LES FILLES AUX MAINS JAUNES
de MICHEL BELLIERMise en scène Joëlle Cattino. Avec Anne Sylvain, Valérie Bauchau, Céline Delbecq, Blanche Van Hyfte. Violoncelle: Jean-Philippe Feiss
DU 05/11/14 AU 13/12/14
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Qui étaient les filles aux mains jaunes?
« Si les femmes s’arrêtaient de travailler vingt minutes, les Alliés perdraient la guerre ! » disait le Maréchal Joffre. Un hommage rendu aux femmes laissées seules, une fois les hommes partis en guerre. Auparavant employées dans des tâches mineures, elles vont tout assumer : travailler dix heures par jour dans les usines d’armement, assumer avec les vieillards et les enfants les durs travaux des champs, devenir marraines de guerre pour remonter le moral des combattants et pleurer les disparus. À la fin de l’année 1917, les ouvrières seront quatre cent mille. De nombreuses employées feront grève pour obtenir des salaires équitables. La place traditionnelle de la femme évolue enfin.
L’écriture de Michel Bellier, autodidacte, est une véritable trainée lumineuse qui n’en finit pas de faire palpiter un public pris à bras le corps, au confluent du souvenir de la première Guerre mondiale et celui de la justice enfin faite à la voix des femmes. Anne Sylvain, Valérie Bauchau, Céline Delbecq et Blanche Van Hyfte incarnent à la perfection les quatre cariatides de cette magnifique pièce épique et polyphonique, porteuses d’un monde nouveau. Toutes de condition plutôt modeste - l’une sait à peine lire - créent lors du travail éreintant et insalubre dans cette usine d’obus, du lien indélébile, malgré leurs différences très marquées qui vient nous remuer au plus intime… cent ans après. Et c’est la création même de ce lien qui libère la parole ! Enfin.
Cette pièce est donc un pavé dans la mare des adeptes du déni des femmes et au fur à mesure la dramatisation se construit mot après mot, une sorte de cathédrale d’échos, d’appels, de rêves, de joies et de larmes que nul ne peut désormais oublier. L’objectif pédagogique de l’auteur est pleinement atteint. Qu’il soit remercié !
Quant à l’interprétation dramatique des quatre comédiennes, vivantes, charnelles et attachantes, elle est à son zénith. Chaque nouvelle vague de parole qui se déploie dans ce lieu qui sent l’huile, le métal surchauffé, la sueur et le danger, ou la courette ensoleillée où les ouvrières respirent quelques instants sur le chemin des toilettes, nous touche et nous émeut profondément dans leur splendide diversité. Jeanne : « Tu crois que c’est drôle, toute la journée, coudre des robes noires ? » Rose : 500.000 femmes … ensemble. Mais pourquoi faire ? Tu crois qu’on l’aurait votée, toi la guerre ? Louise : une guerre ça ne se vote pas, ça se déclare. Julie, face au public : A quoi as-tu pensé ? Ta dernière, ta toute dernière pensée ? Celle qui restera dans tes yeux ? Et dans ta bouche, mon nom est-il resté ?
Le public est embarqué dans les rêves de ces femmes aux malheurs en cascades, et impliqué dans la lente organisation de leur combat. Le texte est d’une justesse de ton extraordinaire, en diapason total avec l’accompagnement musical émouvant de l’homme silencieux (Jean-Philippe Feiss) qui joue sans discontinuer du violoncelle sur scène. Image de paix surréaliste, au milieu de ces planches bouleversantes. Les pulsions musicales subliment le texte et l’entoure d’un amour ineffable. A se demander qui induit l’autre, la mélodie ou le texte joué. Une communion parfaite dans laquelle on se perd et on s’abandonne. Le symbole de l’homme absent ?
De cette première guerre mondiale, mère de toutes les atrocités, Michel Bellier fait surgir une lumière, un bienfait fragile mais toujours en construction : la parole des femmes et le mot liberté. Le mélange intime du travail de mémoire et du travail d’avenir est nécessaire afin que les immenses sacrifices consentis ne se perdent pas dans les sables de l’oubli ou du déni. La construction progressive du récit dans une langue fluide et vivante est d’un équilibre parfait : pas un mot à retirer ou à suppléer. Michel Bellier semble porter en lui l’amour de toutes les femmes, et aussi celui des jeunes générations auxquelles ils consacre une bonne partie de son temps en parcourant les écoles avec ses productions porteuses de sens. Est-il sur les pas du merveilleux romancier Gilles Laporte, l’écrivain Vosgien qui a consacré une grande partie de son œuvre à un engagement inconditionnel en faveur de la reconnaissance de la Femme dans la société ? On y retrouve le même souffle de vérité que dans le roman « Julie-Victoire Daubié, première bachelière de France », ou l’autre « Des fleurs à l’encre violette ». Cette modeste pièce oh combien bienfaisante, en a les accents et participe de la même puissance sismique. Et tout cela… nous ramène à l’héroïne entre toutes : Marie Curie!
