Dialogues des Carmélites, l’opéra le plus célèbre de Francis Poulenc (1899-1963) fut créé à Bruxelles en 1959, soit deux ans à peine après sa création à la Scala et à Paris. C’est une œuvre tragique magistrale, musicalement et dramatiquement. Elle a cette qualité royale : « la force » et « le dépouillement », pourrait-on ajouter. L’histoire de ces carmélites décapitées durant la Révolution française est connue par le récit qu’en fit l’une d’entre elles. Sur la nouvelle "La dernière à l'échafaud", de Gertrud von le Fort (1931), Georges Bernanos livre un dialogue de film qui sera publié en 1949, quelques mois avant que la mort ne l’enlève à un public fervent qui n’avait cessé de s’élargir.
Les nombreuses prières que comptent l’œuvre confèrent une aura sacrée à l’œuvre. Elles soulignent le refus du compromis et de la transaction. Elles cristallisent l’honneur chrétien : une relation fusionnelle de l’honneur humain et de l’amour du Christ pour les pauvres humains. Blanche incarne un miracle. La faiblesse, la fragilité et la peur sont transfigurées en héroïsme quand la terreur et la violence iconoclaste compromettent ce que nous avons d’élévation et de civilisation.
A la mort prodigieuse de la prieure, crucifiée par le doute sur la couche verticale de sa chambre de nonne, la grâce inonde l’esprit de la jeune Blanche comme une vague de tendresse éternelle. Ce mot « tendresse » effleuré par la sainte femme, mère de toutes les filles, elle se l’était réservé comme ma seule chose à emporter. Ce viatique pour l’au-delà est un trait d’union. La mort des carmélites qui n’ont pas renoncé à leur foi est un manifeste contre tout ce qui blesse ou avilit l’être humain. La délicieuse sœur Constance, accède aux plus hautes valeurs sans jamais les trahir grâce à ce que Bernanos nommait « l’esprit d’enfance ». Un mélange de pureté, de joie pure, d’idéal et de goût absolu de Dieu. Les deux interprétations de ces deux rôles de vestales sont immaculées, tout comme leur blanches robes! Les tableaux intimistes d'Olivier Py se succèdent et déploient de bouleversantes émotions. La tristesse du père qui voit sa fille se condamner au Carmel, la détresse physique et morale de la jeune Blanche qui est envahie par une peur maladive, les murs mouvants qui se referment sur les couleurs du monde, la souffrance et la peur délirante de la mort de la prieure vue du ciel, l’ultime rencontre de Blanche avec le chevalier de la Force désespéré de voir sa sœur s’enterrer vivante, la déroute des priantes universelles de l’amour face à la sauvagerie de l’invasion de la soldatesque, le caractère ambigu de l’aumônier démis de ses fonctions, tout est suggéré de manière minimaliste mais tellement chorégraphique, au sens étymologique du terme. Le mythe brille dans la caverne! Le point culminant de l’opéra est un point d’orgue poignant et sans doute inoubliable par sa majesté. Le sacrifice des nonnes sera libératoire lorsqu’elles s’éparpilleront une à une dans l’espace étoilé, à chaque coup de guillotine, leur prison terrestre s’étant ouverte à l’infini de l’univers. Vision extraordinaire d’alpha et d’oméga sur l’onde musicale du Gloria Patri… On a le souffle coupé!
L’Orchestre symphonique et les Chœurs de la Monnaie (chef des chœurs Martino Faggiani) Il n’y a pas plus vivant que les nuances de gris… dit-on ! L’interprétation du chef d’orchestre Alain Altinoglu, directeur musical de la Monnaie, à la tête de l’orchestre ne cesse de fasciner par le scintillement des émotions et la souplesse des atmosphères. Il ne cesse d’allumer mille et un feux. La palette des sentiments aussi sombres que les costumes et le décor est faite de veloutés, de crépitements, d’explosions, de signaux d’alarme prémonitoires, de plaintes, de craintes et d’héroïsme flamboyant, spirituel et charnel. Peter de Caluwe a réuni une double distribution éblouissante, choisissant parmi les plus belles voix féminines du chant français et belge : la soprano Patricia Petibon et la belge Anne-Catherine Gillet, dans le rôle de Blanche de la Force ; les sopranos Sandrine Piau et Hendrickje Van Kerckhove pour Sœur Constance de Saint-Denis ; la mezzo-soprano Sylvie Brunet-Grupposo pour Madame de Croissy ; les sopranos Véronique Gens et la jeune Marie-Adeline Henry dans le personnage de Madame Lidoine ; les mezzo-sopranos Sophie Koch et Karine Deshayes dans Mère Marie de l’Incarnation. Pour les rôles masculins, nous avons admiré la prestance du baryton-basse français Nicolas Cavallier dans le Marquis de la Force et l’intense jeune ténor Stanislas de Barbeyrac (débuts à la Monnaie) dans le Chevalier de la Force. Guy de Mey dans le rôle de l’aumônier … ce rôle, ambigu ? Nous nous interrogeons, au passage sur l’intrépidité de La Monnaie à oser présenter une œuvre qui met en scène l’héroïsme religieux et pour certains, une forme de fanatisme, qui devrait pourtant baisser pavillon par les temps qui courent… Provocation? Le public n’a qu’à réfléchir ! Sans nul doute! https://www.lamonnaie.be/fr/program/426-dialogues-des-carmelites en live sur operavision.eu 15.12.2017 diffusion sur Klara 13.01.2018 diffusion sur Musiq3 20.01.2018 streaming disponible sur www.lamonnaie.be/fr/streaming 10.01 > 30.01.2018 |
Commentaires
https://www.forumopera.com/v1/dossiers/7carm.htm
Dialogues des Carmélites un dossier proposé par Catherine Scholler. Argument (jean-christophe henry). Un opéra au coeur des interrogations du XXe siècle (bruno peeters). Retour aux sources (vincent deloge), Un opéra sur le martyre (jean-christophe henry). illustration - soeur st-alphonse - Antoine Sebastien ...
