LE MARCHAND DE CAROUBE
Sur les marchés de notre enfance
Riait notre ami Bamboula
Un Bamboula de chocolat
Qui vendait des Caraboudjas.
Il avait de longs doigts agiles
Et des cils à n'en plus finir
Où brillait le regard fragile
D'une âme aux mains du souvenir.
Il avait fait la grande guerre
Entraîné par on ne sait qui
Vers un pays riche, prospère
Que l'on nommait "Le Paradis"
Dans le sang, la boue et les flammes
Il avait agrippé l'horreur
Et reconnu les sombres drames
De sa jeunesse dans les pleurs.
Il n'a jamais revu l'Afrique,
Son grand ciel bleu sous les palmiers,
Ni réentendu la musique
Du vent dans les frangipaniers.
Mais le vieux noir n'était pas triste :
Il rigolait, il plaisantait.
Même la pluie la plus sinistre
En étoile se dissolvait.
Il faisait rêver et sourire
La fillette aux vents de l'été
Qui se plaisait d'entendre rire
Avec autant de vérité.
La fillette a suivi l'étoile
Qui l'a menée dans un pays
Où, sans escale pour sa voile,
Elle a perdu le "Paradis".
Si les parfums de son enfance
Ont pris un air acidulé,
Elle n'a pas perdu sa chance
Et rêve encore aux jeux d'été.
Car elle a retrouvé le rire
En pensant au grand Bamboula
Qui la faisait rêver, sourire,
En vendant des Caraboudjas.
Tous deux ont vécu les chimères
Des Paradis entrecroisés
On dit bien ; "Les hommes sont frères."
Sont-ils, vraiment, apprivoisés ?
Sur les marchés de notre enfance
Riait notre ami Bamboula
Un Bamboula de chocolat
Qui vendait des Caraboudjas.
E.L. Quivron-Delmeira
Poème écrit dans les années 1980 et basé sur un fait réel.
A paru dans diverses revues, anthologies.