Voici du panache et de la flamboyance pour ouvrir la saison à ORW à Liège. Jean-Louis Grinda*est de retour avec une somptueuse mise en scène de l'Ernani de Verdi en collaboration avec l’Opéra de Monte-Carlo.
Pour souligner l’opulence musicale de l’œuvre, Jean-Louis Grinda choisit d’utiliser une toile de plastique tendue, faisant miroir, inclinée en fond de scène qui dédouble les clairs-obscurs et les saisissants jeux de lumière de Laurent Castaingt de manière très onirique. Ceux-ci jouent avec la transparence des écrans et font surgir la vision extraordinaire d’une reine de lumière en robe blanche autour de laquelle surgissent des personnages vêtus de brocart, figés et muets, comme dans un cauchemar. Nous sommes dans les toutes premières mesures de l’ouverture.
Plus de 300 costumes resplendissants, d’inspiration Renaissance, signés Teresa Acone et une réplique stylisée de combats équestres de Paulo Ucello contribuent à créer l’atmosphère grisante de légende épique. L’importante distribution glisse sur l’échiquier du drame romantique, fait de porphyre er de marbre noir. Les décors sont signés Isabelle Partiot-Pieri. Le mouvement entre ceux-ci simule la main du destin, le moteur invisible de l’ouvrage. La très belle direction des choristes evient à Pierre Iodice. Le décor au troisième acte suggère le tombeau de Charlemagne surmonté de l’aigle impérial, auprès duquel se fera le couronnement. Le dernier acte s’ouvre sur une couche nuptiale surmontée d’un immense dais de soie blanche parsemée d'écussons dorés, auquel seront assorties les tenues de bal de la cour pour les épousailles princières.
Les personnages. Une femme Elvira (Elaine Alvarez), flanquée de sa nourrice Giovanna (Alexise Yerna), face au monde guerrier des hommes : un oncle, un grand d’Espagne, De Silva (la basse Orlin Anastassov), vieillard qu’elle déteste et qu’elle doit épouser. Don Carlo (Lionel Lhote), le roi d’Espagne qui lui a aussi demandé sa main et lui a même offert la couronne. Son cœur appartient à Ernani (le ténor argentin Gustavo Porta), prince proscrit, cuirassé dans une voix forte, stable et assurée, poursuivi par une fatalité meurtrière, devenu bandit avide de vengeance : son père a été tué par le père de Don Carlo. Traqué par les émissaires du roi, iI s’est réfugié dans les montagnes d’Aragon.
Tout pour l’amour. Il rêve d’enlever Elvira. Le malheureux couple se voue en effet un amour sincère et juste, seule harmonie dans cette fresque guerrière mue par la poudre et le glaive. Encore deux hommes de plus au tableau : Riccardo, l’écuyer du Roi et Jago, celui de De Silva. L’amour est la valeur absolue d’Elvira et sa seule arme. Elle est prête à perdre la vie et irait jusqu’à tuer si elle ne peut pas vivre aux côtés de son amant. « Ernani involami » est d’une poignante beauté, brodé de belles demi-teintes fort délicates.
Tout pour l’honneur. La machine à broyer les hommes dans le sang - Jalousie et Vengeance - se réveille. De Silva a offert à son insu l’hospitalité à Ernani en fuite. Ernani, croyant Elvira mariée, lui offre sa tête en cadeau de noces, quand, enflammés par l’idée de vengeances communes, Ernani et De Silva décident de se liguer contre le roi. Il revient à Ernani de l’abattre, pour venger la mort de son père. Inconscient ou la proie d’une malédiction, Ernani conclut avec De Silva un pacte fou où il offre à son ennemi de se supprimer par le glaive lorsque De Silva fera retentir trois fois un cor fatidique! L’honneur est la valeur absolue d’Ernani, et rien ne tiendra devant ce pacte insensé ! Aucun usage de la raison ou les supplications d’Elvira n’arrêteront son passage à l’acte. Pauvre folie des hommes. Etranglé par l’orgueil de ses principes et la spirale des vengeances en série, il s’immole aux pieds de celle qu’il peut enfin épouser sous l’œil impassible de De Silva. Quelle absurdité ! Elvira avait fini par obtenir la clémence du nouvel empereur du Saint Empire grâce à la sincérité et la pureté de ses sentiments. Victoire éphémère de l’amour. En effet, au troisième acte, le roi Don Carlo, accédant au trône impérial sous le nom de Carolus Quintus, avait su contourner la haine, trouver le chemin de la paix et de la clémence. On est frappé par la noblesse de ton de Don Carlo, qui s’oppose à la dérisoire vendetta et l’orgueilleuse dette d’honneur! Le goût du sang, la folie de vengeance et de jalousie de De Silva viennent tout ruiner. Le trio final est un hymne rutilant fait de désespoir et de malédiction.
