Mexico, 1918-1991
Autoportrait de l’artiste adolescent
(aquarelle et brosse, 1935)
« Que dire de ce que l’on aime
et comment le faire aimer ? »,
André Breton
(préface au catalogue de l’exposition « Mexique », 1939)
Avec les Contemporáneos d’autres figures s’imposent…
Trois billets pour faire pendant aux « Trois Grands », voilà qui n’est finalement pas trop pour une telle mosaïque de talents. Et atteindre « la réalité magique d’une autre culture » perçue par Antonin Arthaud.
En marge du muralisme, on trouve les Contemporáneos, moins idéologues, poètes sans papiers. Alors on colle des étiquettes. Bien pratique pour écrire mon papier, le rendre apparemment plus cohérent, mais pas toujours très juste. On adhère ou pas, les groupes sont poreux, les artistes évoluent et sont souvent inclassables, à contre-courants.
A défaut on parlera de modernisme, teinté de régionalisme, pour un peintre comme Jesús Helguera (1910-1971) par exemple, d’un symbolisme très nationaliste.
Patrie
(photo captée sur le net)
Mais place à deux représentants dûment estampillés Contemporáneos :
San José (Costa Rica), 1912-Mexico, 1998
Nus au drap
(huile sur toile, ca 1938)
Colima, 1897-Mexico, 1957
Nature morte
(huile sur masonite, 1956)
Nature morte
(huile sur toile, 1954)
Parallèlement on croise des surréalistes ou apparentés, dont nous avons déjà rencontré quelques porte-paroles. Ici, avec ce « sens inné de la poésie, de l’art » (Breton), la terre est fertile.
Mexico, 1896-1971
Nu
(huile sur toile, 1935)
« Ô ciel de terre ô mer agile
Encerclée de corps
Ô légitime soif pavée de courbes
Timide si la peau qui brille
Perle en toute délectation
Sous la fumée vibratoire de la chaleur des étoiles
Invisibles »,
César Moro
Mexico, 1915-2000
Paysage
(huile sur masonite, 1955)
« Dans chaque tableau de Gerzso, il y a un secret invisible. »
« Géométries de feu et de glace bâties sur un espace qui se déchire :
suspension des lois de la pesanteur. »,
Octavio Paz
Auxquels on pourra ajouter Jesús Reyes Ferreira (1880-1977), dit Chucho Reyes, autodidacte à la verve poétique.
Jusqu’à… la Ruptura. Groupe aux contours flous d’artistes qui voulaient simplement affirmer leur liberté de créer, offrant ainsi des perspectives quelque peu discordantes et novatrices.
Mexico, 1929-1999
Reine à la tête de chien
(huile sur toile, 1961)
Peintre du « radicalisme passionnel » selon Octavio Paz,
où « meurtres et résurrections » seraient les « rites interminables de la passion », « une étreinte qui serait un combat »,
pratiquant l’art du détournement
(ici de La reine Marianne d’Autriche de Diego Vélasquez),
un peu à la manière de l’Espagnol Antonio Saura,
sans parler de Picasso, ou du Britannique Francis Bacon.
Ou déviant peut-être même Francis Picabia (1879-1953) dessinant « Le portrait de la reine du Pérou » et décrivant ces chiens qui « n’eurent bientôt d’autre ressource que de manger leurs maîtres », lorsque « l’un d’eux apporta dans la hutte de Dingue la tête de l’Indienne dont il était amoureux. » « Alors, prenant la tête de la femme de la gueule du chien, il s’amusa à la lancer. » Association inconsciente ? Hasard objectif ? Travail onirique ?
Le fait est que La reine Mariana de Gironella, un assemblage très Dada comprenant une tête de chien naturalisée, et Le double monde de Picabia ornaient le mur de l’atelier d’André Breton.
Association libre
Apparentement terrible
Etrange coïncidence…
Orang-outan
(bronze, 2014)
Refermons notre polyptyque consacré au Mexique. Mais, avant cela…
Quid du Mexique aujourd’hui ? Que dire qui n’ait déjà été dit ?
Mexico, cœur palpitant d’une autre Amérique, n’en finit pas d’inventer son propre langage pictural et il faut au moins citer d’autres de ses enfants turbulents de l’art contemporain, tels Juan Soriano (1920-2006), Pedro Coronel (1923-1985), son frère Rafael Coronel (né en 1931), qui fut le gendre de Diego Rivera, Manuel Felguérez (né en 1928), José Luis Cuevas (1934-2017), un « tempérament extraordinaire, doublé d’une maîtrise innée » (O. Paz), Gabriel Mocotela (né en 1954), Julio Galán (1958-2006), Gabriel Orozco (né en 1962)…
Une nouvelle génération, de peintres juchitecos notamment (les Juchitecos de l’état d’Oaxaca forment une communauté de langue zapotèque. Une société matriarcale où la femme gère la cité aussi bien que le foyer), assure également la relève. Parmi eux, mentionnons Francisco Toledo*1 (1940-2019), Oscar Martinez Olivera (né en 1951) ou Sabino Lόpez Aquino (né en 1960).
