"Le mystère des saints innocents" est une oeuvre de Charles Péguy (1873-1914), parue dans les "Cahiers de la Quinzaine" le 24 mars 1912, à l'occasion du temps pascal et de l'anniversaire de la délivrance d' Orléans.
Elle est composée en prose poétique où s'entremêlent des vers la tins et des passages de l'Ecriture. Un hymne de missel, dû au poète latin Prudence, en est le prétexte. Que les petites victimes d' Hérode, mortes dans l'ignorance du "Nouveau Testament", soient fêtées par l'Eglise à l'égal des plus grands saints, est un gage du mérite suprême de l' innocence. Dieu le dit lui-même, par la bouche de Madame Gervaise, nonne lorraine, protagoniste des précédents "Mystères", et de Jeannette (réincarnation de Jeanne d'Arc), dont le rôle est ici plus épisodique. L' espérance, semblable au bourgeon du chêne à la fin d'avril, et sans qui l'arbre ne serait que bois mort, est bien son petit enfant préféré. Le souvenir de Jésus qui fut aussi une espérance de salut et de vie rappelle, par contraste, la nuit qui jeta son calme manteau sur la terrible scène de la Passion. Dieu évoque le bonheur de ceux qui, au soir d'une journée difficile, se remettent entièrement entre ses mains, sans ressasser leurs peines ou leurs fautes, et sans se soucier du lendemain. Celui qui fait une simple prière peut s'abandonner en toute quiétude au sommeil. La prière des hommes monte vers Dieu, telle une immense escadre avançant en bon ordre: la flotte des "Pater" en tête, celle des "Ave", puis des autres innombrables prières traversant ainsi l'océan de la colère divine. Mais cet abandon à Dieu n'est pas l'abdication de la liberté, qui reste le propre de l'homme. Saint Louis ne s'agenouille pas comme un tremblant esclave d'Orient. Joinville qui n'avait ni sainteté, ni même l'héroïsme puisqu'il préférait commettre trente péchés mortels qu'attraper la lèpre, possédait un coeur pur et savait prier. Y-a-til d'ailleurs quelqu'un qui sache mieux prier que le Français? Dieu commence alors un vif éloge des Français (véritable morceau d'anthologie): "Avant qu'on ait fini de parler, ils ont compris, c'est embêtant, dit Dieu. Quand il n'y aura plus ces Français -Il y a des choses que je fais, il n'y aura plus personne pour comprendre". Mais revenant à son propos initial, Dieu explique comme l' "Ancien Testament" contient l' espérance du "Nouveau". C'est l'occasion d'un long dialogue où Madame Gervaise et Jeannette rapportent l'histoire de Joseph, vendu comme esclave par ses frères et devenu gouverneur du Pharaon. Cet épisode biblique est plein du souci des réalités temporelles, alors que le "Nouveau Testament" ne se préoccupe que des vérités spirituelles et éternelles. Les petits enfants ont le privilège, très précisément reconnu par Jésus-Christ, d'accéder au royaume céleste. Dieu condamne donc l' expérience, "trésor de vide et de disette", exalte une nouvelle fois l' innocence et voit dans le "mot enfant" sa plus haute manifestation. Evoquant le massacre des Innocents, Dieu révèle qu'ils furent proclamés "fleurs des martyrs" grâce, précisément au mystère de l' innocence; il clôt sa méditation sur le charmant tableau où l'on voit les Saints Innocents jouer au cerceau avec leurs couronnes de martyrs, et utiliser des palmes vertes en guise de bâtonnet. On reconnaîtra, au passage, certaines idées que l'auteur a déjà longuement développées dans ses oeuvres en prose. Il revient en particulier sur sa conception de la liberté, qui est lutte contre l'asservissement aux habitudes et au "tout fait", affranchissement de tous les mécanismes intellectuels. Si ce qu'on a pu appeler le bergsonisme de Péguy n'y gagne rien de neuf, son catholicisme par contre y témoigne d'une réelle volonté d'approfondissement. Tous les émouvants et poétiques fragments sur l' Enfance, sur la Nuit, fille de Dieu, sur la valeur comparée de Saint Louis et de Joinville, la saveur tantôt bonhomme et familière, tantôt inspirée, que prend la parole de Dieu, assurent aujourd'hui le plus durable succès de ce "Mystère".