Une mère plus grande que nature
«Avec l'amour maternel, la vie vous fait, à l'aube, une promesse qu'elle ne tient jamais. Chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d'amour, mais vous êtes au courant. Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend, vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n'y a plus de puits, il n'y a que des mirages. Vous avez fait, dès la première lueur de l'aube, une étude très serrée de l'amour et vous avez sur vous de la documentation. Je ne dis pas qu'il faille empêcher les mères d'aimer leurs petits. Je dis simplement qu'il vaut mieux que les mères aient encore quelqu'un d'autre à aimer. Si ma mère avait eu un amant, je n'aurais pas passé ma vie à mourir de soif auprès de chaque fontaine. Malheureusement pour moi, je me connais en vrais diamants. »
Une interprétation d’envergure
Mangeur d’étoiles, bourré d’humour et de retenue, homme de qualité, grand maître du seul en scène sans une minute d’ennui ou l’ombre d’une gesticulation, καλὸς κἀγαθός, est-il un gentleman anglais, ce Michel Kacenelenbogen qui endosse l’espace d’ un soir, la personnalité complexe de Romain Gary, héros de guerre, consul de France, écrivain prolifique et énigmatique? Au pire moment, son interprétation bouleversante du lien mère-fils, laissera le visage simplement baigné de larmes. Les spectateurs émus, le visage saoulé de tendresse, redescendent les escaliers de la salle, la plupart en silence, le sourire aux lèvres, l’amour diamant fiché dans le cœur.
Le mystérieux Romain Gary dans « La promesse de l’aube » fait revivre son enfance échevelée en 400 pages d’amour absolu pour sa mère, Nina. Couvé par un regard émerveillé, il a été porté et enivré par un amour maternel inconditionnel. Pour lui, elle est le tout ! Et pourtant, indomptable, colérique, héroïque, intraitable, possessive, se mêlant de tout, elle en fait trop, en tout, et tout le temps. Il en est conscient à chaque étape. Son seul rêve est d'essayer de ne pas la décevoir, mais la barre est bien haut. De la Russie, à Paris, puis en Pologne et enfin à Nice, elle n’en finit pas d’accoucher du prince de ses pensées qu’elle ne cesse d’auréoler et d’aduler, quelles que soient ses déboires pécuniaires. Déterminée, porteuse de ses ambitions, envahissante au possible, omnisciente, omniprésente, filivore, sa génitrice adorée …et parfois haïe est le modèle absolu de la Femme pour Romain Gary. Elle est amour, compassion et tendresse. Elle est Christique, et juive. Seule en ligne dans l’éducation de son fils unique, elle surmonte tous les obstacles, lui offre la meilleure éducation, elle vante ses mérites imaginaires, lui rêve son avenir professionnel, encourage sa vie amoureuse, et projette sur lui son idéal masculin. Ce fils est sa victoire, et pas seulement une promesse.
«Ecoute-moi bien. La prochaine fois que ça t'arrive, qu'on insulte ta mère devant toi, la prochaine fois, je veux qu'on te ramène à la maison sur des brancards. Tu comprends ? » lui dit-elle, en lui administrant les premières gifles de sa vie. Il a dix ans et devient le chevalier protecteur de sa mère. A plusieurs reprises, il a pourtant senti la honte du ridicule et l’humiliation l’envahir devant les autres. La passion se mêle alors à la douleur.
« Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele D'Annunzio, Ambassadeur de France – tous ces voyous ne savent pas qui tu es!
Je crois que jamais un fils n'a haï sa mère autant que moi, à ce moment-là.
Mais, alors que j'essayais de lui expliquer dans un murmure rageur qu'elle me compromettait irrémédiablement aux yeux de l'Armée de l'Air, et que je faisais un nouvel effort pour la pousser derrière le taxi, son visage prit une expression désemparée, ses lèvres se mirent à trembler, et j'entendis une fois de plus la formule intolérable, devenue depuis longtemps classique dans nos rapports : - Alors, tu as honte de ta vieille mère ? »
Une chose est certaine, c’est elle qui lui a transmis sa force et sa fierté démesurée. Sa dernière lettre en témoigne : « Sois dur, sois fort et continue… » Souligné trois fois. Quel viatique!