Sans compter les graffeurs et leurs muraux que nous avons découverts au précédent chapitre. De nouvelles fenêtres s’ouvrent en ce vingt-et-unième siècle. Murs et façades se couvrent de soleils aérosols.
Gaffe... des graffeurs fous, des graines d’Aztèques vous brusquent de frasques en fresques…
« Pour la fierté de ton peuple, sur le chemin des anciens et la mémoire des oubliés. »
Tlacolulokos (Dario Cánul et Cosijosea Cernas)
(acrylique sur toile, 2017)
(photo captée sur le net)
Les murs qui, chacun sait, ont des oreilles questionnent comme le fit Atahualpa Yupanqui (1908-1992) dans ses Preguntitas sobre Dios*2
« Grand-père est mort dans les labours
Sans prière ni confession
Et les Indiens l’ont enterré
Flûte de roseau et tambour. »
(photo Steve Welnik)
Parmi ces agitateurs de l’art urbain contemporain mexicain, Edgar Flores, né en 1981, alias Saner, est sans doute l’un des plus en vue avec ses personnages aux couleurs vives, ses masques et crânes inspirés d’un folklore local revisité. Il a collaboré avec Carlos Alberto Segovia Alanís, connu sous le pseudo de Sego (ou Ovbal pour ses œuvres abstraites), qui, quant à lui, hachure des créatures très organiques assez proches de ce que réalisait Mœbius (Jean Giraud dit, 1938-2012), lui-même imprégné par les paysages désertiques du Mexique, pays où longuement il séjourna. Une mention pour Stinkfish, né au Mexique en 1981 également, qui pratique une forme de guérilla urbaine dans un style « tropical psychédélique » à partir de photos détournées d’anonymes, mais il vit et travaille essentiellement en Colombie.
Je taguerai quand même que de trouble à l’ordre public avec ces vandales, on est passé de perturbateurs à animateurs de cités ayant, pour certains, pignon sur rue. Des excitateurs d’un marché toujours très réactif qui mettent en effervescence les investisseurs, puisque parait-il, je ne suis ni critique ni conseilleur, c’est de la bombe. « İ Santa Tortilla ! », comme dirait Speedy Gonzales.
Signalons enfin un peintre à l’hyperréalisme assez bluffant, Omar Ortiz, né en 1977 à Guadalajara, la capitale de l’Etat de Jalisco au centre-ouest du Mexique, et, dans un style assez proche, Enrique García Saucedo, né en 1971. A côté de ces artistes déjà confirmés, d’autres peintres émergent, tels Guillermo González Elizondo, Fernando Islas Cervantes, Diana Obdulia Montemayor Chapa, Diego Salvador Rios. Ou, dans le sillage de Posada, le prometteur illustrateur Carlos Lara, né en 1985. Etc. Cha-cha-cha.
Voilà, en dix longs articles et une centaine d’illustrations, un tableau, ma foi assez complet (un bon gros livre en somme, inédit, accessible, libre et gratuit), de la peinture mexicaine au vingtième siècle, qu’il ne faut certes pas réduire à une ou deux figures plus charismatiques ou médiatiques, encore moins à une vision uniquement tournée sur l’Europe ou lorgnant exclusivement vers les Etats-Unis. On a trop chanté le parisianisme et l’Amérique. C’est aussi notre façon de faire tomber les murs (seules valent les cimaises, pas les cloisons), nuancer notre point de vue, réviser nos codes. Alors…
On oublie tout.
Sous le beau ciel de Mexico
Pour connaître…
Une aventure mexicaine
Sous le soleil de Mexico…
Mexico, Mexico...
Sous ton soleil qui chante,
Le temps paraît trop court
Pour goûter au bonheur de chaque jour.
Raymond Ovanessian, dit Vincy (1904-1968)
Adios amigos…
Francisco Ángel Gutiérrez Carreola
Oaxaca, 1906-Mexico, 1945
L’adieu
(La despedida ; huile sur toile, 1939)
Dans le jargon tauromachique, la despedida
c’est aussi l’adieu du torero à l’arène.
Finie la corrida, il se fait alors couper la coleta,
une mèche derrière le col, signe distinctif de sa corporation.
