Après le lever du jour sur la Moskova, voici une musique pour un géant qui joue sur un jouet, le Guarnerius del Gesù " von Szerdahely" datant de 1736. C’est le Concerto en ré mineur, op.47 de Jean Sibélius. La haute taille de Vladimir Repin domine presque l’autre visage connu : Emmanuel Krivine, le directeur musical de l’orchestre philharmonique du Luxembourg, armé de sa baguette. Vadim a le visage impassible ou grave d’un guerrier de l’armée de Xian : la musique est sa vie, sa drogue, son combat. C’est le soliste qui ouvre de son archet infiniment léger ce concert où bouillonne le mystère romantique. Il construit des mélodies presque pathétiques cependant que l’orchestre semble le combattre par ses registres sombres, parfois carrément lugubres. Ce premier mouvement, l’ Allegro moderato, est le plus long et le plus complexe, le plus dramatique et sérieux.
Le climat change avec le deuxième mouvement. L’Adagio di molto prend des airs de romance, les envolées mélodiques du soliste sont suivies de cascades de tristesse tendre, comme si tous les moments de douceur et de plaisirs n’étaient jamais que rêves éphémères. Cela se termine sur le souffle d’une âme qui s’échappe.
Le troisième mouvement, l’ Allegro ma non tanto démarre sur des rythmes aux colorations presque …ibériques. Le tempo est soutenu, le rythme est presque sautillant et s’engage dans des galops impétueux. Soutenu par les timbales et les basses le soliste rivalise de plus belle avec l’orchestre. Tout un peuple de sonorités répond à ses jaillissements poétiques quoique sobres et soudain, tout se tait.
L’ovation qui suit, fait sourire le grand violoniste qui nous accordera un joyeux bis, débordant d’humour, par contraste, par jeu, par fantaisie et par virtuosité cabotine! C’est une chanson populaire autrichienne : « Mein Hut, der hat drei Ecken » qui a probablement inspiré Paganini dans un morceau intitulé « Carnaval de Venise ». Avec toute la beauté des cordes pincées, Vadim emmène fougueusement une partie de l’orchestre dans ces variations, interprétées avec verve et délire sur son minuscule violon.
Entracte
La vedette est maintenant au dynamique Emmanuel Krivine sur son podium, dans la deuxième partie du concert qui nous présente tout le modelé et la délicate complexité de la deuxième symphonie de Brahms en ré majeur opus 73. Quatre mouvements. Une musique pleine de voix mystérieuses ensorceleuses qui sans cesse entraînent et reviennent, plus pressantes. Une musique d’humeur joyeuse, brodée. Le chef d’orchestre tisse le relief, forme une architecture musicale variée, tant les instruments ont l’occasion d’émerger en envolées lyriques surprenantes et vives: chants de flûtes et de bassons. Suivent de chaleureux solos de cors, symbole pastoral? Les mouvements prestes des violons, une véritable armée de cordes onctueuses, n’évoque rien moins que des danseuses en chaussons, virevoltant sous des arceaux de fleurs. Joie de jeux de cache-cache, joies printanières et bucoliques, accès de mélancolie soudaine, flots de sentiments, c’est la complicité idéale du chef d’orchestre et de son orchestre plein d’aisance qui se dégage.
Le 4e mouvement, Allegro con spirito, est une glorieuse explosion de joie, chaque ordre musical s’en donne à cœur joie, chacun marque tout son espace. Tout devient déferlement et scintillements et finit par un torrent de bonheur musical. Un triomphe.
“Emmanuel Krivine est l'un des plus grands chefs d'orchestre de notre époque ; il ne faut jamais, sous aucun prétexte manquer l'une de ses prestations.” (The Guardian /Londres)