Commedia dell’arte
Dans ce théâtre miniature, autour de la table dressée et des victuailles, évoluent les personnages bigarrés de la Commedia dell’arte, Arlequin, Pierrot (Pedrolino), Crispin… Tous en verre filé et émaillé, travaillé à la lampe. Une technique des verriers vénitiens
du XVIe siècle, ici remise au goût du jour par des artisans nivernais
du milieu du XVIIIe siècle.
(atelier du maître émailleur Jacques Raux ? Musée national de la Renaissance, Ecouen)
« Pauvres gens qui n’ont ny pain ny dents
sont bien empeschez de faire crouste. »,
Jean Gracieux, alias Bruscambille, alias Des Lauriers (1575-1634),
comédien de l’Hôtel de Bourgogne.
Attention ! le brigadier va frapper, la pièce va se jouer, ce sera une bringue à tout casser avec Brighella et ses acolytes acoquinés…
Bateleurs et charlatans sur la place Saint-Marc, mime et pantomime,
batellerie et tours de passe-passe.
Giacomo Franco (1550-1620)
Farces et sotties à Paris, momeries à Venise.
Viens voir les comédiens, voir les musiciens, voir les magiciens…
Avec Maître Mondor et Tabarin (Philippe et Antoine Girard, dits),
pour lesquels les larmes « defchargent grandement le cerveau », acteurs et
marchands d’orviétan pour ceux qui avaient mauvaise mine place Dauphine (1622).
Accueillons le sieur Cabotin, saltimbanque et bonimenteur itinérant :
« Cabotin ne peut vivre au monde
Sans faire rire & plaifanter,
En tant de fecrets il abonde
Qu’on eft contrainct de l’efcouter. »
Et devisons gaîment…
« Il y a deux espèces de convives, ceux du dîner et ceux du souper ;
ceux du dîner sont souvent, presque toujours, des personnes sérieuses, âgées, des obligations, des ennuyeux.
Mais le souper, c’est différent ; il faut des qualités très difficile à réunir,
dont la plus indispensable est l’esprit.
… Là, seulement, on cause. »,
Henriette Louise de Waldner de Freundstein,
baronne d’Oberkirch, excusez du peu (1754-1803)
Et n’oublions pas, précise Alain (1868-1951), que « Le rire est le propre de l’homme, car l’esprit s’y délivre des apparences », et « châtie certains défauts », ajouterait Henri Bergson (1859-1941), c’est « la seule cure contre la vanité. » En liminaire, voilà des propos de table bien réjouissants, mais poursuivons notre peinture des mœurs al dente.
« Qu’est-ce que le rire, sinon un reflet du ravissement de l’âme »,
Dante Alighieri (1265-1321 ; Le Banquet ou Il Convivio)
Scène de banquet
Niccolò Soggi (att. à ; 1480-1552)
Huile sur bois (abbaye de Chaalis, Oise)
Au son d’une trompette bien embouchée, becs fins, ne faites pas la fine bouche.
Peindre le boire et le manger, les jeux de l’amour ou du hasard, soit, ces thèmes sont récurrents. Mais peindre le rire, l’ironie, voire le sarcasme (« La meilleure philosophie, relativement au monde, est d’allier à son égard le sarcasme de la gaieté avec l’indulgence du mépris. », Chamfort, 1740-1794), pour le provoquer, voilà qui n’est pas banal et vaut qu’on s’en paye une bonne tranche. Car, si « rire de tout ce qui se fait ou se dit est d’un sot ; rire de rien est d’un imbécile. », Erasme (1466/67-1536).
Burlesque (de l’Italien burla, plaisanterie), grotesque, bizarrerie, parodie… enrichissent, quoi qu’il en soit, le vocabulaire pictural. Attendu qu’il est manifeste que toutes ces toiles sont faites pour provoquer.
Provoquer la parole. Leur cadrage serré autour de plusieurs personnages qui vous invitent à participer, à entrer dans la danse. La table est mise, les festivités vont commencer, les langues se délier, les traits d’esprit fuser, avec ces…
« Frisques, gualliers*, joyeux, plaisants, mignons,
En général tous gentils compagnons. »
François Rabelais (1494 ?-1553)
* Gaillards et lurons.
Joyeuse compagnie
(ou Banquet caricatural, ca 1575)
Bartolomeo Passerotti (1529-1592)
Collection particulière
« Grande tétine, longue tétasse
Tétin, dois-je dire besace ? »,
Clément Marot (1496-1544)
Doit-on ne voir dans cette œuvre que paillards braillards
ou une charge contre le vice à caractère moralisant ?
Au premier plan (légèrement hors champ) des allusions explicites (gousse d’ail, saucisse sèche, figue ouverte) pourraient a contrario le laisser penser.
De même les têtes de Maures, hallucinées et langues pendantes.
Cela reste malgré tout du côté obscur de la farce,
comme cette maxime de Joseph Delteil,
lauréat en 1925 du prix Femina :
« Tâte ta saucisse à la Sainte-Agathe
Et ton saucisson à Pâques fleuries. »
Comprenne qui voudra.
Quoi qu’il en soit,
« Tétin qui porte tesmoignage
Du demeurant du personnage. »,
Marot
Scapin (Jacques Callot, 1592-1635)
Musiciens ambulants
Bernardo Strozzi (1581-1644)
Chalumeau, flute à bec et musette. Mazette, il semble qu’il Cappuccino Genovese, comme on surnommait Strozzi, manie encore l’art de l’équivoque. Musique et lecture profanes peut-être, que parait partager l’auditeur hagard derrière la flutiste. Honni soit qui mâle y pense,
mais interloqué lorsque j’apprends qu’à Venise une putte était une vierge,
une jeune fille, orpheline des ospedali, destinée au chœur de l’église ! Que les scuele piccole étaient des confraternités consacrées à la charité,
aux exercices de piété, commandant à l’occasion des œuvres d’art !
