My Fair Lady à Bruxelles
Auriez-vous eu par hasard vent de l’exposition sur la vie d’Audrey Hepburn, « Intimate Audrey »* , créée cette année à Bruxelles par son fils Sean Hepburn Ferrer, pour fêter les 90 ans de sa mère, dans la ville natale de l’artiste ? Celle-ci se tient depuis le 1er mai et jusqu’au 25 août 2019 dans l’Espace Vanderborght. Sielle est passée inaperçue et qu’elle ne vous a pas particulièrement fait dresser l’oreille, voici pour l’artiste comme pour nous, un merveilleux cadeau.
Il est offert par le festival « Bruxellons » qui propose un « My Fair lady » éblouissant, vigoureux comme aux premières heures, débordant de verve et de bienveillance. Une splendide façon de fêter les 20 ans du festival ! Sous la direction artistique de Daniel Hanssens qui s’est saisi du sujet des charmes de la phonétique anglaise et de la fable sociale, ce cadeau vous attend au château du Karreveld à Molenbeek, dans une version de comédie musicale bruxelloise inédite, peaufinée et impeccable.
La mise en scène est de Jack Cooper et Simon Paco. C’est un spectacle de haut niveau qui plaira au beau monde comme aux chats de gouttière. Tout y est beau et soigné : les décors, les costumes, la scénographie, les ensembles, les chorégraphies, le chant, et bien sûr la phonétique : irréprochable! Même transposée en français !
L’histoire
Qui ne se souvient donc pas des remarquables talents d’actrice d’Audrey Hepburn en 1964 et de sa présence hypnotique à l’écran, dans cette comédie musicale unique en son genre, même si pour les chansons, sa voix avait été doublée ? Elle sera à jamais associée au personnage d’Eliza Doolittle en interprétant le parcours fabuleux de l’insolente jeune vendeuse de violettes à l’accent cockney épouvantable, qui guettait quelques sous auprès de grands bourgeois au sortir de l’Opéra… dans le très pittoresque Covent Garden du début du XXe siècle. Incroyable coup du sort, Le colonel Pickering lui achète une fleur et son ami distingué phonéticien se prend au jeu de vouloir faire passer la gueuse pour une duchesse grâce à la qualité de ses manières et de son langage.
L’origine du spectacle
Georges Bernard Shaw avait commencé à écrire sa pièce « Pygmalion » au printemps 1912. La pièce fut jouée la première fois en 1913 en allemand, en Autriche, avant d’atteindre les feux de la rampe à Londres un an plus tard. Mais, toute sa vie, jusqu’en 1950, date de sa mort, Georges Bernard Shaw refusa que l’on adaptât sa pièce « Pygmalion » en opérette, repoussa tout essai d’adaptation cinématographique, hormis celle de 1938 avec Gabriel Pascal, où il conserva une supervision constante de l’adaptation. Penguin is Penguin (books) of course, le texte c’est le texte ! Librement inspiré du mythe grec de Pygmalion et de Galatée (popularisé par le poète romain Ovide dans ses Métamorphoses), « Pygmalion » et « My fair Lady » partagent beaucoup de points communs avec la satire sociale de Shakespeare, « The Taming of the Shrew », dans laquelle un homme brutal apparemment (mais pas tout à fait) se mesure à une femme à l’esprit libre. Si bien que Georges Bernard Shaw se disputa avec les metteurs en scène qui osèrent à maintes reprises vouloir donner une fin romanesque à l’histoire en l’ouvrant sur le mariage du Professeur Higgins et de sa protégée.
Foin des romances à deux balles
Si la jeune femme s’est construite grâce au professeur, l’admire sincèrement, et a vécu une relation unique avec lui, elle est devenue une autre personne et s’affranchit totalement de son influence. Shaw tient en effet à dénoncer la société anglaise où les femmes se laissaient soumettre. Si les femmes de plus de 30 ans peuvent voter en Angleterre dès 1918, Il faut attendre la loi de 1928 qui donna le droit de vote aux femmes à 21 ans quel que soit leur état de fortune. Vote For Women! La mise en scène n’a pas raté l’occasion de le souligner !
Les textes
Cette version bruxelloise francophone** de la comédie musicale est fidèle aux textes et à l’époque. Quel bonheur ! La libre traduction de Stéphane Laporte est d’une grande saveur et d’une belle empathie littéraire. La musicalité de la langue anglaise a trouvé des échos francophones pleins de charme et de vivacité. Cette adaptation soignée sous la direction d’Olivier Moerens donne une performance remarquablement aiguisée du flegme anglais, incarné par le très rusé professeur Henry Higgins dont l’excellent Frank Vincent tire une interprétation très juste. Le personnage est archi plein de lui-même, archi fier de sa condition de « vieux célibataire confirmé », psychologiquement à côté de ses satanées pantoufles en matière de sentiments, inconscient du mal qu’il fait, mais étrangement sympathique.
