Zoom sur …Rossini
Nous voici à un Gala très bruissant de belles personnalités. Sa Majesté le Roi ALBERT II et la Reine PAOLA, figure emblématique du soutien qu’apporte la famille royale depuis des décennies, à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, sont dans la loge royale à Bozar, en ce vendredi 23 mars, veille de semaine sainte. Après une première partie très bien réglée d’un récital de brillants airs de musique profane de Mozart ( La Clémence de Titus, les Noces de Figaro, La flûte Enchantée…) où l’on a pu apprécier particulièrement le charme intense et la fraîcheur de Julia Szproch, soprano, la superbe musicalité de l’intense Katarina Van Droogenbroeck,mezzo-soprano et la très affirmée Cécile Lastchenko, soprano, ce sont les mélodies sacrées de Rossini qui vont emplir les voûtes de la Belle salle Henry… comme si on était dans une cathédrale! Mélodies Sacrées par leur beauté incandescente, et Sacrées par leur contenu. Rutilantes par leur qualité et en avant-première du Temps Pascal.
Voici que dès les premières mesures du Stabat Mater de Rossini, on donne la main en pensée, aux inquiétudes du Requiem de Mozart avec la couleur sombre de l’introduction, les solistes qui semblent se relever d’une flagellation, et traduisent la puissance de la douleur abasourdissante. Néanmoins, en filigrane du terrible « Dum pendebat filius » « Où son pauvre enfant était suspendu ». On perçoit déjà un désir joyeux de transfiguration, il est introduit par les violons.
Cependant, nous ne sommes pas au théâtre, nous sommes au cœur de la Passion. Bart Van Rijn, prince de la musique, projette l’énergie du jeune Orchestre d’Anvers tous azimuts. Les instruments sont d’époque. Il y a une fraîcheur, une lumière et une justesse de timbre incroyables. Les cuivres, brillent plus, les fils d’or des violons scintillent, les hautbois et les bassons donnent de la lumière, les trombones et les contrebasses sculptent le drame.
Un superbe moment de gloire et de jeunesse radieuse est interprété par le très solaire ténor Pierre-Emmanuel Roubet. Nous voici inondés de félicité comme à l'Opéra. Le Cujus animam est dans la foulée des airs du Barbier de Séville ou de Guillaume Tell. La générosité et la vitalité absolue de l’interprète sont soudain recueillies par des accords sombres et dramatiques de l’orchestre.
Qui est homo… Sophie Sproch et Cécile Lastchenko, l’une des chanteuses belges sélectionnées pour le Concours Reine Elisabeth 2018, vont livrer la tristesse et l’affliction de toutes les mères et les pères devant la perte d’un fils ou d’une fille. La dimension humaine est égale à la dimension sacrée. Dans le duo l’admirable mezzo-soprano Sophie Koch, maître de chant à la Chapelle – qui a interprété récemment le rôle de Mère Marie de l’Incarnation dans Dialogues de Carmélites à la Monnaie– se montre palpitante, dramatique, profonde et souple, empreinte d’immense modestie, laissant endosser à la frémissante soprano Cécile Lastchenko, non seulement les racines de la vie, mais son épanouissement. Ensemble elles vont ramener la vie dans la mort. Le chef d’orchestre dirige avec fermeté les pleurs discrets des concertistes. Le deux femmes soudées par la beauté de la musique, concluent par des accords a capella, puis l’orchestre livre à son tour l’ampleur de empathique son émotion.
Trois frémissements de timbales annoncent les tempi implacables du destin écrit dans le ciel, pour la superbe basse, Bertrand Duby, qui donnera le frisson… Pro peccatis suae gentis – Pour les péchés de sa nation « Vidit Jesum in tormentis » – Elle le voit, dans sa Passion « Et flagellis subditum »– Sous les cinglantes lanières…. Le cœur des mystiques bondit de compassion, et la tendresse musicale fuse en crescendo. Mais à travers l’ivresse de la douleur, l’œuvre fait fleurir la sérénité. Comme chez Fauré. Du Beau et du Sublime éthéré et diaphane à la fois, greffé sur la douleur humaine et son absolue dignité.
