Play it on ! "Don Carlos" à l'Opéra de Liège
La superbe version française de «Don Carlos» à l’Opéra de Liège a fait dernièrement l’unanimité aussi bien dans la critique musicale élogieuse qu’auprès d’un public totalement conquis. En version longue, dite « originale de Paris» de 1866. En version d’une diction française parfaite. Paolo Arrivabeni à la tête de l’Orchestre et des Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège a distillé quelques merveilleuses heures de déploiement musical et lyrique tout en délicatesse. La théâtralité subtile et sombre des amours et amitiés contrariées a envahi le plateau et bouleversé le public touché par la musique chatoyante ce drame lyrique signé Giuseppe Verdi. On pourra écouter la retransmission intégrale de l’
enregistrement de la soirée du 14 février le 7 mars 2020 sur Musiq 3.
La vivacité de l’orchestre, son engagement dans les souffrances romantiques sans la moindre lourdeur, la distribution lyrique irréprochable, le défilé soyeux de 800 costumes et chapeaux Renaissance de Fernand Ruiz, les décors fastueux de Gary Mc Cann qui font valser les multiples tableaux de cette œuvre en cinq actes, la conduite rutilante des chœurs de Pierre Iodice, les savants éclairages de Franco Marri ont fondu l’ensemble dans un creuset quasi cinématographique. La mise en scène intelligente et pétrie d’historicité bien documentée de Stefano Mazzonis di Pralafera a conféré une fidélité intense à l’œuvre Verdienne et une fusion parfaitement onctueuse de tous les éléments de l’opéra.
Cette œuvre est grandiose pour sa dimension historique, et poignante pour sa vérité dramatique. En cause, ce Rodrigue, prénom prédestiné qui a tant de coeur, et qui développe un personnage si complexe et si attachant? Ou est-ce la versification française si limpide qui fait penser à la tension dramatique des grands classiques français?
Est-ce, plus simplement, le charisme rutilant de l’interprète de ce Rodrigue, Marquis de Posa incarné par le fabuleux belge Lionel Lhote acclamé de toues parts qui livre sur scène une prestation d’une incomparable fluidité théâtrale?
La voix est chaude, enveloppante, débordante de grandeur sublime. La personne du chanteur diffuse son sage humanisme en continu. Le personnage incarne le débat cornélien: le devoir de fidélité au roi Philippe II qu’il a juré de servir, ou l’attachement inconditionnel à ses serments d’amitié avec Don Carlos. Le choix est cruel et dangereux.
La fascinante basse cantabile Ildebrando D’Arcangelo dans le rôle de Philippe II, est superbement grave, orgueilleux, manipulateur. Il est autoritaire et souverain, au lit comme à la cité. On apprend qu’il ne dédaigne pas les charmes de la bouillante princesse Eboli qui aura grand mal à faire acte de contrition et rétablir la justice après avoir rêvé de vengeance et empoisonné la cour de ses immondes machinations
pour obtenir l’amour de Carlos. L’amour est cruel et Kate Aldrich l’interprète avec fougue et exaltation. Mais, pauvre chose féminine, comment pourrait-elle agir face à l’infâme machine de l’inquisition? Le sombre Philippe II est flanqué de Roberto Scandiuzzi, un Grand Inquisiteur bien glaçant.
En version féminine, le même débat cornélien se présente à la pauvre Elisabeth de Valois, fille d’Henri II priée d’oublier ses amours adolescentes et forcée d’endosser les lourdes robes qui l’emprisonnent dans son nouveau rôle de reine d’Espagne pour garantir la paix après des années de guerres dévastatrices. Une très émouvante Yolanda Auyanet. En dépit de ses émois amoureux vrais, bons et naturels la voilà embarquée dans un sérail irrespirable aux côtés d’un roi jaloux prêt à l’immoler. On le voit complètement dépité au 4e acte quand il perçoit que finalement « Elle ne l’aime pas! ». Elle est si jeune et palpitante, d’un naturel si tendre et si sincère. La voilà cloîtrée, obligée de plier devant un seigneur inflexible qui la voit comme sa chose! Dire qu’elle choisit son devoir de reine car elle a promis d’être l’otage de la paix. Que de vibrante vertu!