Une mise en scène sans aucune fioriture
Elle est signée Itsik Elbaz, lui qui a joué Momo aux côtés de Janine Godinas dans « La Vie devant soi ». Une mise en scène au naturel, comme s'il n'y avait pas de scène, juste de la confidence pleine de pudeur, adossée à la tôle ondulée d’un hangar sur lequel courent des lucarnes de promesses et des images fugaces de temps et de lieux. Et, au détour de passages particulièrement émouvants, naît parfois la lumière intérieure de merveilleuses musiques diaphanes, belles comme des berceuses… russes dans l’âme peut-être.
LA PROMESSE DE L'AUBE
De Romain Gary
Mise en scène Itsik Elbaz. Avec Michel Kacenelenbogen
DU 16/05/17 AU 24/06/17
http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=468
Mise en scène et adaptation: Itzik Elbaz
Assistanat à la mise en scène : Anne Sylvain
Scénographie et costume : Renata Gorka
Lumières : Laurent Kaye
Video : Sébastien Fernandez
Musique : Pascal Charpentier
LIENS/
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Promesse_de_l%27aube
http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/La-promesse-de-l-aube
http://www.ina.fr/video/I14104478
Commentaires
Et toujours : "la promesse de l'Aube" Du 24 au 26 octobre 2019
http://www.demandezleprogramme.be/La-promesse-de-l-aube-24413
Samedi 26 octobre 2019, par Palmina Di Meo
Quand Kacen incarne Gary
« Depuis qu’elle est partie, aux premières pâleurs d’octobre, je me suis fait la même promesse. Sans originalité, sans fierté, sans talent. Presque par imitation. Celle de déposer le monde aux pieds de ma mère, heureux, juste, digne d’elle ».
Romain Gary, de son véritable nom Roman Kacew, écrivain réputé « insaisissable », aux identités multiples, raconte dans « La promesse de l’aube » sa relation fantasque et fusionnelle avec sa mère. Supposée actrice russe, Nina, est une femme déterminée au tempérament de feu, habitée d’un amour sans modération mêlé de désirs de gloire et de revanche pour ce fils unique qu’elle place sur un piédestal et qu’elle élève seule dans un contexte d’antisémitisme et de fins de mois difficiles.
Sous son impulsion délirante, le jeune Romain doit rapidement vaincre ses appréhensions et acquérir l’audace requise pour se lancer dans les aventures les plus improbables et farfelues.
Répondant aux ambitions de sa mère, il sera militaire, aviateur et résistant pour défendre la France si chérie de sa mère, et deviendra même consul de France, pays d’adoption où il débarque à l’âge de 11 ans. Il aimait dire : « Ma nationalité, c’est Français libre ».
Romancier, il remporte deux Goncourt.
Avec la complicité d’Itsik Elbaz, lui-même comédien et metteur en scène, Michel Kacenelenbogen, se glisse avec retenue et un savant mélange d’abnégation et de tendresse dans une fresque toute en finesse et jeux de piste de l’enfance et des principaux défis de Romain Gary.
« La promesse de l’aube », paru en 1960, est le récit d’une épopée, celle d’un fils qui doit honorer l’amour hors norme de sa mère, cadeau fortuit de la vie, en se montrant digne des prophéties de celle qui n’avait aucun doute sur le génie de son rejeton.
Michel Kacenelebogen réussit ce portrait délicat entre sensibilité maîtrisée, résignation et gratitude où l’homme accompli pose un regard attendri et distancié sur le périple d’une enfance ponctuée d’exploits avortés et de défis à relever vers un accomplissement de soi salutaire.