Commentaires
La tournée 2017-2018
Avec Valérie Bauchau ou Bénédicte Chabot (Rose), Céline Delbecq ou Inès Dubuisson (Louise), Anne Sylvain (Jeanne), Blanche Van Hyfte (Julie)
Texte : Michel Bellier
Mise en scène : Joelle Cattino
Lumières et scénographie : Jean-Luc Martinez
Costumes : Camille Levavasseur
Musique : Dominique Lafontaine
Production: Dynamo Théâtre
Durée: 1h15
http://www.creadiffusion.net/spectacles/les-filles-aux-mains-jaunes/
Témoignage: "J'ai vécu hier soir une singulière émotion ...découvrir dans sa véritable dimension une pièce que j'ai montée cette année.. "Les filles aux mains jaunes"de Michel Bellier. Nous l'avions jouée 10 fois à Valenciennes début juin et avec succès sur un immense plateau...hier soir nous nous sommes retrouvés près de Lille dans un minuscule théâtre...où les actrices étaient proches du public à portée de mains si j'ose dire...à portée de vie...et là j'ai reçu cette pièce comme l'ont ressentie les spectateurs..j'ai mesuré ce que c'était la complicité le partage des sentiments le rire les larmes les peines les révoltes et j'ai mesuré qu'au delà de l'hommage à ces femmes meurtries par la guerre cette pièce était actuelle et à la fois intemporelle et qu'elle prenait en compte tous les problèmes de notre temps et l'impossibilité de les résoudre.Bien sûr les comédiennes ont été exceptionnelles parce que le public a partagé mais surtout parce que cette pièce porte en elle le partage l'échange l'humanité. Merci Michel Bellier. J'ai maintenant 83ans et plus de 50ans de théâtre vous m'avez donné la furieuse envie de continuer."
Jean Plouchart vient d'écrire cela à propos des Filles aux mains jaunes.
Le Samedi 15 octobre 2016, Elles seront à Wolubilis:
Cours Paul-Henri Spaak 1
B-1200 Woluwe-Saint-Lambert
02 761 60 30 - wolubilis.be
http://www.wolubilis.be/index.php?page=1&id=49&pid=667
http://www.dynamotheatre.net/
Les dates de la tournée en Belgique :
du 04 au 05 octobre Maison de la Culture de Tournai
11 octobre Centre Culturel de Dinant
12 octobre Centre Culturel de Huy
15 octobre le Wolubilis de Bruxelles
du 18 au 20 octobre l'Eden de Charleroi
22 octobre Foyer Culturel de Saint Ghislain
du 25 au 28 octobre La Ferme de Martinrou
8 novembre Centre Culturel de Bertrix
9 novembre Centre culturel de Ciney
cours Maréchal Foch
rue des Coquières
13 400 Aubagne
04 42 18 19 88
comoedia@aubagne.fr
"Les filles aux mains jaunes", une mise en scène poignante ...
Les filles aux mains jaunes « Michel Bellier
Leurs mains ne sont pas rouges sang mais jaunes, à force de manipuler cette poudre toxique, en partie composée de Trinitrotoluène (TNT), dont elles garnissent les obus qu’elles fabriquent à la chaîne. Michel Bellier ressuscite le destin de quatre ouvrières qui, dans l’enfer de ces usines aux conditions de travail inhumaines, donnent de leur personne pour faire tourner la guerre mais, surtout, forgent les prémices du mouvement féministe.
Jamais dans la démonstration, l’écriture tisse avec humour et tendresse la relation entre Jeanne, Rose, Julie et Louise, entre celles qui attendent fébrilement les lettres du front, celle qui porte déjà la robe noire ou celle, célibataire, qui veut se construire sans les hommes. La trajectoire sera plus ou moins longue et réticente, mais toutes vont cheminer vers une forme d’émancipation, se découvrir femme avant d’être mère ou épouse, découvrir qu’elles peuvent se battre pour leurs droits.
La mise en scène de Joëlle Cattino est d’une finesse remarquable, faisant l’étonnant pari de la douceur dans cet univers industriel infernal. Le violoncelle de Jean-Frédéric Feiss suffit à évoquer le rythme insoutenable auquel sont soumises les travailleuses, les lumières de Jean-Luc Martinez projettent des ombres sous les yeux de ces femmes harassées, les sobres plans inclinés du décor disent l’implacable dureté des machines.
Les gestes répétés sur d’invisibles engrenages convoquent, sans un bruit, l’assourdissante usine. Etonnant contraste entre la rugosité du propos et la suavité de l’emballage, rehaussé par un formidable quatuor de comédiennes : Anne Sylvain, Valérie Bauchau, Céline Delbecq et Blanche van Hyfte. Humaines, poignantes, révoltées : elles sont simplement femmes, dans toute leur complexité et leur insoupçonnée résistance. Avec leurs mains jaunes, ce sont finalement des yeux rougis qu’elles abandonnent derrière elles. On a reçu leurs obus en plein cœur.
CATHERINE MAKEREEL