Tout pour la musique. L’orchestre dirigé par Paolo Arrivabeni enchaîne les airs, les chœurs chatoyants et les dialogues avec une énergie dévorante. La constance des différentes haines se dégage de chaque scène avec obstination dans une atmosphère de fatalité. It’s a man’s world. Et à l’opposé, parée de tout le mystère de féminité, des couleurs tendres aux plus crépusculaires, l’interprétation vocale impérieuse d’Elaine Alvarez est royale et sereine malgré l’intensité de sa souffrance. Elle suscitera vivats et applaudissements enthousiastes très mérités lors des nombreux rappels en scène. Tout aussi royale est l’interprétation et la voix ronde et souple de Don Carlo. Lionel Lhote le sublime baryton qui nous a enchantés dans Les pêcheurs de perles tout dernièrement sur la même scène, et il se surpasse encore. « O de’verd’anni miei » médite-t-il devant la tombe de Carolus Magnus, symbole de sagesse. Avec sa très belle présence scénique, c’est probablement, notre voix préférée dans ce magnifique spectacle qui ne cesse de nous rappeler de façon étonnamment vivante, les tableaux de Velasquez.
http://www.operaliege.be/fr/activites/operas/ernani
* Jean-Louis Grinda a dirigé l'Opéra Royal de Wallonie pendant des années, avant l'actuel directeur général et directeur artistique Stefano Mazzonis Di Pralfera
Saison : 2015-2016
Durée : 2:40 /Langue : Italien /Direction musicale : Paolo Arrivabeni / Mise en scène : Jean-Louis Grinda/ Chef des Chœurs : Pierre Iodice/ Artistes : Gustavo Porta, Elaine Alvarez, Orlin Anastassov, Lionel Lhote, Alexise Yerna/ Nombre de représentations : 6 /
Dates : Du jeudi, 24/09/2015 au mardi, 06/10/2015
crédit photos: (© Opéra Royal de Wallonie - Lorraine Wauters).
Commentaires
http://www.lalibre.be/culture/musique/ernani-acclame-carlo-souverai...
Musique / Festivals
Embouteillage de directeurs jeudi à l’Opéra de Liège. Dans la salle, Stefano Mazzonis, directeur général, admire la production d’"Ernani" mise en scène par son prédécesseur Jean-Louis Grinda sous la baguette de Paolo Arrivabeni, actuel directeur musical. Pas loin, on reconnaît aussi Friedrich Pleyer, prédécesseur d’Arrivabeni revenu saluer en Grinda son complice de la Tétralogie (œuvre que, soit dit en passant, Arrivabeni avoue écouter de plus en plus).
Vertigineux décors en miroirs
Comme son contemporain Wagner, Verdi reste l’inépuisable ordinaire d’une maison lyrique. Preuve par "Ernani" : bien servi comme ici, même un ouvrage dit mineur des années de galère peut combler le public. Fidèle à son habitude, Grinda s’efforce avant tout de raconter l’histoire. Sans la tordre ni même la compliquer mais, au contraire, en la rendant aussi compréhensible que le permet un livret qui n’est pas le meilleur. Le Monégasque assume la beauté de la musique en lui donnant un contrepoint scénique correspondant : somptueux costumes, vertigineux décors en miroirs, éclairages troublants. Certains crieront au conservatisme, certaines scènes, il est vrai, prennent l’allure de grands tableaux presque immobiles, mais les personnages archétypaux se prêtent peu à une direction d’acteurs soutenue. Et cela n’empêche pas Grinda de mettre, çà et là, de discrets accents. La solitude d’Ernani, par exemple, chantant seul son "Come rugiada al cespite" d’entrée puisque ses compagnons, derrière un tulle, ne sont pour lui qu’un rêve. Ou l’importance de Carlo, dont le "O de verd’anni miei" est, au 3e acte, le sommet de l’œuvre.
Stimuler et magnifier
Il est vrai que, même sans avoir - encore ? - la couleur, le métal et la profondeur qu’on attend d’un baryton verdien, Lionel Lhote est plus qu’impressionnant dans le rôle du jeune empereur Charles-Quint. Un peu raide scéniquement (l’habit autant que la fonction ?) mais souple dans la voix, capable de nuances splendides et fort d’une véritable autorité scénique; très sûr aussi dans l’intonation et le contrôle, qualités que ne partage pas toujours l’Ernani de Gustavo Porta, voix instable dans les tempos plus lents, mais heureusement un peu mieux posée quand ils s’accélèrent. L’Elvira d’Elaine Alvarez impressionne par sa puissance et sa projection, son enthousiasme scénique la rend attachante mais le portrait manque parfois de nuances. Beau Silva d’Orlin Anastassov aussi, même si on en apprécie de moins verts, voire plus caverneux.
L’autre triomphateur de la soirée est Paolo Arrivabeni. Pour sa façon de stimuler et de magnifier son orchestre, bien sûr, mais aussi pour l’engagement complet qu’il met à défendre la partition d’"Ernani" comme s’il s’agissait d’un Verdi des plus célèbres. La volupté et l’intensité dramatique qu’il insuffle dès le prélude placent la barre très haut, et rien ne démentira cette impression par la suite. Sans être encore irréprochables, les chœurs, désormais confiés à Pierre Iodice, semblent déjà en meilleure forme qu’à la fin de la saison passée.
