« L’école est finie ! » c’est le titre grinçant de la pièce de Jean-Pierre Dopagne. Le théâtre n’est jamais loin de l’école et vice-versa. Demandez à vos ex-profs préférés ! On espère donc sincèrement, que ni l’un ni l’autre ne seront finis de sitôt. Et pourtant, la menace couve, c’est notre culture que l’on assassine, dit-on dans les journaux! Voilà donc le propos de cet opus éblouissant qui veut mettre l’alarme au camp!
Voici en tous cas, une pièce qui sauve, un radeau solitaire sur un océan de conformité. Cette pièce bourrée de vitriol, de dynamite et de phosphore est bien sûr aux antipodes de la version éponyme de la chanson de Sheila, où après des années de travail scolaire ardu, on sortait de l’école équipés pour la vie et rêvant à l’amour! La comédienne d’aujourd’hui, Chloé Struvay, véritable virtuose des émotions, perce les impostures modernes les unes après les autres, cherchant l’adhésion du spectateur de son regard incisif - c’est du théâtre de proximité ! - et explose toutes les hypocrisies contemporaines à la manière d’une kamikase, avec un sourire ravageur. Elle diffuse une énergie sans pareille et se révolte de toutes ses fibres (les siennes et celles de l’enfant qu’elle porte), contre les tromperies qui ont semé son jeune parcours.
Chloé Struvay (alias Caroline, 22 ans) commence d’ailleurs par un mot très fort, elle parle du « viol » originel de sa personne. Elle a conscience que la société en la privant de sens, lui a volé son unicité, sa conscience d’être et sa raison d’être. Même régime pour les élèves dont elle aura la charge une fois devenue enseignante à son tour! Pour elle, l’enfant est sacré, il doit être éduqué, comme le verbe « educere » latin l’indique… « conduit, guidé hors de… ». On ne peut se contenter d’étouffer les humains à petit feu. Elle a eu la chance incroyable de résister, de s’accrocher aux nourritures spirituelles et s’en sortir, par sa seule volonté. Grâce à sa vitalité et sa rage de vivre, mais combien d’autres seront laminés ?
L’enseignement au 21e siècle frise l’imposture et fait de plus en plus partie intégrante de la machine économique! Qu’il est loin le temps des arts libéraux ! Qui lit encore Victor Hugo? Elle est une Antigone de notre société nouvelle. « Antigone, une fille comme vous et moi. Qui fait la guerre à la bêtise humaine et qui franchit les interdits » Au pays du surréalisme, la fausse nouvelle récente du journal Nordpresse n’est pas si imaginaire que cela : « Depuis l’avènement d’Internet et des jeux vidéo, le Bescherelle a essayé de maintenir une conjugaison basée sur le sens et pas sur le son. Son usage fut conseillé à chacun, mais dans son édition 2015, tout change enfin. Dans sa prochaine édition, disponible en librairie dès le mois de Janvier, le manuel désire se conformer à l’usage courant de notre jeunesse. Au lieu de se braquer sur une pratique d’un autre âge écartant de facto les bloggeurs, joueurs en ligne et autres communautés de gens privés de vie sociale, il permettra enfin à chacun de choisir l’accord qui lui plaît. » Elle se bat férocement pour la grammaire, les accords de participes passés, les subjonctifs imparfaits, le scintillement du vocabulaire et une langue de culture, bref, ce qui nous relie entre nous ! Elle conspue les grilles de toute nature… les grilles de prison, celles de lecture, celles d’évaluation… tandis que notre propre grille horaire s’est arrêtée pile pendant ce spectacle courageux! Chloé Struvay (alias Caroline, 22 ans) va-t-elle réussir à arrêter le temps ?
Le soir de la première au théâtre du Blocry (Jean Vilar) et le lendemain, les moindres strapontins sont occupés. On sent vibrer les réactions du public qui se boursoufflent de colère partagée contre un système qui dénature l’essence même de l’enseignement. En gros, on n’apprend plus aux gosses et adolescents à grandir en faisant des efforts sur eux-mêmes. On leur donne des leçons de vide et on leur apprend à simuler. On les anesthésie de paroles lénifiantes et de savoirs de plus en plus allégés, du berceau à la sortie de l’université, en espérant former des foules dociles et consentantes qui nourriront le très rentable collimateur du consumérisme économique. Cela passe - comme dans le 1984 du célèbre George Orwell - par la réduction du langage à un kit de vocabulaire de survie, incapable d’exprimer ou pire d’énoncer la moindre pensée structurée.
Large extrait : «- Parfaitement, Mademoiselle. - C'est Bouchard qui parle. - Le citoyen d'aujourd'hui doit être un citoyen de l'univers en expansion. Et l'expansion de l'univers, aujourd'hui, c'est la production et l'intégration. Ce sont les cadres, les normes, décrets et directives, indispensables à la bonne évolution des sociétés. Le poids des volailles, le calibrage des tomates, le temps de parole au journal télé, les quotas hommes-femmes sur les listes électorales, le nombre d'actes médicaux à poser dans un hôpital... tout est encadré et scientifiquement évalué par des organismes certifiés. Aujourd'hui, même les pays, les Etats reçoivent une note et un bulletin d'évaluation. C'est le devoir de l'Ecole d'assurer à tous les élèves une formation à l'encadrement, une qualification pour leur intégration dans la vie économique. Je traduis : citoyen signifie consommateur ; expansion veut dire mondialisation ; qualification : uniformisation ; formation : soumission ou formatage ; encadrement : emprisonnement ; vie économique : lois du marché ; formation : mise à mort de la liberté. » Tout va « trèeees bien », madame la Marquise! Bravo Chloé Struvay (alias Caroline, 22 ans).
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Commentaires
Elevage en batterie en adéquation avec les besoins d'une société de consommation.
Ancienne enseigneuse (par analogie avec enseigneur) ce reportage m'intéresse encore malgré mes 84 ans ... bientôt !
En effet, c'est très difficile ..... J'ai, hélas, assisté à la lente dérive de notre enseignement qui a suivi celle de notre Société.
Point commun : fille unique de parents : mère ouvrière, père cadre dans une usine textile, s'étant formé, après son travail de tisserand, dans une école industrielle de soir.
Merci pour ce reportage magnifique.