Et les Flamands dans tout cela? Une équipe vibrante elle aussi avec Patrick Delcour, Roger Joachim, Emmanuel Junk, Jordan Lehane, Samuel Namotte et Arnaud Rouillon. Ils symbolisent la rébellion, la voix du peuple affamé, le pays conquis mis à feu et à sang par les exécutions de l’Inquisition, un pays réduit à une populace de morts-vivants pris dans les affres de la guerre. Une situation politique que dénonçait à travers eux le grand Verdi, défenseur de la liberté et de sa patrie. Les Flamands résistent. L’infant se révolte contre son père dénaturé… Même combat. La salle pleure des larmes d’indignation et pense à l’innommable duc d’Albe qui sévissait dans nos régions. La musique enflamme des sentiments d’injustice à vif. L’impressionnant ténor Gregory Kunde qui a endossé le rôle-titre est héroïque et somptueux avec ses aigus qui s’envolent avec aisance d’un tapis de vibrations chaleureuses.
Le rejet de la tyrannie sous toutes ses formes est le fil rouge omniprésent dans l’oeuvre. Comme cela fait du bien! On éprouve gratitude et admiration devant tant de résistance face à la dictature d’état ou celle de la religion. On se laisse emporter par tant de beauté musicale pour dépeindre la cruauté de l’injustice et l’orgueil démesuré des grands.
« If music be the food of love, play on. » -William Shakespeare, « Twelfth Night »
Dominique-Hélène Lemaire, pour Arts et Lettres
En direct, le vendredi 14 février, sur la plateforme de France TV à 19h00
https://www.operaliege.be/actualites/lopera-royal-de-wallonie-liege-fete-ses-200-ans-episode-03/
Commentaires
La petite fille espérance me persuade que ces merveilleux billets d'art renaîtront dès que la terrible épreuve du covid sera surmontée...
Don Carlos à Liège : une nouvelle prise de rôle pour Gregory Kunde !
Opéra Royal de Wallonie, représentation du jeudi 30 janvier 2020
DISTRIBUTION
Don Carlos Gregory Kunde
Rodrigue Lionel Lhote
Philippe II Ildebrando D'Arcangelo
Le Grand Inquisiteur Roberto Scandiuzzi
Un Moine Patrick Bolleire
LLerme / Un héraut Maxime Melnik
Thibault Caroline de Mahieu
Elisabeth de Valois Yolanda Auyanet
Eboli Kate Aldrich
Une Voix d'en haut Louise Foor
Orchestre et Choeurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, direction Paolo Arrivabeni
Mise en scène Stefano Mazzonis di Pralafera
http://premiere-loge.fr/Don-Carlos-%C3%A0-Li%C3%A8ge-une-nouvelle-p...
L’Opéra Royal de Wallonie a la réputation de présenter des spectacles aux mises en scène plutôt sages, à quelques exceptions près (le Faust signé Stefano Poda la saison passée en est une notable). Ce Don Carlos, mis en scène par Stefano Mazzonis di Pralafera, n’échappe pas à la règle : nous ne sommes ni sur la Lune, ni dans un camp de réfugiés, ni dans les bureaux administratifs d’une entreprise , mais bel et bien à Fontainebleau puis à la cour de Philippe II, en Espagne, en 1559 - ce dont témoignent les très beaux décors de Gary Mc Cann (superbement éclairés par Franco Marri) et les costumes de Fernand Ruiz. Le spectacle se présente comme une simple mais belle mise en images de l’œuvre, sans relecture particulière – les détracteurs des spectacles dits « traditionnels » diraient « sans lecture » : les deux seuls aspects véritablement originaux du spectacle résident d’une part dans l’omniprésence du Moine mystérieux, témoin impassible et (presque toujours) muet du drame qui se joue devant lui ; d’autre part dans la pantomime jouée pendant l’introduction de l’air de Philippe II : on y voit Eboli présenter à Philippe le coffret qu’elle vient de dérober à la Reine ; on y voit également une étreinte entre le Roi et la Princesse. Si cette pantomime clarifie l’action, elle nous semble cependant entrer en contradiction avec la musique, suggérant le vide et l’incommensurable solitude dans laquelle se trouve plongé le Roi…
La version retenue par l’Opéra Royal de Wallonie est celle de 1866 (celle des répétitions avant les coupures opérées par Verdi pour la première). Depuis les représentations proposées par le Châtelet en 1996 (qui ont fait l’objet d’un CD et d’un DVD) et celles de l’Opéra Bastille dans la mise en scène de Warlikowski (en 2017), cette version est maintenant bien connue, et l’on est surpris qu’elle soit dorénavant presque systématiquement retenue par les théâtres choisissant de monter cet opéra en français. Le vrai point fort de cette version réside dans le chœur initial qui donne à voir l’extrême dénuement du peuple, ce qui justifiera et rendra encore plus poignant le sacrifice opéré par Elisabeth en acceptant d’épouser Philippe. Mais la version de la création, celle enregistrée par Abbado en 1985, est, musicalement et dramatiquement, supérieure sur bien des points, notamment dans la confrontation entre Carlos et Rodrigue avant le duo « Dieu, tu semas dans nos âmes » ou, surtout, le troisième et dernier duo entre Carlos et Elisabeth, qui atteint des sommets d’émotion qu'on ne retrouve que partiellement dans la version dite « des répétitions ».