Liège, Théâtre royal, jusqu’au 6 octobre - www.operaliege.be
L’immuable soirée Opéra, toujours présentée par Lothar Seghers, vous fait vivre les productions de La Monnaie et de l’Opéra Royal de Wallonie (en radio mais également en streaming vidéo sur notre site internet), ainsi que les productions des plus prestigieux théâtres lyriques du monde : l’Opéra de Vienne, la Scala de Milan, l’Opéra de Paris, Covent Garden et bien sûr, le Metropolitan Opera de New York… En direct ou en différé ! Production et présentation : Lothar Seghers (lseg@rtbf.be)
http://www.rtbf.be/radio/podcast/player?id=2048207&channel=musiq3
Une somptueuse pièce en costumes
Le 29 septembre 2015 par Bruno Peeters
Ernani de Giuseppe Verdi
1830 : la bataille d’Hernani ! …. souvenirs de classe… Le livret tiré par Piave pour Verdi est fidèle à la pièce de Victor Hugo, sauf que dona Sol y devient Elvira et est sauvée de la mort, tout comme Silva. Ce cinquième opéra de Verdi (1844) connut un beau succès et marque un jalon, après Nabucco, vers une caractérisation des personnages plus affinée, avant de se réaliser pleinement dans Macbeth (1847). Il y règne d’un bout à l’autre le souffle romantique d’Hugo que Verdi a su rendre de manière fougueuse et convaincante. Les airs enfiévrés des protagonistes, les duos poignants et les nombreux ensembles témoignent de la maîtrise d’écriture du musicien, certes, mais aussi de la parfaite adéquation avec le texte hugolien. L’intrigue est d’ailleurs si bien construite qu’une mise en scène semble superflue. La tragique destinée avance toute seule, sous les sublimes éclairages dorés de Laurent Castaingt. Et les héros ploient sous le luxe somptueux des lourdes draperies de Teresa Acone. Tout cela produit un spectacle visuel enchanteur, sous les directives de Jean-Louis Grinda, incidemment prédécesseur de l’actuel directeur. Et l’absence de direction d’acteurs ne gêne pas trop, hormis peut-être dans les finales I et II, bien statiques. Musicalement, il faut avant tout féliciter Paolo Arrivabeni, directeur musical depuis 2008, qui a porté la partition à bout de bras. Son sens aigu de la gradation dramatique éclatait dans les ensembles et les grands finales. L’orchestre était à son sommet, les cordes en particulier, ont livré un travail considérable d’ensemble et de ductilité. Et je signalerais aussi la belle performance du basson et de la trompette solo. Le sommet musical a été atteint au troisième acte, le plus réussi de l’oeuvre. Acte reposant tout entier sur le personnage de Carlo, qui d’amant royal éperdu devient l’empereur Charles-Quint, transformation incarnée à la perfection par Lionel Lhote, qui s’affirme décidément comme l’un des premiers barytons de notre temps, et que nous aurons la joie de revoir, le mois prochain, dans le Figaro du Barbier de Séville de Rossini. Annoncé souffrant, Orlin Anastassov a frappé par un timbre de basse superbe, rappelant Ghiaurov : son Silva était crédible, tant dans le pathétique de l’honneur menacé que dans l’amour sans espoir. Les deux rôles principaux avaient moins d’éclat. La soprano américano-cubaine Elaine Alvarez a bien déclamé l’air célèbre Ernani, involami, mais déjà, on remarquait un sens sommaire des nuances, qui plombera toute son interprétation, malgré quelques jolies vocalises et une puissance vocale indéniable grâce à laquelle elle a dominé sans peine le sextuor du premier acte et le finale du deuxième. Le plus douloureux a été sans conteste l’Ernani de l’Argentin Gustavo Porta : si le timbre n’était pas sans charme, la tenue vocale était instable et minée par cette manie agaçante d’attaquer la note par en-dessous. Bons comprimarii d’Alexise Yerna, Carmelo de Giosa et Alexei Gorbatchev, ces deux derniers membres du valeureux choeur de l’ORW qui s’acquitta de sa tâche avec netteté et précision (Si ridesti il leon di Castiglia) sous la direction de son nouveau chef, Pierre Iodice. L’oeuvre se termine par le trio tragique qui réunit Silva et les amants. Les chanteurs y ont donné le meilleur d’eux-même, accédant enfin à l’émotion. La dernière image est saisissante : Charles-Quint seul, en gloire !
Bruno Peeters
Liège, Opéra Royal de Wallonie, le 27 septembre 2015
Mots-clé Elaine Alvarez, Giuseppe Verdi, Gustavo Porta, Jean-Louis Grinda, Lionel Lhote, Orlin Anastassov, Paolo Arrivabeni
"La vraie bataille à laquelle on doit se consacrer, c'est la recherche de la qualité ! -" See more at: http://www.opera-online.com/articles/jean-louis-grinda-met-en-scene...