Quoique, avant de tirer ma révérence, j’aimerais tant voir Veracruz et
« Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver. »
Boris Vian (1920-1959)
Quand les Juchitecos pensent que les chiens hurlent à la mort quand ils sentent la présence du démon et que fumer une cigarette éloigne le mal… Lointaine réminiscence de cette légende aztèque qui voulait que le xoloitzcuintle, ce chien nu mexicain qui était censé conduire les âmes jusqu’au Mictlan, le territoire des morts, et dont le nom même dérive du dieu cynocéphale Xolotl.
« La mémoire peut être un piège :
elle se croit réminiscence alors qu’elle est prémonition.
Il y a des moments où nous confondons nos souvenirs avec nos désirs. »
Carlos Fuentes (1928-2012)
Michel Lansardière (texte et photos)
*1 L’artiste juchiteco Francisco Benjamin Lόpez Toledo s’est éteint le 5 septembre 2019 à Oaxaca alors qu’une vaste rétrospective (« Toledo Ve », « Toledo voit »), lui était consacrée au Musée National des Cultures Populaires de Mexico. Une reconnaissance pour ce peintre discret, la culture et la terre zapotèque qu’il défendait.
Me quito y me pongo arrugas como quiero
Petit hommage en images à celui qui décollait et avait des rides sous les yeux :
*2 Ces Questions concernant Dieu du poète argentin ont été popularisées au Mexique par la grande Chavela Vargas (1919-2012). Elle fut l’amie de Diego Rivera et de Frida Kahlo.
Ce billet clôt, après plus de trois ans de recherches, une série de dix sur l’Ecole mexicaine de peinture, présentés en exclusivité sur Arts et Lettres. Ces dix billets couvrent près de deux siècles de peinture mexicaine, de 1850 à 2020 là où les meilleurs catalogues ne prennent en compte que la période 1900-1960.
Donc, si vous voulez voir ou revoir…
Une présentation générale de la peinture mexicaine du vingtième siècle :
Les « Trois Grands » :
https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/diego-rivera-los-tres-grandes-2e-partie
https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/jos-clemente-orozco-los-tres-grandes-3e-partie
https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/david-alfaro-siqueiros-los-tres-grandes-4e-partie
Frida Kahlo et les autres femmes peintres du Mexique :
https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/femmes-fi-res-et-mexicaines-1-re-partie-frida-kahlo
Les autres peintres mexicains du vingtième siècle et au-delà, le muralisme, le surréalisme, le stridentisme… :
https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/diego-jos-david-et-les-autres-que-viva-mexico
Fin
« Les mexicains aiment avoir le cœur brisé. Ça leur fait ouvrir de grands yeux et ça les rend tristes… et ils aiment ça. »,
Elliott Arnold (1912-1980)
Commentaires
Je te remercie Danielle pour cet agréable commentaire.
Il reste bien des murs à abattre pour que la comunauté des hommes fraternise, mais je crois que la culture est un bon vecteur de communication et que ce réseau contribue à atteindre ce but.
Merci pour "Que Viva Mexico" cher Michel!... Dans ce Monde où nous vivons comme au ralenti afin d'arriver au fameux "Connais-toi toi-même"... Oui, partager au travers l'expression créatrice est un bien bel objectif.
Le bonheur partagé est notre plus bel objectif. Merci Jacqueline.
Merci M. Robert Paul pour votre soutien.
Merci pour ce travail remarquable, dense et si complet… que de belles découvertes! Un réel bonheur.
Rosyline, Lisette, à vous qui m'avez suivi, merci.
En effet l'échange, le partage, la confrontation des idées nourrissent notre réflexion comme notre imaginaire.
"Les oiseaux quittent la terre avec leurs ailes, et nous, les hommes, pouvons également quitter ce monde, non pas avec des ailes, mais avec l'esprit.",
Black Elk, Sioux oglala
Un grand merci Nourreddine pour cette belle relation
Merci Barbara, d'autres séries arrivent...
C'est très gentil Adyne et je t'en remercie.
Il est un autre agitateur et curieux de l’art, qui disait : « Nous en avons assez de la couleur locale !ponchos bariolés et couchants polychromes. Et des sanglots de flûtes sur la campagne aride. Car le chant des indiens a une douceur amère. D'amours trompées et de fausses promesses." Il s’agît de l’artiste « complet » au sens propre du terme : Atahualpa Yupanqui (1908-1992). Du reste, l’expo intitulé « Los Contemporáneos (İ Que viva Mexico ! » est un voyage intemporel au Mexique. Pour conclure, J’ose la citation de l’écrivain, essayiste Octavio Paz (1914-1998) qui disait : « Toute culture naît du mélange, de la rencontre, des chocs. A l'inverse, c'est de l'isolement que meurent les civilisations » Merci à vous et agréable journée Lansardière Michel. Alger, Louhal Nourreddine, le 8 juin 2020