Extrait du discours de Patrice Lumumba le 30 juin 1960 …
« Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire.
Nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres.
Qui oubliera qu’à un noir on disait ‘Tu’, non certes comme à un ami, mais parce que le ‘Vous’ honorable était réservé aux seuls blancs !
Nous avons connu nos terres spoliées au nom de textes prétendument légaux, qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort.
Nous avons connu que la loi n’était jamais la même, selon qu’il s’agissait d’un blanc ou d’un noir, accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres. »
https://nofi.fr/2017/09/patrice-lumumba/42817
Pertinent et percutant, Rémi De Vos croise ici un vaudeville modernisé portes ouvertes à tous vents, le théâtre de l’Absurde, le pamphlet et le dîner de cons … pour obtenir un cocktail explosif qui sert de subtile métaphore en noir et blanc, pour condamner la société ultra-libérale, dans son acception la plus péjorative. Tout en mettant en lumière la faillite de la colonisation de l’Afrique, la pièce dénonce la violence qui donne au pouvoir et à l’argent tous les droits d’écraser, de maltraiter ou d’exploiter autrui et même …la planète où l’on vit.
2017. La pièce se déroule à Huis-ouvert sur la pluie diluvienne qui rend la circulation impossible, autour d’une villa 2.0 dans une banlieue aisée de Kinshasa, où habite depuis 30 ans un couple d’expatriés sans enfants, Ruben et Mathilde, femme élégante, désœuvrée et esseulée. Le cadre intérieur est frigorifiquement blanc… avant qu’il ne s’ouvre sur la noirceur de l’histoire. Référence obligée à Joseph Conrad et son roman Heart of Darkness (Au cœur des ténèbres). Les personnages s’abreuvent régulièrement de whisky pour tenter de noyer l’absence de valeurs, d’éloigner les catastrophes et gommer les énergies négatives. Le malaise congolais infuse. Louise (Priscilia Adade) est au service du couple depuis deux ans. Elle est traitée par le maître des lieux …comme on ne traite pas les domestiques, mais avec bienveillance, comme une secrète confidente par l’épouse. Panthère (Jérémie Zagba) incarne un sien « cousin », avec lequel la jeune africaine prendra sa revanche sur sa servitude obligée.
Il y a un couple invité de nouveaux-arrivants : Daniel et Corinne, qui ne s’accordent qu’en apparence, la cravate de l’un assortie au bleu roi de la robe de l’autre. Daniel désire ardemment rencontrer Paul Dyabanza (Ansou Dhiediou), un membre du gouvernement pour faire affaire dans le créneau du caoutchouc. Les regards de Daniel (Benoît Van Dorslaer) dérivent sur la beauté sculpturale de Louise, la domestique africaine, ridiculement montée sur stilettos, par décision du patron. Daniel tient d’entrée de jeu un discours totalement insupportable vis-à-vis de sa femme. Superbe répartition des rôles.
Philippe Jeusette campe un formidable Ruben, géant bruyant, aux pieds d’argile qui voit progressivement ses espoirs de fortune fondre sous le ciel africain détrempé. Tout l’art de la redoutable palette de comédiens dirigés par Frédéric Dussenne sera de dégager au fur et à mesure une condamnation muette et accablante de ces expats qui se croient tout permis, affolés par l’appât du gain ou le désir charnel exotique. Le spectateur se met rapidement à souhaiter redonner une dignité aux africains dont les apartés en langue locale, les regards et les postures en disent si long. Dans ce jeu de souricière, les femmes européennes sont quelque peu épargnées. Toutes deux - l’une, blasée de la vie (Mathilde /Valérie Bauchau) et l’autre, (Corinne/Stéphane Bissot) d’une naïveté de Perette ou de Bécassine - savent quelque sagesse et émotions humaines garder. Toutes deux, dans des genres diamétralement opposés, sont rompues à un langage corporel extrêmement éloquent, le seul où elles se sentent un peu moins bridées.