Avant de mourir, Gary confiait : « Quand je prends un pseudonyme, c’est pour jeter ce masque qui m’a été imposé par la notoriété et tout ce qui l’accompagne, et pour retrouver une sorte de virginité originelle. »
C’est cette virginité qui imprègne le récit romancé de « La promesse de l’aube ».
Si vous n’avez pas vu le spectacle, largement encensé par la critique, empressez-vous d’y aller ! Le jeu est sobre, dépourvu de lyrisme, d’une efficacité sans faille, drôle et bouleversant. À voir sans tarder !
Palmina Di Meo
Mise en scène Itsik Elbaz. Avec Michel Kacenelenbogen
DU 16/05/17 AU 24/06/17
UNE COPRODUCTION DU THÉÂTRE LE PUBLIC DU THÉÂTRE DU CHÊNE NOIR ET DE KI M'AIME ME SUIVE. AVEC LE SOUTIEN DU TAX SHELTER DU GOUVERNEMENT FEDERAL BELGE VIA BELGA FILMS FUND. Photo affiche © D.R. Photos spectacle © Gaël Maleux.
D'après La Promesse de l’aube de Romain Gary, © Editions Gallimard.
Assistanat à la mise en scène Anne Sylvain
Scénographie et costumes Renata Gorka
Lumière Laurent Kaye
Musique Pascal Charpentier
Vidéo Sébastien Fernandez
Régie Matthias Polart
Stagiaire régie Martin Celis
MIS EN LIGNE LE 30/05/2017 À 10:16
PAR CATHERINE MAKEREEL
C’est avec une grande simplicité que Michel Kacenelenbogen endosse cette poignante histoire filiale.
Jusqu’au 24 juin au Théâtre Le Public (Saint-Josse-ten-Noode).
Il a beau avoir été aviateur, compagnon de la Libération, diplomate, écrivain deux fois récompensé du Goncourt, amant sulfureux de l’actrice Jean Seberg, c’est dans son costume de fils que Romain Gary est le plus fringant des héros. Lui, le résistant décoré par le Général de Gaulle, c’est dans la reconnaissance infinie avouée à sa mère dans La promesse de l’aube qu’il signe ses plus beaux faits d’armes. Cette mère fantasque, indomptable, têtue, dévouée, il la porte sur son cœur plus fièrement que tous les insignes militaires.
Itsik Elbaz adapte et met en scène ce mémorable portrait siamois, mère et fils fusionnels, dans un récit forcément raboté – 400 pages ramassées en une heure et quart – mais non délesté de l’humour ravageur de l’auteur. Son style buissonnier est bien là, intact, pour nous faire voyager de l’enfance dorlotée à Vilnius jusqu’à l’adolescence ensoleillée à Nice, des privations rendues indolores par une mère pleine de ressources aux humiliations causées par cette même mère, étouffante à force de hisser son fils sur un impossible piédestal. Persuadée que son fils deviendra, à tout le moins, Ambassadeur de France, elle empoigne tous les métiers pour subvenir aux besoins du petit prodige. Comédienne, créatrice de chapeaux, marchande de bijoux de famille, gérante d’hôtel, elle ne vit que pour accomplir la destinée exceptionnelle de son fils.
Pas simple d’incarner, seul sur scène, cette vie romanesque, une mère folle d’amour et tyrannique, un fils tantôt écrasé, tantôt transporté par cette idolâtrie démesurée. C’est avec une grande simplicité que Michel Kacenelenbogen endosse cette poignante histoire filiale. Sans crier gare, le voici qui s’avance au bord de la scène pour entamer son histoire, sans effet particulier, simplement porté par une foi tranquille dans la force du récit. La suite lui donne raison. On oublie vite la différence d’allure avec Romain Gary pour ne retenir que la tendresse avec laquelle il convoque les souvenirs, banals ou exotiques, joyeux ou mélancoliques.
