Chute libre vers la liberté?
Elles jouent sur un plan incliné entre les étoiles.
Dominique : Pourquoi êtes-vous entrée chez moi ?
Anna : La porte était ouverte.
Dominique : Pourquoi êtes-vous entrée dans l’immeuble ?
Anna : La porte était ouverte.
Dominique : Et vous cherchez quoi ?
Anna : Je cherche rien.
Dominique : Vous avez froid ?
Anna : Non.
Dominique : Vous avez faim ?
Anna : Non.
Dominique : Vous avez peur ?
Anna : On a tous peur.
Que se passerait-il si un beau jour, disons, un très beau soir, vous retrouviez dans votre appartement ou dans votre maison, une personne inconnue qui vient de s’éveiller sur votre moquette ? L’exercice de style que Fabrice Gardin prend par les antennes, germe en un dialogue extraordinaire entre absurdité et réalités. Il démontre la puissance et l’urgence de la curiosité qui tous nous anime, malgré les barrières érigées par la société. Curiosité de soi et des autres. Voyage en huis clos. Présence à l’Autre.
Dominique : Tu viens de quelle planète ?
Anna : Celle du cœur.
Dominique : Tu vas me faire souffrir longtemps ?
Anna : Ça dépend de toi.
Dominique : Tu ne serais pas un démon quelquefois ?
Anna : C’est quoi, ta définition du démon ?
Dominique : Un machin qui dit des vérités et force les gens à se regarder dans un miroir.
Marie-Noëlle Hébrant… incarne Celle du dedans: une jolie femme mûre – surtout pas vieille – bien sapée dans une ample robe moirée à godets rehaussée d’une veste moulante dans le même tissu. Elle est blonde, coiffure au carré, et porte des souliers corail à talons confortables. Plus que tout, elle est restée fixée en admiration pour son défunt père qui lui a filé son immense fond de culture. « Je crois qu’on décide pour vous, dans la vie… » Elle a fait vaillamment tout le parcours de combattante jusqu’au doctorat en histoire de l’art et a gagné la reconnaissance des pairs. Elle voyage, prisonnière de l'engrenage, elle est plusieurs fois commissaire d’expositions, vit dans les musées, mais regarde rarement au fond d’elle-même. S’aime-telle même ? Qui aime-t-elle? Quelqu’un l’aime-t-elle ? Et où se cache son cœur?
Camille Dawlat… incarne Celle du dehors: une intruse, très curieuse elle aussi… Une Shéhérazade à l’écoute. Mais où est le sac ? Elle n’en n’a pas. Elle porte des bas en résille noirs, des bottines ouvertes, une robe courte en dentelle indigo et une veste polaire noire mangée par une immense chevelure de sirène Sicilienne piquée d’une rose pourpre. Elle est du genre grand tournesol, au sourire de braise coiffé d’yeux flamboyants. En robe blanche, et le cœur sur les lèvres, elle a des intentions d’ange.
Mais bien sûr les travaux d’approche diffèrent autant que les dehors et les dedans… Les « tu » et les « vous » se mélangent entre les quelques blancs. Les verres trinquent. Le texte s’allume, brille, frémit, rougeoie, poudroie, reprend, s’enflamme, resplendit et s’évanouit dans l’énigme la plus profondément obscure. La vie ne sera plus jamais la même après cette nuit d’étranges soleils et de rencontre brûlante. Il suffit d’une fois, sur toute une vie… de boire de ce vin-là, pour sourire à vie!
Dans ce spectacle beau comme un impromptu, ouvert comme un livre, fertile comme une poignée de graines, le public s’est passionné pour tout ce dévoilement d’humour, d’ironie et de vérités en filigranes exposées avec tant d’ardeur et de pudeur, à travers un jeu très subtils d'interrogations, de regards, de silences et de postures magnifiquement étudiées.
DESTIN de FABRICE GARDIN
Du 20/04 au 06/05 - Du mercredi au samedi
THEATRE DES RICHES-CLAIRES
Rue des Riches-Claires 24 - 1000 Bruxelles
Infos Réservations : 02 / 548 25 80
Avec: Camille Dawlat & Marie-Noëlle Hébrant
Scénographie et costumes : Lionel Lesire
Lumières : Félicien van Kriekinge
Décor sonore : Laurent Beumier
Ecriture et mise en scène : Fabrice Gardin
Commentaires
Destin s’est joué aux Riches-Claires du 20 avril au 6 mai 2017. Ce spectacle écrit et mis en scène par Fabrice Gardin s’est terminé ce samedi. Ne manquez pas Alive de Emmanuel Dekoninck qui se jouera du 11 au 24 mai 2017.
Destin, ou la douceur d’une gifle
Une rencontre entre deux femmes. L’une pas vraiment vieille et l’autre pas vraiment jeune. Elles ne se connaissent pas, elles ne se sont jamais vues.
Destin nous parle d’instinct. Celui que semble avoir perdu Dominique, quadragénaire professionnellement accomplie, en s’oubliant au nom des hommes de sa vie. Mais il n’est pas là question d’émancipation, mais plutôt d’épanouissement.