Au cours de la rencontre, la tension monte et Paul Dyabanza en profite pour diffuser à doses de moins en moins discrètes, des vérités de moins en moins agréables à entendre pour les deux bouffons blancs. « Ici, même quand sa famille a disparu, on lui reste attaché, Les morts sont aussi importants que les vivants » assène-t-il à Corinne, qu’il trouve plus acceptable que les autres expats, par son côté « peuple ». Une terrible phrase de Lumumba lui échappe : …. « Nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire. »
L’auteur ménage soigneusement jusqu’à la fin la montée en puissance des serviteurs de l’homme blanc, et la menace qui pèse sur l’avenir des Européens assoiffés de profit. Et la fin explose en brillante pantalonnade sociologique, aussi désopilante que cruelle et lucide.
A souligner, les superbes jeux de lumière signés Renaud Ceulemans et la scénographie de Vincent Bresmal.
Du 12.09 > 14.10 Au THÉÂTRE DE POCHE
http://www.rideaudebruxelles.be/13-videos/680-botala-mindele
Écriture: Rémi De Vos
Dramaturgie et mise en scène: Frédéric Dussenne
Avec Priscilla Adade, Valérie Bauchau, Stéphane Bissot, Ansou Diedhiou, Philippe Jeusette, Benoît Van Dorslaer, Jérémie Zagba.
Scénographie: Vincent Bresmal
Crédit photos: Alice Piemme
http://www.rideaudebruxelles.be/
Du 17 au 21 octobre 2017
Aula Magna - Place Raymond Lemaire à 1348 Louvain-la-Neuve
Infos et rés. : 0800/25 325 - www.atjv.be/Botala-Mindele
Commentaires
Archives photos, revue de Presse septembre 2017 au Théâtre de Poche: http://poche.be/spectacle/botalamindele#
Après la décolonisation, la lutte des classes continue
Billet suspendus
Afin de permettre à des jeunes d’accéder au plaisir du théâtre, le Centre dramatique fribourgeois instaure pour la première fois cette saison, le principe du « billet suspendu ». L’idée est simple: chaque spectateur peut acheter un billet en plus de son propre billet d’entrée. Ce billet supplémentaire sera suspendu à la billetterie et redistribué à deux associations choisies par la commune de Givisiez.
Les bénéficiaires de cette saison seront le Nid Clairval, foyer pour enfants et adolescents et la Société de jeunesse de Givisiez.
Le secrétariat du Théâtre des Osses répond à toutes vos questions à ce sujet.
026 469 70 01 ou info@theatreosses.ch http://www.theatreosses.ch/saison-17-18/botala-mindele
http://www.tvcom.be/video/culture/spectacle/l-invite-valerie-baucha...
BRUXELLES : « BOTALA MINDELE », CINGLANT, DRÔLE, FORT !
Bruxelles, correspondance.
CRITIQUE.« BOTALA MINDELE », écriture de Rémi De Vos, dramaturgie & mise en scène de Frédéric Dussenne, à 20’30 au Théâtre de Poche, à Bruxelles, jusqu’au 14/10/17.
Il pleut sur Kinshasa. C’est la nuit. Ruben, l’œil rivé à la fenêtre, et Mathilde, irritée par son comportement, attendent leurs invités, Corinne et Daniel, à dîner. La ponctualité est l’obsession de Daniel. Quitte à se garer non loin de la maison, il attend toujours le moment de faire son entrée à l’heure précise ! C’est en tout cas ce que pense Ruben. L’ambiance est plantée dans un décor blanc, sobre, clair. Comme celle d’un polar qui ne l’est pas, puisqu’il s’agit d’une comédie !
. Ruben fait des affaires avec le gouvernement congolais. Daniel a, lui, a un projet de caoutchouc qui implique les pouvoirs publics du pays. Il espère bien l’aide de son hôte pour entrer en contact avec le puissant ministre, invité lui aussi. Ce dernier n’est pas pressé. Mais il arrivera pour annoncer à Ruben que le chantier public qu’il était censé décrocher auprès de son gouvernement, passera finalement aux mains des Chinois. Ironie absolue ! «L’homme blanc qui se croyait sur le toit du monde» se fait doubler économiquement par l’empire communiste ! S’ensuivent des arguments de mauvaise foi qui laissent le ministre imperturbable. Cet homme blanc qui n’a jamais considéré l’Afrique comme un partenaire égal découvre qu’elle n’a plus besoin de lui. Une Afrique représentée dans la pièce par deux domestiques noirs, Louise et Panthère, sensuels à souhait, issus d’une nouvelle génération qui fait tourner la tête aux deux couples.