Dans un décor dont on ne peut révéler les ressorts au risque de vous gâcher la surprise finale, le comédien se fond dans l’élégance des mots pour dessiner, par petites touches, les ruses d’un homme qui se dit inapte au désespoir mais a fort à faire pour combler les attentes excessives d’une mère qui a tout donné pour lui. Qu’il s’agisse d’une initiation au tennis ou d’un concours pour devenir officier de l’air, les moments les plus anodins se transforment en odyssées romanesques.
Ainsi, se sachant mourante, la mère de Romain Gary lui écrit des centaines de lettres enjouées et encourageantes, qu’on lui expédiera au compte-goutte, pour qu’au front, le fils en guerre ne se doute de rien et continue de sauver le monde. Ultime pirouette pour ne pas trahir la promesse – et surtout cette fichue obstination – qu’est l’amour maternel.
Jusqu’au 24 juin au Théâtre Le Public (Saint-Josse-ten-Noode).
Le comédien incarne Romain Gary avec humilité et reste très à l’écoute du texte. Critique.
Dans “La Promesse de l’aube”, récit autobiographique, Romain Gary (Vilna, 1914 – Paris, 1980) livre sans doute l’une des phrases les plus émouvantes de la littérature française, une phrase qui résonnera longtemps après avoir été lue et qui aura, maintes fois, été notée dans l’un ou l’autre carnet. Elle requiert donc toute l’humilité de l’artiste pour toucher le spectateur avec autant de justesse que la musique intérieure de l’auteur. Aussi Michel Kacenelenbogen l’aura-t-il probablement cent fois répétée sous le regard avisé d’Itsik Elbaz – par ailleurs acteur, ici metteur en scène – avant de la livrer “mezza vocce” comme espéré au public suspendu à ses lèvres : “Avec l’amour maternel, la vie vous fait dès l’aube une promesse qu’elle ne tient pas. Chaque fois qu’une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances."
"On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné.”
La mère… Principal sujet de ce texte foisonnant, humoristique, truculent parfois, tendre et mélancolique. Un texte d’une telle intemporalité qu’il ne perd ni de sa saveur ni de son universalité tant les rapports mère-fils demeurent une inépuisable source d’inspiration. Celle de Romain Gary valait assurément un roman. Plus qu’une mère, elle joue un personnage qu’elle ne cesse de cultiver, celui d’une femme intègre, exubérante, étouffante, écrasante et redoutablement attachante, surtout lorsque, enfant, il la surprend à lécher la poêle dans la cuisine, elle qui se disait végétarienne pour ne pas priver son fils de viande. Et que dire de la pirouette finale, de cette sortie d’une incommensurable élégance ? Ayant placé tous ses espoirs, et plus encore, dans ce fils juif polonais dont elle vivra la vie par procuration, elle le voit, dès l’enfance, devenir français, artiste, diplomate, officier ou séducteur. Et cela avec une telle conviction que Romain Gary n’aura d’autre choix que de répondre à ses attentes, voire à les surpasser. Au point d’en payer le prix fort. L’écrivain se suicidera à l’âge de 66 ans.
Au service du texte
Cette dangereuse histoire d’amour filial, Michel Kacenelenbogen vient la conter avec l’humilité voulue, à l’écoute et au service du texte comme s’il était au coin du feu, dans un bistrot ou sur scène avec pour décor une paroi de tôle peinte, pour mieux séparer le passé du présent, l’enfance de la France ou de la guerre, trois temps forts projetés en vidéo. Note d’originalité dans la mise en scène intelligemment sobre d’Itsik Elbaz.
Élégant, presque guindé dans son costume trois pièces, le comédien, très en retenue, incarne l’auteur et sa grandeur, raconte sa mère comme si elle était à ses côtés, avec le respect qu’elle lui a toujours inspiré malgré cette antienne qui aura rythmé son enfance : “Comment ?! Tu as honte de ta mère ?!” Un sourire qu’efface vite un pli d’amertume dans le visage d’un acteur qui a ici tenu ses promesses.
http://www.lalibre.be/culture/scenes/michel-kacenelenbogen-tient-sa...