des officiants de la justice abstraite et ne souillaient d'aucune passion pour un objet terrestre". Aussi Benda envisage-t-il à la fin de son livre un engagement politique "à gauche", au nom de la justice sociale. Bien qu'écrit dans un style vigoureux, mais à dessein dégagé de passion, ce livre mettait en cause trop d' écrivains contemporains pour n'être pas pris pour un pamphlet. Il avait l'intérêt de poser très nettement le problème de toute l' intelligence du XIXe siècle et de l'inflence générale d'une doctrine philosophique comme le pragmatisme. Livre inactuel-et l'auteur ne semble guère se faire d'illusion- en ce que la protestation qu'il élevait était faite au nom du vieil intellectualisme grec et classique, il s'insérait néenmmoins dans le courant d'esprit très répandu après la première guerre mondiale qu'avaient illustré les théories du dégagement de Gide, de la "démobilisation de la littérature" de Jacques Rivière. On pourrait cependant reprocher à "La trahison des clercs" de ne point tenir assez compte de la transformation radicale de la société moderne depuis la Révolution, qui a provoqué une pression des exigences politiques et économiques sur la personnalité tout entière, qu'ignoraient les siècles précédents.

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Qui est "L'homme qui rit" de Hugo?

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C'est Gwynplaine, défiguré tout enfant par une association de nomades spécialisés dans le commerce des enfants. Ce petit avait subi, en bas âge, l'opération de la bouche fendue jusqu'aux oreilles, "bucca fissa usque ad aures", qui met sur la face un rire éternel... Gwynplaine est alors montré dans les foires... Saltimbanque, puis reconnu Lord d'Angleterre, il veut rappeler aux puissants leurs devoirs envers les pauvres, mais son appel émouvant à la Chambre des Lords, échoue dans un vaste éclat de rire...
Hugo estimait "n'avoir rien fait de mieux" que ce livre dans lequel Claudel a vu "le chef-d'oeuvre du grand poète". Henri Guillemin le trouve "ruisselant de merveilles". Hubert Juin écrivait en 1976: "Un livre-clé... l'un des ouvrages les plus insolites qui se puisse rencontrer dans la littérature moderne... Ouvrage redoutable et, tacitement rejeté."
Un chef-d'oeuvre méconnu

Le discours de Gwynplaine devant ses pairs :

"Ce que je viens faire ici?... Je suis le peuple. Je suis une exception? Non, je suis tout le monde. L'exception c'est vous... Je suis l'Homme. Je suis l'effrayant Homme qui rit. Qui rit de quoi? De vous. De lui. De tout. Qu'est-ce que son rire? Votre crime et son supplice. Ce crime, il vous le jette à la face; ce supplice, il vous le crache au visage. Je ris, cela veut dire: Je pleure... Ce rire qui est sur mon front, c'est un roi qui l'y a mis. Ce rire veut dire haine, silence contraint, rage, désespoir... Ah! vous me prenez pour une exception! Je suis un symbole. O tout-puissants imbéciles que vous êtes, ouvrez les yeux. J'incarne Tout. Je représente l'humanité telle que ses maîtres l'ont faite. L'homme est un mutilé. Ce qu'on m'a fait, on l'a fait au genre humain. On lui a déformé le droit, la justice, la vérité, la raison, l'intelligence, comme à moi les yeux, les narines et les oreilles; comme à moi, on lui a remis au coeur un cloaque de colère et de douleur et sur la face un masque de contentement. Où s'était posé le doigt de Dieu, s'est appuyée la griffe du roi. Monstrueuse superposition. Evêques, pairs et princes, le peuple, c'est le souffrant profond qui rit à la surface... Aujourd'hui vous l'opprimez, aujourd'hui vous me huez. Mais l'avenir, c'est le dégel sombre... Il viendra une heure où une convulsion brisera votre oppression, où un rugissement répliquera à vos huées.""Cette heure de Dieu est venue, et s'est appelée République, on l'a chassée, elle reviendra... La série des rois armés de l'épée est interrompue par Cromwell armé de la hache. Tremblez..."

Tandis que Gwynplaine arbore ce rire qui, selon Claudel, "accentue celui de Voltaire", il sonde, à la vue de l'auditoire en gaieté, la profondeur du gouffre social qui se creuse sous lui, l'importun, rejeté par les occupants de la "vieille cime du mont féodal", de ce "sommet prodigieux", aux cris de "Bravo, le museau de la Green-Box! Salut à Lord Clown! Histrio! A bas!"
Qui a gravi dans le sable une pente à pic toute friable au-dessus d'une profondeur vertigineuse, qui a senti sous ses mains... fuir et se dérober le point d'appui qui... s'enfonçant au lieu de gravir... et se perdant un peu plus à chaque mouvement pour se tirer du péril, a senti l'approche formidable de l'abîme, et a eu dans les os le froid sombre de la chute... celui-là a éprouvé ce qu'éprouvait Gwynplaine.
"Il sentait son ascension crouler sous lui, et son auditoire était un précipice." (Victor Hugo)
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