Musicalement, le spectacle de Liège est une réussite : on a rarement entendu les chœurs et surtout l’orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie à ce point en forme, littéralement galvanisés par la direction de Paolo Arrivabeni, puissamment dramatique lorsqu’il le faut, mais également pleine de lyrisme et de cette tendresse désespérée qui est la marque première de l’œuvre.
Pourtant muets (heureusement !), Clara, Actimel, Lara et Léonard convainquent pleinement par un jeu de scène très étudié - l'un de ces quatre lévriers semblant s'être particulièrement attaché à la personne Yolanda Auyanet ! Vocalement, les choses sont un peu inégales. Les timbres sombres de Patrick Bolleire et et de Roberto Scandiuzzi conviennent bien aux personnages du Moine et de l'Inquisiteur - l'usure des moyens du second ne desservant pas l'incarnation du vieillard presque centenaire. Dans les tout petits rôles de Thibaud, du Comte de Lerme et du Héraut, Caroline de Mahieu et Maxime Melnik créent la surprise par la fraîcheur de leur timbre et la qualité de leur diction. Le second, dont la voix se projette avec assurance et est capable de couronner la scène de la prison d’un aigu glorieux (« Vive le Roi ! »), parvient même à donner corps à un personnage qui n’est le plus souvent qu’un simple figurant.
Le français d’Ildebrando D’Arcangelo est toujours un peu cotonneux (sauf dans son air du IV, qui semble avoir fait l’objet d’un travail particulier), mais stylistiquement, le chanteur est plus à sa place que dans les Méphisto de Faust (sur cette même scène l’an dernier) ou de La Damnation (il y a quelques semaines à la Philharmonie, même s’il était, il est vrai, indisposé) ; son Philippe II cependant gagnerait à faire preuve de plus d’introspection et est surtout convaincant dans les moments où l’autorité, voire la brutalité du Roi se manifestent.
Les premières interventions de Kate Aldrich inquiètent un peu : le soutien vocal semble parfois défaillant, le timbre se déchire et fait entendre quelques accents rauques inhabituels chez cette chanteuse, la liaison des registres est un peu laborieuse… Heureusement, la voix se chauffe au fil de la représentation, les choses s’améliorent progressivement et la chanteuse finit par retrouver tous ses moyens, ce qui lui permet de délivrer un « Ô don fatal » fier ombrageux, très apprécié du public.
Avant le spectacle, Stefano Mazzonis di Pralafera avait annoncé que Yolanda Auyanet était souffrante, laissant entendre qu’elle ne pourrait peut-être pas aller au bout de la représentation et qu’une doublure était prévue… On est d’autant plus surpris d’entendre, lors des premières interventions d’Elisabeth, une voix fraîche, souple, aux aigus assurés ! Et puis on comprend : c’est le registre grave qui est atteint, se réduisant parfois à un filet de voix difficilement audible et pas toujours juste. On souffre avec la chanteuse, car la tessiture d’Elisabeth est très centrale, rarement plus aiguë que celle d’Eboli, le médium et le grave étant fréquemment sollicités dans ce rôle. Mais Yolanda Auyanet fait front avec courage et une grande probité artistique. Elle parvient au terme de la représentation en évitant l’accident et fait entendre, lorsque les notes graves du rôles ne sont pas requises, une voix pleine de fraîcheur (dont la pulpe n’est pas sans rappeler le timbre fruité d’une Pilar Lorengar), capable de nombreuses nuances (très beaux aigus piano filés dans l’air « Ô ma chère compagne » ou dans le duo final) et immédiatement porteuse d’émotion.
Lionel Lhote est, en tout point, un Posa exceptionnel. La voix, d’une grande douceur, sait se projeter avec autorité dans la confrontation avec Philippe. La technique, à ce point maîtrisée qu’elle en devient discrète, permet au chanteur les plus infimes nuances, les piani les plus suaves, un legato souverain, des tenues de souffle exceptionnelles (« Ah, je meurs l’âme joyeuse… »)… Si l’on ajoute à cela une prononciation exceptionnellement claire, on comprendra que l’on est ici en présence de l’un des meilleurs titulaires actuels du rôle. En début de saison, Lionel Lhote était déjà, à Versailles, un Fieramosca absolument épatant, preuve de l’adaptabilité et de la polyvalence de ce très grand artiste qu’on espère vraiment entendre plus souvent en France !
