A mi-chemin entre deux réalités : Cinéma ou Théâtre ? Italie ou Europe-la-nordique ? Comédie ou leçon de philosophie ? Entre deux théories: le Big Bang ou la théorie de l’état stationnaire ? Entre deux visions du monde : celle de l’homme, celle de la femme ? La transhumance ou le home sweet home ?
Le décor est d’un réalisme enchanteur. Nous sommes au pays du Brunello. Le village en plein ciel se situe sur une pente escarpée. Une Fiat 500 a été abandonnée par trois voyageurs étranges au pied de la colline abrupte. Un éminent cosmologiste belge Monseigneur Georges Lemaître et son collègue le britannique Fred Hoyle accompagné de sa femme Barbara Clarke, tous personnages ayant existé, débarquent sur la place du village, au pied de l’antique pompe à bras devant l’auberge des voyageurs. Il n’y a pas de téléphone, juste des cigales éreintées par le soleil de midi, année 1957.
Virgilio, l’aubergiste a du mal à sortir de sa sieste. Mais c’est l’Italie, le bon vin et le respect de la robe, qu’elle soit ecclésiastique ou féminine, auront vite fait de lui rendre ses dons d’hospitalité. Langue locale, jovialité, bonne humeur, vin blanc, musique (de film !), voilà le début d’agapes réelles autour de nourritures autant terrestres que célestes. De quoi mettre en appétit le spectateur qui va assister à un duel verbal de hautes sphères, entre les deux éminences scientifiques.Chose peu commune au théâtre.
Monseigneur Georges Lemaître en route pour le Vatican est à la veille d’aider le pape Pie XII à rajuster de malheureuses prises de position concordistes à propos des nouvelles théories du Big Bang. Son collègue Fred Hoyle le taquine et de brillants échanges fusent entre les adversaires. Une façon indirecte de monter que le « disputare » n’aboutit pas nécessairement à la « disputatio »Il y a disputes et disputes. Cela semble être une des intentions de l’auteur Jean-François Viot.
Monseigneur Georges Lemaître, père scientifique de « l’atome primitif », distingue la notion de « commencement » de celle de « création », la première étant une entité physique, la seconde un concept philosophique. Il ne veut en rien mêler Dieu à la science. « Dieu ne se prouve pas, il se trouve ». Sir Fred Hoyle lui, n’a pas eu l’heur de trouver Dieu, il n’a trouvé que la femme, avec qui éclatent de belles crises domestiques. En effet, « Monsieur le savant toujours absent » donne la migraine à l’hyper-sensible Barbara (Maud Pelgrims) et la fait sortir de ses gonds sous ses apparences de jeune dame rangée des années 50. Les crises cycliques de sa femme sont bien à l’image de la théorie de « l’état stationnaire » prônée par son (tendre ?) mari, postulant qu’à une large échelle, l’Univers est partout le même, qu’il l’a toujours été et qu’il le sera toujours.
Empoignades scientifiques et domestiques alternent avec des leçons de science extrêmement ludiques et illustrées. Les postures et les déplacements et les silences éloquents des deux hommes de sciences, si opposés physiquement et mentalement, sont une source de comique inépuisable. La prestance de chat mystérieux de Alexandre Von Sivers en soutane et l’accoutrement du malicieux François Sikivie en costume anglais font pouffer de rire. Virgilio l’aubergiste (Grégoire Baldari), un nouveau dans la Commedia dell’Arte ? se prête gracieusement à l’exercice de pédagogie active qui utilise ballons et grains de riz. Massimo (Michael Manconi), son jeune neveu, est tout aussi drôle et réaliste. Imperturbable, Virgilio sert généreusement les cantucci et le vin de cette messe scientifique, comme au cinéma.
Une pièce savante et marrante quand même, un curé débonnaire, un mari qui ne manque pas d’airs, et l’homme toujours, comme toujours il l’espère : sur le devant de la scène, immuable tableau! Dans une Toscane de rêve.
Soulignons enfin que la mise en scène est signée Olivier Leborgne. Une aventure où l’excellente scénographie d’Edouard Laug et la construction du décor par l'équipe de Marc Cocozza, Christophe Beaugé et Mathieu Regaert sont des éléments indispensables au spectacle, sans compter la poésie des lumières de Laurent Béal.
http://www.atjv.be/fr/saison/detail/index.php?spectacleID=496
Une production de l’Atelier Théâtre Jean Vilar et du Festival Royal de Théâtre de Spa. |
Exposition Georges Lemaître présentée par les Archives Georges Lemaître (UCL) : Panneaux et vidéo sur le parcours de Georges Lemaître, accessibles lors des représentations.
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19 au 24 février 2013 Théâtre Jean Vilar Durée : 1h30 |
Commentaires
Chère Deashelle,
Je suis bien en retard pour vous envoyer des commentaires sur vos deux derniers envois, toujours si bien troussés. Je ne sais si j'aurais apprécié vraiment ces parlotes savantes, même humoristiques et bien emballées. En revanche vous m'avez donné l'envie de relire "Les Femmes Savantes". Molière est décidément inépuisable, pour ses fidèles admirateurs dont je suis. Traverser aussi allègrement les siècles, ce n'est pas rien!
Merci pour le partage ,j'apprécie le théâtre et votre article en particulier
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Merci Deashelle pour ce savoureux article. Le sujet de la mystérieuse création de l'univers ainsi que les théories qui y sont associées m'intéressent beaucoup. Malheureusement j'ai raté ce spectacle. Y aura-t-il peut-être une reprise, pour plus tard?...