Sous les étoiles
L’humour pétille sous les étoiles dans la cour du château du Karreveld. Les petites gens sont aussi bien campées dans le verbe, que les habitués d’Ascott. Décernons aussi de multiples médailles pour les fabuleux costumes signés Béatrice Guilleaume et la scénographie de Francesco Deleo, les divines coiffures d’Olivier Amerlinck, les maquillages et perruques de Véronique Lacroix. Aux chorégraphies Kylian Campbell, aux lumières Laurent Kaye. A la direction musicale de l’orchestre, des solistes et des chœurs, la pétulante Laure Campion assistée parJulie Delbart. L’image est retransmise sur des écrans discrets pour ceux qui s’intéressent à la magie de la baguette. Un orchestre live de 12 musiciens joue en effet dans la Chapelle du Château, respect aux instruments… mais ils viendront saluer le public qui trépigne de bonheur.
Les voix
La vigoureuse gouvernante du Professeur Higgins, Mrs. Pearce, a de l’ascendant. Elle lui rappelle « qu’on ne ramasse pas une fille comme on ramasse un galet sur la plage !» Elle est une voix de la raison. Elle représente la voix traditionnelle, maternelle, de la classe « inférieure ». Elle se rapproche rapidement d’Eliza qu’elle entend protéger… Un rôle à la mesure de Laure Godisiabois au mieux de sa forme.
Mme Higgins, la mère du professeur représente aussi la voix de la raison. Elle est jouée par Jeanine Godinas, royale. Emouvante, et sensible lorsqu’elle se prend d’amitié pour Eliza. Comme dans sa jeunesse, elle est féministe en diable et finalement insensible aux peines de cœur de son fils qui n’a toujours pas grandi malgré ses exploits linguistiques!
La troisième voix de la raison est bien sûr celle de Mr. Pickering (François Langlois), subtilement paternel, nanti de cette bienveillance qui lui fait traiter la bouquetière comme une duchesse, contrairement à son ami Henry Higgins !
Et puis il y a la voix du coeur, celle du « love at first sight », sublimement « love me tender ! » : Samuel Soulie dans le rôle de Freddy. Eliza succombera-t-elle ? Elle demande à voir…
Le rôle-titre
Eliza Doolittle, affligée d’un parler populaire à couper au couteau, d’une phonétique branlante, d’une grammaire inexistante et d’un vocabulaire de charretier, succombe à la promesse condescendante du rusé linguiste, rêvant d’élévation sociale. Il parie que son entraînement intensif à la grammaire, style et élocution transformeront Eliza en objet désirable – l’œuvre dont il tombe en fait amoureux- employable, une fois l’expérience réussie, pourquoi pas dans un magasin de fleurs avec pignon sur rue ? Mais le pari gagné, Eliza Doolittle se retrouve seule. Elle se rebiffe et s’en va en claquant la porte. Bel exemple d’expérience sociolinguistique réussie, elle est dans une position délicate. Que va-t-elle devenir ? Comment subvenir à ses besoins avec le genre de compétences qui lui ont été données ? Elle est devenue « autre ». Il n’y a pas que la main de l’homme qui fasse mûrir le fruit ! L’interprétation irréprochable de l’artiste française Marina Pangos est empreinte d’humanité profonde. Elle fait rire, elle fait pleurer, elle fait réfléchir, se poser des questions. Fera-t-elle fléchir la misogynie universelle ? Ce rôle central est un catalyseur d’interrogations. Le maintien est celui d’une reine. Le jeu est sûr, la voix est belle, la métamorphose sublime, le résultat de la performance admirable : une force théâtrale et musicale surprenantes. Pourtant, à vrai dire, l’intrigue était finalement bien mince!
Mais pas que
Le père de la jeune femme a aussi bien des choses à nous dire et à partager. La vis comica de l’éboueur Doolittle (Daniel Hanssens) emporte par sa faconde et sa jovialité. Les petits ont autant d’arrangements que les grands bourgeois. A ses dépens, le très philosophe Monsieur Alfred Doolittle pleure la perte de sa liberté envolée, une fois contaminé par l’argent reçu d’un improbable héritage et dont il ne saurait se départir ! Le voilà obligé de vivre pour les autres au lieu de ne vivre que pour lui-même ! Mais malgré les coups de griffes à la bourgeoisie bien établie, la bonne humeur reste. C'est le plus bel héritage de ce spectacle hors pairs, fable vivifiante et festive.
Dominique-Hélène Lemaire Arts et Lettres
crédit photos: Gregory Navarra
Commentaires
merci Paul pour l'info belle journée à toi ! Artemisia
Je remercie vivementRobert Paul pour avoir encore une fois envoyé à tout notre réseau,via email, cet article qui me tient à coeur! Ex prof d'anglais oblige!