Eja, mater, fons amoris, le solo basse et chœur a cappella sont pathétiques, suaves, harmonieux, d’une mélancolie touchante, langoureux, allant jusqu’aux larmes, par la pureté de l’interprétation. On touche l’extase de l’amour.
Le moment absolu, Fac ut portem s’avère d’une architecture éblouissante « ut sibi complaceat », dans un jeu d’échos vivants et magnifiques. On est au cœur du message biblique. Seul l’Amour sauve. Puis suivront des adresses à la Vierge enflammées comme de l’encens, l’humanité implore sur tapis de pizzicati. Le souffle épique se mêle au religieux, les accents sont brûlants et finissent par se consumer sur des gestes apaisants : les caresses du chef d’orchestre. Et après chaque très beau moment, des bribes d’applaudissements incoercibles s’échappent de mains de spectateurs indociles, innocents lampions dans la nuit…
On arrive à la fin. L'Inflammatus, où le chœur accompagne la soprano solo déchaîne les flammes. Ils sont dans l’acceptation d’un sacrifice démesuré, la douleur devient ivresse au pied de la croix, lieu de renaissance. Quando corpus morietur… bouleverse au-delà de toute expression. Prière vibrante, vivante, immortelle. L’Octopus Choir développe à la perfection la pureté et la dimension céleste. L’Amen incarne une fête totale de l’esprit et des sens, avec des rafales successives d’illumination et une élévation vers l’immensité de l’infini…. L’Amour? L’urgence ou le devoir de vivre ?
Music Chapel
Gala Concert – 23.03.2018 – Bozar
Concert d’Anvers
Octopus Choir
Bart Van Reyn, conductor
Sophie Koch, mezzo-soprano
Cécile Lastchenko, soprano
Julia Szproch, soprano
Katarina Van Droogenbroeck, mezzo-soprano
Pierre-Emmanuel Roubet, tenor
Bertrand Duby, bass
Le programme offre une très émouvante traduction du texte latin, …dont on aurait d’ailleurs bien aimé avoir pu disposer ! C’est une retranscription romantique du poète flamand Guido Gezelle:
Naast het kruis, met weenende oogen, stond de Moeder, diep bewogen, daar, gegalgd, heur kind aanhing.
Dwers door ‘t midden van heur herte, vol van zuchten, leed en smerte, ‘t scherpe zweerd der droefheid ging.
Ach’ hoe droef, hoe vol van rouwe, was die zegenrijke vrouwe, moeder van dat eenig kind!
Ach! hoe treurde zij, hoe kreet zij, ach! wat boezem pijnen leed zij naast Hem, die zij zoo bemint!
Wie die ook niet weenen zoude, zoo hij ‘t bitter leed aanschouwde dat Maria’s ziel verscheurt’
Wie kan zonder medelijden, Christus Moeder zoo zien lijden, daar zij met haar Zoon hier treurt?
Om de schuld van onze zonden, ziet zij Jesus vol van wonden, heel doorgeeseld, overal!
Ziet zij ‘t dierbaar Kind in ‘t strijden, met de dood, verlaten lijden, eer, eilaas, het sterven zal
Moeder, liefde doet u kwijnen; geef mij deel in al die pijnen, dat ik met u mede ween.
Laat mijn herte nimmer staken, God mij aangenaam te maken, vlammende voor hem alleen.
Maagd der Maagden, mijn gebeden, hoort ze, zonder bitterheden; helpt mijn medelijdend hert
Door de wonden die Hem schonden, Moeder, en aan ‘t kruishout bonden, deele ik zijn pijn en smert
Mocht ik klagen al mijn dagen mocht ik met u smerten dragen, eer mijn sterfdag voorenviel
Mij bij ‘t kruis met u vereenen! met u sterven, met u weenen!is het wenschen mijner ziel
Maagd, der maagden roem en zegen! werk mij in dien wensch niet tegen; gun mij dat ik met u klaag.