Mais c’est surtout le Carlos de Gregory Kunde qui était attendu… Après d’éclatants Otello et Calaf, le ténor américain serait-il capable de traduire vocalement la jeunesse mélancolique du héros de Schiller ? Le résultat, cette fois, n’est qu’à moitié convaincant… Curieusement, ce sont les passages habituellement considérés comme redoutables pour les ténors qui impressionnent le plus : le cri empli de noblesse « Je serai ton sauveur, noble peuple flamand », la violence désespérée de « Mes royaumes sont près de lui », l’invective « Ô roi de meurtre et d’épouvante », bref tous les passages forte sollicitant le registre aigu sont émis avec une facilité déconcertante. En revanche, les moments de lyrisme tendre, le chant spianato, les passages mezza voce sont négociés avec moins de facilité, le vibrato n’étant pas parfaitement contrôlé surtout en début de soirée (le contrôle de la voix s’améliorera sensiblement au fil de la soirée). Sans doute Gregory Kunde aurait-il été un Don Carlos idéal à l’époque où il réinventait l’interprétation d’Énée pour Gardiner (soit dans les années 2000). Aujourd’hui, la fréquentation assidue de rôles très lourds, inévitablement, a quelque peu altéré le moelleux de la pâte vocale, ce qui prive le personnage de la part de fragilité et de tendresse qui lui est inhérente. La performance n’en demeure pas moins étonnante, et l’on ne peut qu’être impressionné par cette nouvelle prise de rôle par un ténor à la longévité vocale stupéfiante (ses débuts professionnels remontent à 1978).
Applaudissements nourris pour tous les interprètes à l’issue du spectacle, de la part d’un public remarquablement attentif.
Stéphane Lelièvre
Après d'autres maisons avant lui, l'Opéra Royal de Wallonie-Liège propose la version française de Don Carlo(s), ici dans la quasi intégralité de la partition dirigée avec maestria par Paolo Arrivabeni et mise en scène de manière classique et somptueuse par Stefano Mazzonis Di Pralafera.
Sur scène, Gregory Kunde "demeure un miracle de fraîcheur vocale, et campe un Don Carlos de haute lignée" face à une Yolanda Auyanet qui "ne lui cède en rien" en Elisabeth. Toutefois, c'est le Posa de Lionel Lhote qui "marque le plus les esprits", même si le reste de la distribution a en réalité de quoi ravir elle aussi : Ildebrando D'Arcangelo (Philippe II), Roberto Scandiuzzi (Grand Inquisiteur), ou encore Patrick Bolleire (le Moine).
Chronique à lire sur Opera Online :
https://www.opera-online.com/…/don-carlos-en-vf-et-en-majes…
"Don Carlos" en VF et en Majesté à l'Opéra Royal de Wallonie - avec un impérial Gregory Kunde (Don Carlos), une bouleversante Yolanda Auyanet (Elisabeth), un magistral Lionel Lhote (Posa), mais aussi Ildebrando D'Arcangelo (Philippe II), Kate Aldrich (Eboli), Roberto Scandiuzzi (Le Grand Inquisiteur), Patrick Bolleire (Le Moine), Maxime Melnik (Le Comte de Lerme)... et tout ce petit monde sous la vibrante baguette de Paolo Arrivabeni !
On peut compter sur Paolo Arrivabeni, excellent serviteur du répertoire verdien, pour mener l’entreprise à bon port. Dès les premières mesures, on perçoit une grande profondeur, des attaques marquées avec caractère, des cordes à l’unisson et des cuivres brillants... Irma Foletti signe notre chronique de "Don Carlos" – vous avez bien lu, le S n'est point de trop, puisqu'il s'agit de la version originale en français ! – à l'Opéra royal de Wallonie (Liège)
Lionel Lhote, le grand style verdien
Perdu, amoureux sans espoir de celle qui fut sa fiancée mais a dû (raison d’État) épouser le roi d’Espagne, Carlos se raccroche à l’amitié du marquis de Posa, le courageux et subtil Rodrigue. Confié à la voix de baryton, ce personnage qui allie hauteur de vue et intelligence de stratège, tendresse et dureté, trouve à Liège un interprète magnifique en la personne de Lionel Lhote. Dès que l’aigu de sa voix s’est chauffé et arrondi, l’artiste déploie tout son talent, noble et intense, rehaussé par une diction élégante et un legato caressant.
https://bachtrack.com/fr_FR/critique-don-carlos-arrivabeni-mazzonis...