Le joyeux violoniste
Gerrit van Honthorst (1590-1656)
Un tronie (portrait) plein d’ironie, où Gherardo delle Notti, comme on l’appelait en Italie, montre que le musicien porte autant d’intérêt au vin qu’à la musique de l’âme.
Provoquer l’hilarité, tant du hobereau que celle du maraud en maraude, de la grosse rigolade au rire sous cape, selon affinités.
Derrière le rictus ou le masque du carnaval, les barrières sociales sont abolies. De la complicité nait le rire - quitte à s’attirer le courroux des pisse-froid -, la franche camaraderie, le laisser-faire et le laisser-aller, même si ce n’est pas une valse, on s'offre encore le temps de s'offrir des détours du côté de l'amour.
« Et je veux qu'on rie
Je veux qu'on danse
Je veux qu'on s'amuse comme des fous
Je veux qu'on rie
Je veux qu'on danse
Quand c'est qu'on me mettra dans le trou. »,
Jacques Brel (1929-1978)
En attendant, nous ne sommes pas de bois, portons un toast, pour « ce que rire est le propre de l’homme », car :
« Jamais homme noble ne hait le bon vin : c’est apophtegme monacal. »,
Rabelais
Ce à quoi semble répondre, quatre siècles plus tard, l’abbé Noël Chabot (1869-1943) :
« Au seul vin de Monbazillac
Tu te cuiteras crânement. »
En chœur, mes verts coquins, reprenons l’hymne des épicuriens.
« Lever matin n’est point bon heur
Boire matin est le meilleur. »,
Rabelais
L’abbé Chabot fermant le ban d’un sermon qui sera repris en canon :
« Frères, si vous voulez monter au Paradis
Et obtenir de Dieu le sublime pardon,
Comme Jésus en vérité je vous le dis :
Venez de mon vin blanc vider quelques ballons. »
Provoquer l’ordre moral dominant et l’autorité religieuse. De nombreuses allusions sexuelles ou scatologiques parsèment ces tableaux, bravant autant la curie que les bien-pensants, aguichant le spectateur. Le rire déclenchant l’ire du vertueux comme du monsignore chargé de veiller à la bonne tenue de ses ouailles selon la Règle de Saint Basile, pour qui Jésus lui-même n’a jamais ri. Allez, curé, je t’aimais bien tu sais.
Mais quand il s’agissait d’aller à confesse, ce n’est assurément pas à s’agenouiller derrière la grille du confessionnal que ces gaillards pensaient, mais plutôt à la gueuse qui les attendait derrière les murs du bâtiment dédié au Seigneur, n’en déplaise à leur directeur de conscience.
« Mes beaux pères religieux
Vous dînez pour un grand merci ;
Ô gens heureux ! Ô demi-dieux !
Plût à Dieu que je fusse ainsi !
Comme vous, vivrais sans souci ;
Car le vœu que l’argent vous ôte,
Il est clair qu’il défend aussi
Que vous ne payiez jamais votre hôte. »
Victor Brodeau ( ?-1540)
Et quand le diable vous invite, il faut venir avec une longue cuillère, quand bien même on ne craint pas de manger le lard en Carême.
Le Satyre chez le paysan
Jacob Jordaens (1593-1678)
Michel Lansardière (texte et photos)
Les pitres s’offriront un dernier tour de piste avec un nouveau chapitre consacré à ce genre pictural si particulier.
En attendant, vous pouvez retrouver ici :
Frangipane et autres menus plaisirs (Niccolò Frangipane) :
https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/frangipane-et-autres-...
Campi, à l’italienne (Vicenzo Campi, 1ère partie) :
https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/campi-l-italienne-1-r...
Campi, à l’italienne (Vicenzo Campi, 2e partie) :
https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/campi-l-italienne-2e-...
Passerotti et autres mets délicats (Bartolomeo Passerotti, 1ère partie) :
Le rire dans l'art et l'art d'en rire (discours et fantaisies de fin de banquet) :
Commentaires
Merci à tous ceux qui m'ont rejoint ici, et en particulier à Barbara, Liliane et Jean-François pour vos commentaires et appréciations.
Ce que vous nous présentez, Michel, en textes et reproductions est le résultat de pas mal de recherches. J'aime, bien sûr, et vous remercie chaleureusement de nous consacrer ce temps.
Encore merci pour cette nouvelle mise en exclusivité de ce billet, je n'ai pu résister à ajouter cette Scène de banquet attribuée à Soggi vu dans la galerie du "second" musée Jacquemard André de Chaalis (Oise), un lieu que j'aime tant à fréquenter.
Lisette, Liliane merci pour vos appréciations, signes amicaux qui m'engagent à poursuivre.
Jacqueline, Michel vos commentaires me réconfortent, merci à vous.
Merci pour ce beau document
Un petit régal!
Avis aux lecteurs :
Je m’efforce d’offrir les meilleurs billets qu’il me soit possible, aussi, si vous aimez mon travail, n’hésitez pas à cliquer sur « j’aime », ce sera manière de payer son écot à notre table d’hôte et un petit geste fort apprécié, quand bien même :
« C’est bien dîné, quand on échappe
Sans débourser, pas un denier
Et dire adieu au tavernier
En torchant son nez à la nappe. »
N’en déplaise à François Villon (1431-1463).
C'est gentil Jean-François. je vais déjà compléter celui-là avant de donner un épilogue à cette série, puis reprendre Aphrodite à qui je n'ai pas tout dit.
Merci Jacqueline pour la visite et l'appréciation laissée sur cette page.