Mochte ik eens in Christus’ wonden, zijn verborgen, zijn verslonden,’k ware in ruste: och, hoor mijn vraag!
Mocht ik Christus’ kruise dragen, hebben daarin mijn behagen, heel doordronken zijn, voortaan!
Dan zal Jezus mijns ontfermen, en Gij Maagd, zult mij beschermen, als ik zal voor ‘t oordeel staan.
Laat in Christus’ dood en lijden op dien dag mijn hert verblijden, herontwekken mijne jeugd.
En, als ‘t lichaam komt te sterven,laat mij dan voor eeuwig erven ‘s Hemels weergalooze vreugd. – Amen
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Stabat Mater dolorosa | 1 | Debout, la Mère douloureuse Au pied de la croix, en larmes Où son enfant était suspendu |
Cuius animam gementem | 2 | Et dans son âme gémissante Inconsolable, défaillante Un glaive aigu s'enfonçait. |
O quam tristis et afflicta | 3 | O comme elle était affligée, anéantie La mère bénie Du fils de Dieu |
Quae moerebat et dolebat, | 4 | Elle gémissait et soupirait Et tremblait lorsqu’elle voyait Les souffrances infligées à son enfant |
Quis est homo qui non fleret, | 5 | Quel homme ne pleurerait pas En voyant la mère de Dieu Endurer un tel supplice ? |
Quis non posset contristari, | 6 | Qui pourrait sans tristesse Contempler la pieuse Mère Souffrant avec son fils |
Pro peccatis suae gentis | 7 | Pour toutes les fautes humaines Elle vit Jésus livrés aux tourments Et meurtri par les fouets
|
Vidit suum dulcem natum | 8 | Elle vit son enfant si doux En train de mourir dans la désolation Et rendre son dernier souffle |
Eia Mater, fons amoris | 9 | O Mère, source d’amour Fais-moi ressentir la violence de tes douleurs, Fais que je pleure avec toi |
Fac, ut ardeat cor meum | 10 | Fais que mon cœur s’embrase D’amour pour le Christ mon Dieu Afin que je puisse lui plaire |
Sancta Mater, istud agas, | 11 | Exauce-moi, ô sainte Mère Pose les plaies du Crucifié Dans mon cœur, profondément |
Tui nati vulnerati, | 12 | De ton Fils, couvert de plaies Qui a tant souffert pour moi, Partage avec moi les tourments |
Fac me vere tecum flere, | 13 | Laisse-moi pleurer comme toi auprès du Crucifié Tant que je vivrai |
Iuxta crucem tecum stare, | 14 | Laisse-moi me tenir auprès de la Croix et m’associer pleinement à ton deuil |
Virgo virginum praeclara, | 15 | Ô Vierge des vierges, Ne sois pas amère avec moi Laisse-moi pleurer avec toi |
Fac, ut portem Christi mortem | 16 | Fais que je puisse porter la mort du Christ, partager ses souffrances Et vénérer ses blessures |
Fac me plagis vulnerari, | 17
| Et que ses propres plaies me blessent Et que la Croix me remplisse d’ivresse Par amour pour lui |
Inflammatus et accensus | 18 | Si je suis brûlé et consumé, Par toi Ô Vierge que je sois défendu Au jour du Jugement
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Fac me cruce custodiri | 19 | Fais que la Croix me protège Que la mort du Christ me prémunisse, Et me remplisse de Grâce |
Christe, cum sit hinc exire, | 19a | Christ, quand le temps sera venu de quitter ce monde, donne-moi de venir auprès de toi par la grâcede ta Mère et d’embrasser les palmes de la victoire |
Quando corpus morietur, Sempiterna saecula. | Et quand mourra mon corps Accorde à mon âme la gloire du paradis. Amen Pour les siècles des siècles. |
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