Le ministre parti sorti, tout s’effrite. Mépris, culpabilités, frustration sexuelle, névrose, sexisme. Tout éclate. Le spectateur, pris à partie dans ce tourbillon de sentiments, de ressentis, d’échanges durs et burlesques, éclate de rire pour ne pas pleurer.
Avec ce vaudeville à la Feydeau, le dramaturge français Rémi De Vos – dont les œuvres sont traduites dans une quinzaine de langues et jouées dans de nombreux pays – ne fait pas dans la provocation. Il utilise les fonctions du théâtre en posant les questions qui dérangent l’ordre et le système. Avec des dialogues cruels et précis et une humanité profonde. La mise en scène de Frédéric Dussenne renvoie, entre autres, à l’image de l’Occident qui perd progressivement son pouvoir d’influence et refuse de le voir. L’enjeu, pour le metteur en scène, « n’est pas de faire œuvre seul, mais de rencontrer l’autre. Dans un monde narcissique jusqu’à l’hystérie, c’est un exercice salutaire qui exige le dépassement de soi ».
La pièce, interprétée par les excellents comédiens Philippe Jeusette, Valérie Bauchau, Priscilla Adade, Ansou Diedhiou et Benoît Van Dorslaer, entre dialogues, musique et chant : J’y vais ! J’y cours !
Julia Garlito y Romo
http://www.atjv.be/Botala-Mindele
"Botala Mindele (Regarde l’homme blanc)".(Remi De Vos) : un miroir du néo-colonialisme***
Priscilla Adade et Valérie Bauchau dans Botala Mindele de Rémi De Vos m.e.s de Frédéric Dussenne; - © Eric Lauwers
Rémi De Vos n’y va pas par 4 chemins. Déjà dans Occident la caricature du couple était abordée tambour (raciste) battant. Déjà y brillait un "couple" théâtral hors normes, Philippe Jeusette et Valérie Bauchau, à la fois en contrastes et complémentarités. Frédéric Dussenne leur ‘servait’ déjà un magnifique couvert dramaturgique avec sa science de la direction d’acteurs et de leur mise en espace. Tout ce beau monde -De Vos, Dussenne, Bauchau, Jeusette- remet ça mais avec deux nouveaux couples, de blancs et de noirs. Avec des conflits d’intérêt et des chassés-croisés érotiques plus ou moins violents où le racisme est omniprésent. Et terrifiant. On est au Congo Kinshasa, ex-'belge', et le ‘deus ex machina’ final est un politique congolais qui " siffle la fin de la récréation " … coloniale : bye, bye Belgium, c’est l’heure de la Chine.
C’est court, resserré, avec une chorégraphie des couples en désir, drôle, cruelle, parfois écœurante. Une sorte de valse-hésitation bien cadrée entre le grandiloquent et le subtil, la mauvaise foi et le calcul égoïste, le hâbleur impuissant et la femme qui subit ou qui…retourne le gant, comme la domestique africaine. Avec au centre d’excellents acteurs, hyper connus comme Valérie Bauchau, Philippe Jeusette, Benoît Van Dorslaer et Stéphane Bissot. Et à découvrir, comme Ansou Diedhiou, Jérémie Zagba et Priscilla Adade.
Piqûre de rappel (la critique exhaustive de Dominique Mussche) : https://www.rtbf.be/culture/scene/theatre/detail_theatre-botala-min...
" Botala Mindele " de Rémi De Vos, m.e.s de Frédéric Dussenne:
-au Théâtre de Poche jusqu’au 14 octobre,
-à l’Atelier Théâtre Jean Vilar du 17 au 21 octobre
-au Théâtre de Liège du 24 au 28 avril 2018.
https://www.rtbf.be/culture/scene/detail_retour-a-reims-et-botala-m...