Luisa Miller de Verdi
Avec Patrizia Ciofi, Gregory Kunde et Nicola Alaimo
Du 26 novembre au 7 décembre
L’histoire est poignante et romantique à souhait: deux amoureux candides s’aiment passionnément dans le Tyrol du XVIIe siècle…. Ou sur le bord de la côte Amalfitaine, autour la deuxième guerre mondiale ? Luisa refuse le parti que lui propose son père, un certain Wurm. Quand le comte Walter apprend l’idylle que son fils Rodolfo entretient avec la jeune paysanne, alors qu’il le destinait à sa cousine, la duchesse Frederica, il fait enfermer Luisa et son père. Pour le libérer, la jeune fille accepte un odieux chantage qui lui fait écrire une lettre où elle renie son amour pour Rodolfo, avoue qu’elle ne le courtisait que par ambition et accepte l’horrible Wurm comme mari. Lorsque Rodolfo prend connaissance de la lettre, il est effondré. Le jour de ses noces forcées avec la duchesse, il retrouve Luisa et la force à partager avec lui une coupe de poison...pour s’apercevoir ensuite que la jeune fille est pure et innocente.
Au lever du rideau, un paysage lumineux aussi radieux que le cœur de la jeune Luisa s’offre au spectateur. Lorsque le plan incliné se replie, on se trouve enfermé dans les murailles d’un sombre château aux allures de cachot. Lorsque le paysage revient, des arbres gracieux vont et viennent jusqu’à ce que deux d’entre eux se retrouvent tristement abattus dans le dernier tableau. La scénographie aérée et lumineuse, fait une très belle place aux âmes chantantes du chœur, au chant des solistes et à l’expression des corps. Le chœur est une sympathique foule de villageois et villageoises idéalisés, quatre jeunes enfants en tête, symbolisant la lumière et la vie, qui inonde régulièrement le plateau de bonheur musical. On les voit sans cesse se retirer avec effroi, hors champ pour échappe à l’arbitraire et à la méchante humeur des puissants. Marcel Seminara leur a donné des couleurs diaphanes, légères et aériennes.
C’est au chef d’orchestre Massimo Zanetti, que nous devons le souffle orchestral sublime de la soirée. Sa direction musicale est extrêmement raffinée et sensible. Des rubatos gorgés d’émotion, d’une délicatesse inouïe, fusent de toutes parts, que soit de la part des instrumentistes ou de celle des chanteurs. De notre place, au premier balcon on pouvait suivre aisément sa gestuelle qui faisant de lui un véritable danseur sur le fil de l’âme de la musique. Il jongle avec les rythmes, ménageant de profonds silences, faisant la part belle aux ensembles a capella et recueillant avec piété leur dernière note avant de la passer à un orchestre totalement complice.
Cet opéra est construit sur plusieurs axes. Une histoire d’amours contrariées qui se termine de façon tragique, une analyse sans concessions des sentiments paternels et filiaux, et un axe de critique politique et sociale en filigrane qui appelle à la rébellion contre le despotisme et les oppresseurs. La reine du spectacle est évidemment Patrizia Ciofi, une soprano lyrique léger très convaincante. Un petit bout de femme bien frêle à côté de son imposant père incarné par l’attachant baryton Nicola Alaimo. Celui-ci est bouleversant dans les pressentiments tragiques qui l’assaillent. Patrizia Ciofi réussit à dégager une image d’innocence et de pureté de madone merveilleuse. De façon déchirante, elle sacrifie son amour pour sauver la vie de son père et se retrouve le conduisant comme une Antigone moderne au bras d’un Œdipe aveuglé de larmes. Ils fuiront, l’aube venue, mais ensemble! Mais ses derniers pas seront ceux qui la conduisent elle et son amoureux moribond vers le bonheur éternel de l’au-delà, sous le regard éploré du père. La voix n’est jamais forcée. Une voix qui paraît presque avoir une vie propre, tantôt une onde de bonheur radieux, tantôt des vagues de chagrins indicibles. Elle lâche des constellations de vocalises et des cascades d’émotions à vif avec une fluidité extraordinaire. Parallèlement, le jeu théâtral de la chanteuse est d’une richesse étonnante et d’une grande crédibilité dans la scène bouleversante où elle s’est laissée mourir de faim !
Les rôles masculins qui l’encadrent n’ont rien à lui envier. Rodolfo interprété par le très subtil Grégory Kunde, un remarquable ténor américain d’une très belle carrure, est une révélation de la soirée. Son sens aigu du drame et des climax de l’œuvre rend son interprétation passionnante, tantôt solaire, tantôt ténébreuse. Les très belles basses du Comte Walter (Luciano Montanaro) et du perfide Wurm (Balint Melis) soulignent à merveilles la noirceur des machinations, de la haine et de la soif de pouvoir, cette peste universelle.
Retransmission sur Culturebox jeudi, 4 décembre 2014
Commentaires
Dire qu'une représentation d'opéra relève de l'alchimie est une évidence. De la rencontre entre œuvre, mise en scène, direction d'orchestre, artistes – entre autres – dépend la réussite de la soirée, on le sait. Assister à la conjonction de ces différents facteurs reste un miracle dont on ne se lasse pas d'être le spectateur privilégié. Ah, vivre ce moment magique où, après avoir lentement convergé, les éléments fusionnent et, ressentir, vive, l'émotion qui jaillit de cette fusion. C'est cette expérience unique que propose l'Opéra de Liège avec la reprise de la production de Luisa Miller déjà présentée en 2005. Lire la suite ici:http://www.forumopera.com/luisa-miller-liege-miracle-dune-alchimie