XICA : DIALOGUE ENTRE DEUX FORMES DU VISIBLE
Du 27-02 au 17-03-13, l’ESPACE ART GALLERY (Rue Lesbroussart, 35, 1050 Bruxelles) propose une exposition centrée sur les œuvres de l’artiste Portugaise XICA BON DE SOUSA PERNES.
Force est de constater que de tous temps (et aujourd’hui plus que jamais !), l’art est le catalyseur d’une somme, en constante évolution, de spéculations philosophiques qui souvent s’entrechoquent pour entrer en conflit.
L’une d’entre elles est celle de l’ « abstraction » par rapport au « figuratif ». Toujours latente, presque en suspension tout au long de l’Histoire de l’Art, elle s’est imposée au début du 20ème siècle en tant que discours esthétique reconnu. Maintes fois galvaudé. Parfois falsifié. Néanmoins, jamais clairement défini (sinon superficiellement). Comme toute écriture, l’ « abstraction » et le « figuratif » évoluent à leur tour, selon les impulsions de la société. Peut-être pour réparer un malentendu, transformé au fil des années, en pléonasme. Si nous considérons que c’est avant tout l’imaginaire du regardant qui rend l’œuvre « abstraite », l’objet artistique en lui-même, n’est en rien « abstrait ». S’il ne suffisait que d’effacer toute présence de la figure humaine ainsi que toute référence relative au quotidien social le plus direct de la toile, alors tout deviendrait facile : telle œuvre est « abstraite » et le tout est joué !
Mais si, à l’instar de Madame XICA BON DE SOUSA PERNES, quelque ersatz de présence humaine hante le tableau, alors l’ « abstraction » se redimensionne en un espace scénique complexe, tout en conservant son pouvoir onirique.
Dans l’œuvre de cette artiste, les êtres et les choses acquièrent une nature diaphane, enveloppés dans une sorte de brouillard germinal qui les définit, au fur et à mesure que l’œil ajuste sa focale.
Qu’est-ce qui crée l’ « abstraction » dans l’œuvre de XICA BON DE SOUSA PERNES ? La lumière, assurément. Mais pas uniquement. La fine épaisseur de la matière étalée sur la toile fait de sorte que la scène soit le fruit de l’émergence créatrice résultant de l’alchimie entre la matière « organique » et la lumière « onirique ». Au fil du trait, les êtres et les choses, finement précisés, acquièrent une aura évanescente qui les libère de leur consistance charnelle.
Néanmoins, une question affleure à l’esprit du visiteur : pourquoi accompagner chaque tableau d’un titre ? C'est-à-dire, par un élément explicite ?
L’imaginaire ne suffit-il pas à interpréter l’œuvre ressentie ? A cette question, l’artiste répond que chacune de ses créations résulte d’un dialogue entre l’œuvre en gestation et elle-même. Le titre n’est là que pour préciser une émotion. Au visiteur, désormais, de la retraduire par le biais de sa propre sensibilité. Le titre devient, dès lors, non plus une barrière mais une porte ouverte, offerte à l’imaginaire du regardant.
Pour que l’œil englobe les œuvres de XICA BON DE SOUSA PERNES, il doit prendre par rapport à celles-ci une certaine distance, presque un certain élan, car ce n’est que de cette façon que la totalité de la composition s’affirme au regard, avec son cortège de détails. La figure humaine apparaît alors « émergeante » de la matérialité éphémère de l’arrière-plan opaque, noyé de l’éclat de la lumière rasante, à l’instar de JEUX D’OMBRES (acrylique sur toile – 80 x 80 cm).
DANSE TA VIE (acrylique sur toile – 3 x 60 x 120 cm)
nous dévoile une constante dans la technique de l’artiste, à savoir une harmonie entre brossage au pinceau et étalage au couteau, plus précisément, au racloir (et même à la carte de banque !). Tout ce qui permet aux strates de couleur de s’étaler en lignes fines et droites. Bien des zones regorgent de matière. Néanmoins, cette matière est étalée de telle sorte à ne jamais paraître pâteuse, ce qui aurait pour effet de rendre l’œuvre grossière. L’artiste joue entre les glacis et les matières en les aspergeant d’eau par projection pour assurer leur fluidité. Elle commence par étaler la couleur sur la surface de la toile pour la charger par la suite de matière par superpositions, créant ainsi un effet de surprise, à l’origine d’un dialogue intérieur entre elle-même et son alter ego pictural. L’acrylique est la matière commune à toutes les compositions présentées à l’ESPACE ART GALLERY.