C’est d’instinct qu’Anna, comme un papillon dont les ailes seraient des miroirs, se faufile en douce dans l’appartement de Dominique, attend son retour et se pose sur son épaule. Elle la chatouille, la démange, la gratte, lui arrache la peau, creuse ses os pour s’y nicher confortablement. Impossible de s’en défaire, tant que Dominique n’aura pas regardé chaque facette des ailes dans lesquelles elle voit sa vie se refléter. La légèreté d’Anna pousse Dominique à une authenticité touchante, l’accompagne comme on monte une échelle, une question, un barreau à gravir pour que Dominique puisse enfin, devenir la protagoniste de sa propre vie.
Les dialogues habiles déguisent une psychanalyse par leur répartie surprenante, rythmant ainsi la pièce par quelques éclats de rire dans la salle. Les comédiennes sont en constante recherche d’équilibre sur un sol penché, intimement éclairées sous un firmament d’ampoules suspendues.
La suite du programme des Riches-Claires
Ne manquez pas Alive de Emmanuel Dekoninck qui se jouera du 11 au 24 mai 2017. Alive, c’est l’histoire d’un gamin qui s’est inventé un ami imaginaire, un personnage de cowboy redoutable, pour combler sa solitude. Mais aujourd’hui l’ado a grandi, ses fictions l’empêchent d’entrer de plain-pied dans la vie. Avec la complicité du public, il va inventer une dernière aventure au terme de laquelle il tuera son héros.
Les Riches-Claires
DESTIN • Fabrice Gardin from NIGHTHAWKS on Vimeo.
ÉCRITURE ET MISE EN SCÈNE: Fabrice Gardin
AVEC: Camille Dawlat et Marie-Noëlle Hébrant
http://cultureremains.com/destin-aux-riches-claires/
Un soir, en rentrant du travail, Dominique trouve Anna dans son appartement.
Dominique (Marie-Noëlle Hébrant), c’est la femme mûre, sûre d’elle-même, qui a réussi sa vie.
Anna (Camille Dawlat), c’est la femme enfant, l’inconnue, l’inattendue, un feu follet vibrant qui surprend, dérange, questionne sans jamais se dévoiler.
Sur le qui-vive, Dominique cherche à comprendre les raisons de la présence d’Anna. Entre intérêt et irritation, un dialogue s’instaure entre elles. Cette dernière évite habilement les réponses, ne révèle rien, mais fait apparaître petit à petit des brèches dans l’armure en apparence si solide de l’aînée.
Enfance solitaire, manque d’affection de la part de son père, abandonnée par son mari, autant de blessures qui ont conduit, de manière inconsciente, Dominique au repli sur elle-même, dans une existence pourtant remplie et malgré un certain succès social.
Anna devient le révélateur des frustrations et des peurs de Dominique, elle la pousse à prendre conscience que dans ses veines coule encore un sang chaud et bouillonnant.
Avec ce récit tendre, sensible et éminemment féminin, Fabrice Gardin nous renvoie comme un miroir nos égarements, nos lâchetés, nous rappelant que c’est à nous d’aller chercher ce que l’on attend et non de continuer à espérer qu’il nous tombe des nues sans faire d’effort.
Il bouscule allégrement (mais en douceur) notre besoin de paraître, d’être pour les autres qui parfois est tellement profond qu’il nous conduit à l’oubli total de notre personnalité faisant de nous des chiens fidèles, couchés devant la porte de leur maître.
Fabrice Gardin signe également la mise en scène de Destin.
Il place ses comédiennes sur un étroit plateau en pente, lieu instable où toutes les glissades (ou dérapages) semblent permises, endroit inconfortable et non identifiable, plongé dans une semi-pénombre, judicieusement mise en lumière par Félicien van Kriekinge.
Derrière cette apparente simplicité transparaissent beaucoup de recherche et de précision dans la gestuelle, les vêtements, les mouvements …
Derrière ce texte fort et prenant, derrière la scénographie et la mise en scène, il y a aussi et surtout l’interprétation des comédiennes.
Impeccables de bout en bout, le duo Marie-Noëlle Hébrant et Camille Dawlat insuffle vie et intensité aux personnages.
Lumineuse et d’une présence formidable, cette dernière vient de faire son entrée dans la liste des actrices prometteuses et dont il faudra suivre la carrière avec intérêt.
Destin est donc un spectacle coup de cœur, tant pour le texte que pour l’interprétation. Mais c’est aussi et surtout une ode à la vie et à l’envie d’encore croire à ses rêves.
Festival Royal de Théâtre de Spa
«Destin », une pièce écrite par Fabrice Gardin, auteur belge, licencié agrégé en journalisme et communication et qui associe à son travail quotidien au Théâtre Royal des Galeries (responsable de la communication et des relations publiques) sa passion pour le théâtre et pour l’écriture théâtrale. Il a entre autres signé les adaptations de « Candide » (Voltaire) et « Le Tour du Monde en 80 Jours » (Jules Verne).
http://lesfeuxdelaramperogersimons.skynetblogs.be/archive/2015/08/0...