Loin des fresques flamboyantes adoptées pour Les Huguenots (2011) ou Hamlet (2012) sur cette même scène de La Monnaie, Olivier Py approche le chef-d'oeuvre de Poulenc avec toute l'épure et la sobriété attendues. Et ce, dès le deuxième tableau du premier acte, lors de l'entrée dans les ordres de Blanche, saisissante. Coproduit par le Théâtre des Champs-Elysées, où ils furent créés en 2013, ces Dialogues des Carmélites impressionnent. L'oeuvre, tout d'abord, écrite dans un grand élan d'enthousiasme, par Georges Bernanos, d'après le scénario d'un film sur la nouvelle "La dernière à l'échafaud", de Gertrud von le Fort (1931). La Révolution ne sert que de toile de fond. Poulenc, qui avait retrouvé la foi suite à la mort d'un ami, s'est petit à petit éloigné de son aspect "voyou" pour essayer d'atteindre le stade de "moine" (Cl. Rostand). La musique sacrée lui importait, et son Stabat Mater, comme son Gloria, comptent parmi les plus belles pages du genre au XXe siècle. Les Dialogues des carmélites ne sont certes pas un opéra "sacré". Aucune intrigue amoureuse, ce qui est très rare à l'opéra. La thématique centrale est le transfert de la grâce divine d'une prieure qui doute, affolée par sa mort prochaine, dans le corps et l'esprit d'une jeune carmélite qui, elle, vaincra ses craintes pour mourir sous la guillotine avec ses consoeurs. Musicalement, la partition, assez développée, se caractérise par un souci de la prosodie, hérité de Pelléas et Mélisande, et par une force dramatique inspirée de Moussorgski, Verdi, Wagner ou Massenet. Certaines scènes s'élèvent au sublime : la mort terrifiante de la première prieure, la dernière rencontre entre le chevalier de la Force et Blanche, puis celle avec Mère Marie en civil, et enfin cette montée finale à l'échafaud, tableau inoubliable, qui, à lui seul, résume tout l'opéra dans la mémoire de chacun. L'orchestre est normal ("celui de Verdi", précise Poulenc), mais finement employé, entre autres dans les si beaux interludes séparant les tableaux, comme la sarabande qui ouvre l'acte IV. Alain Altinoglu a fort bien saisi cette approche délicate et respecté un équilibre parfait entre la fosse et le plateau. Peter de Caluwe, en excellent directeur de casting, a réuni une distribution éblouissante. Avant tout, il faut saluer Patricia Petibon en Blanche de la Force : émouvante et tendue, sa prestation était exceptionnelle. A égal niveau, félicitons Sophie Koch en Mère Marie, à l'autorité cinglante, qui aurait bien voulu être seconde prieure. Celle-ci était incarnée par une Véronique Gens un peu distante, absente même, comme si elle laissait la suite de l'histoire à d'autres. Un grand bravo à Sophie Pondjiclis, soprano grecque, qui remplaçait Sylvie Brunet, indisposée. Sa grande scène, où elle meurt crucifiée, comme le Christ, qui lui aussi a douté à ses derniers instants, témoignait d'un sens prodigieux du tragique. La si gentille Soeur Constance était jouée avec éclat par Sandrine Piau. Mireille Capelle et Angélique Noldus chantaient impeccablement mère Jeanne et soeur Mathilde. La distribution masculine était dominée par Stanislas de Barbeyrac, très intense chevalier de La Force. Le marquis de Nicolas Cavallier n'intervient que dans la première scène, mais impose. Un grand bravo au vétéran Guy de Mey, magnifique aumônier, dont il bien rendu le côté ambigu.
Voilà une version d'un chef-d'oeuvre de l'opéra de XXe siècle que l'on n'oubliera pas de sitôt, par la perfection Bruno Peeters
Bruxelles, Théâtre Royal de La Monnaie, vendredi 8 décembre 2017
Patricia Petibon : « “Dialogues des Carmélites” pose une problématique bien contemporaine sur les peurs, la peur de ce que l’on ne connaît pas, la peur de l’autre, la peur de la peur... »
Infos et réservation : http://bit.ly/2obpiw3
À la découverte du chef-d’œuvre de Francis Poulenc : rencontre avec Alain Altinoglu. Retrouvez l’intégralité de l’interview le 8 décembre sur – http://bit.ly/2obpiw3
Dialogues des Carmélites, Georges Bernanos, éditions du Seuil 1949/1996, collection Points, 154 p.
EXTRAITS:
Deuxième tableau, scène I, p.29/31
Scène VIII, p.47
Troisième tableau , scène I, p.56/57
http://l-or-des-livres-blog-de-critique-litteraire.over-blog.com/ar...