L’artiste présente, à cette occasion, deux facettes de sa personnalité : une palette aux couleurs tendres, une autre à dominante rouge vif, presque fauve.
Parmi cette dernière, signalons notamment, FLASH BACK (acrylique sur toile – 80 x 80 cm).
La matière cache et laisse simultanément apparaître la figure humaine. Le chromatisme agit, selon l’axe visuel du regardant, à la fois de repoussoir et de levier révélateur à son émergence matérielle.
Le visage humain émerge à l’avant-plan, telle une masse fantomatique et imprécise, mettant en exergue trois personnages, situés à l’arrière-plan, compris au centre d’une zone irradiée de lumière. Vers le haut de la composition apparaît un très fin quadrillage de lignes droites, tracées au couteau. En haut, vers la gauche apparaît un graphisme non déchiffrable, une forme d’écriture en pleine gestation, non encore éclose, figée dans le signe non encore signifié. Des silhouettes noires, fortement stylisées, se détachent du fond de la même zone. Il est intéressant de remarquer la façon dont l’art moderne et postmoderne reprend souvent, dans l’expression plastique de la figure humaine, les mêmes traits que ceux proposés par l’art préhistorique et protohistorique, tracés au moment où la main de l’artiste concevait encore l’Homme comme une entité universelle, non encore individualisée dans ce qui allait être appelé l’« Histoire ». Peut-être faut-il y voir une recherche inconsciente de sa propre affirmation à cette spiritualité qui fait de l’Homme la parcelle d’un tout dont la manifestation prend l’essence du rêve. Cette ligne de démarcation, tendue comme un fil, entre le figuratif et l’abstrait est le fil d’Ariane à la suite duquel l’artiste se définit et trouve son équilibre vital.
Rien, entre l’écriture figurative et l’abstraite, ne révèle dans son œuvre aucune forme de rivalité, ni la moindre volonté de supplanter l’une par rapport à l’autre. Car elles s’inscrivent dans un même dialogue plastique, conçu dans un même équilibre.
L’artiste vit Paris. Elle a exposé, notamment, en Belgique et en Chine. Elle est diplômée de l’Ecole d’Architecture Saint-Luc (Bruxelles). En 2001, l’Académie Européenne des Arts lui a conféré le Médaille d’Or Internationale.
XICA BON DE SOUSA PERNES exprime ce que tout artiste porte au plus profond de son être : la matière participe de l’immatérialité ! Le reste n’est que théâtre, mise en scène. Cadrage et angles de vues pour accentuer le rendu d’un état d’âme et permettre ainsi au regardant, c'est-à-dire au recréateur de l’œuvre, la réinterprétation d’un univers selon les normes de sa propre sensibilité.
François L. Speranza.
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Arts
Commentaires
Décalage
Initiation au silence
Oui, toute oeuvre est soumise au recréateur, soit le regardant !
Merci pour votre commentaire élogieux ;) Je suis heureuse que cela fasse écho en vous et que le langage pictural existe donc bien réellement. Et en plus, ça fait du bien au moral dans ces questionnements qui jalonnent tout vrai parcours artistique et taraudent la créativité.
J'ai eu l'occasion de voir la préparation très bien avancée de l'expo. J'allais à la foire du livre, j'ai pu voir Jerry mais n'ai pu m'arrêter que qqs minutes. Je ne peux que recommander d'aller se rendre compte, de visu, de l'universelle et profonde beauté des oeuvres. C'est absolument magnifique. Quelle grâce, quelle subtilité, quelle élégance aux antipodes de la mièvrerie. A voir absoluut !
Merci à François L. Speranza pour le compte rendu détaillé de l'oeuvre de Xica Bon De Sousa Pernes à qui j'adresse toutes mes félicitations, j'aime beaucoup cette façon de peindre mi-figuratif mi-abstrait.
Adyne
Bravo pour cet enchainement de toiles retraçant mon parcours avec le jeu de la lumière.
Merci Robert Paul
Excellent !!!
Silences, mouvements et lumières, sur des oeuvres de Xica Bon de Sousa Pernes
magnifique travail . J'apprécie le jeux de mouvements et couleurs. Bravo! Dommage que je n'ai pu l'admirer en "vrai"