Avec cet ouvrage publié en 1960, le philosophe français Gaston Bachelard (1884-1962), complète l'importante série d'études consacrées à l'imagination poétique, qui va de la "Psychanalyse du feu" à la "Poétique de l'espace". Cette fois, ce ne sont plus les objets de la rêverie, mais la rêverie elle-même dans son mécanisme, dans ses modalités, qui est en cause. C'est ici encore la méthode phénoménologique -école de naïveté", dit l'auteur -qui est utilisée, afin d'élucider le processus de la rêverie, que la psychanalyse, faisant porter tous ses efforts sur le rêve, a laissé de côté. Pourtant la rêverie "nous donne le monde d'une âme"; l'image poétique "porte témoignage d'une âme qui découvre son monde, le monde où elle voudrait vivre. Où elle est digne de vivre". Leur étude seule peut permettre d'édifier une "phénoménologie de l' âme".
L'ouvrage débute sur des considérations très personnelles, des rêveries sur la rêverie", divisées en deux parties: "Le rêveur de mots", qui fixe des "pensées vagabondes" sur le genre des mots et leur signification, à propos de la différenciation qu'établit le langage entre la rêverie (féminin) et le rêve (macsulin), "Animus"-"Anima", où le philosophe, reprenant la distinction établie par Jung entre ces deux principes dialectiques de la psychologie des profondeurs, montre qu'elle s'applique parfaitement à l'objet de son étude: "La rêverie est sous le signe de l' anima. Quand la rêverie est vraiment profonde, l'être qui vient rêver en nous c'est notre anima."
C'est vers l'enfance que nous ramène le plus souvent la rêverie, mais vers l'enfance rêvée, vers les "images animées" conservées dans un coin de la mémoire, car "l' enfance dure toute la vie". Le chapitre consacré aux "Rêveries vers l' enfance" constitue une "ébauche d'une métaphysique de l' inoubliable". Le plaisir qui naît de la rêverie est, contrairement à celui du rêve, un plaisir conscient, actuel. Le rêveur nocturne ne peut énoncer un "cogito", "le rêve de la nuit est un rêve sans rêveur, alors que le rêveur de rêverie garde assez de conscience pour se dire: "C'est moi qui rêve la rêverie". Lorsque celui qui s'abandonne à la rêverie s'est détaché du quotidien, du souci, il s'ouvre au monde et le monde s'ouvre à lui, il devient un "rêveur de monde". La rêverie aide à habiter le monde, à habiter le bonheur du monde.
S'appuyant sur des exemples puisés aux meilleures sources, chez les grands écrivains, chez les poètes, Bachelard mène à bien ici une véritable réhabilitation de la rêverie, qui est un retour à l'essentiel, une espèce d'hygiène de l' âme. Souplesse et rigueur de l'analyse, appliquées au presque inalalysable, font la valeur de ce livre, un des plus personnels, un des plus profonds qu'il ait écrits.