Ombres, lumières et quelques craquelures (Chercheur d'or, tintype, ca 1856/60)
Charlot et "La ruée vers l'or" continue de s'inscrire dans notre mémoire vive. Charlot, "Une forme blanche et noire imprimée dans les sels d'argent de l'orthochromatique", tel que le définissait André Bazin.
Une silhouette dont Chaplin lui-même voulait "que tout fût en contradiction : le pantalon exagérément large, l'habit étroit, le chapeau trop petit et les chaussures énormes."
"La ruée vers l'or" fut donc présentée en avant-première mondiale le 26 juin 1925, puis à New-York le 16 août. Et, comme pour la ruée de 98, la nouvelle fit le tour du monde, Londres, Paris, Berlin, partout le film triomphalement acclamé.
A la pelle du destin (jeunes chercheurs posant fièrement avec leurs outils, tintype, ca 1856-1860).
Mais tout dans le tournage ne fut pas tissé de lin et de fils d'or...
Chacun cherche sa veine (tintype au format "carte-de-visite", ca 1865).
Outre la durée et les conditions de tournage (voir chapitres précédents), la réalisation fut compliquée par la relation ambigüe entre Chaplin et Lita Grey.
On le sait, Lita Grey devait avoir le principal rôle féminin et dut être remplacée par Georgia Hale.
Chaplin avait déjà engagé Lillita MacMurray en 1920 pour "The kid" (1921), après une première séance de photos, un petit rôle, celui de "l'ange de la Tentation", elle avait douze ans. On peut penser à Lewis Carroll photographe, ou à Lotta (Charlotte Crabtree), la gamine infernale de l'Ouest du temps de la ruée vers l'or en Californie, la protégée puis rivale de Lola Montès. Chaplin lui donna son nom de scène : Lita Grey. Lita au pays des merveilles.
Une vue fantaisie, fantasmée, d'une chercheuse d'or, une "Gibson girl",1905,
un certain idéal féminin véhiculé par un célèbre magazine du temps, prélude à la pin-up.
Suivit une petite figuration, avec maman Lillian, dans "Charlot et le masque de fer" (The Idle Class, 1922), puis le contrat signé pour un an fut clos.
Une audition pour le principal rôle féminin de "La ruée vers l'or", Lita se présenta pour un essai, joue sa carte et est engagée.
Strive to be happy (Chantal Roussel, huile sur toile, 2011).
Elle a quinze ans, mais est vieillie de quatre pour le communiqué de presse.
En septembre 1924, pendant le tournage, elle se retrouve malencontreusement enceinte. Le film est interrompu.
Crayonné pour un Charlot 'double-vision" (C. Roussel).
Chaplin, épouse Lita le 25 novembre (Chaplin s'était marié avec Mildred Harris en 1918, mais celle-ci avait demandé le divorce "pour cruauté mentale" en avril 1920, qu'elle obtint en novembre), la remplace par Georgia Hale et reprend le tournage, oubliant sa femme.
Charles Jr. nait le 9 mai 1925, moins d'une semaine avant la fin du tournage. Un petit embarras qui fut vite résolu puisque officiellement Junior fut mis au monde le 28 juin (le certificat de naissance fut falsifié).
Mais la situation perturbe Chaplin dans son travail, les époux se disputent et se rabibochent momentanément. Sydney Earl, leur second enfant, nait le 30 mars 1926. Lita quitte le domicile conjugal le 30 novembre avec leurs deux enfants et demande le divorce le 10 janvier 1927. Divorce qu'elle obtint le 19 août.
Ebauche pour un tableau d'un Charlot double-vision (Chantal Roussel).
Un mariage bref et orageux... dont on dit qu'il inspira le "Lolita" de Nabokov...
Lola, Lotta, Lita, Lolita, troublante filiation.
Deux chercheurs d'or revenus des terrains pouilleux d'or, Gros-Jean comme devant
("Fossickers on the War Path", Australie, 1907).
Acteur, scénariste, réalisateur, producteur, compositeur, Chaplin, génie complet du 7e art, qui par "son rôle inestimable ]fit[ que le cinéma soit reconnu comme l'art de ce siècle" comme le proclamèrent ses pairs lors de la remise de son "Oscar d'honneur" en 1972.
Malgré toute l'admiration que j'ai pour Chaplin, je n'ai pas voulu faire de lui un portrait hagiographique, mais orthochromatique peut-être, en remontant aux sources de son inspiration, en décrivant les conditions de réalisation de son film le plus emblématique. Il n'en reste pas moins vrai que son oeuvre est monumentale et que son film "La ruée vers l'or", un des films majeurs du 7e art. Celui par lequel "je veux que l'on se souvienne de moi", aussi j'espère qu'il serait content de cet hommage.
Je remercie Chantal Roussel de m'avoir laissé puiser dans ses carnets, croquis et ébauches.
Même si je pourrais encore écrire beaucoup sur ce film qui à jamais m'a marqué, il faut savoir...
The End
Michel Lansardière
(texte, photos, documents, sauf mention contraire)