Création : "L’encrier a disparu"de Daniil Harms
Cela se passe dans la salle des voûtes du théâtre le Public. La mise en scène est délirante : un mur de boîtes de déménagement, des chausse-trappes, des couloirs, un labyrinthe kafkaïen en trois D. Une bande de personnages hétéroclites explose de cet Univers chaotique et changeant où il est difficile de trouver des repères, de vivre, de se cacher de l’ire du groupe ou de celle de l’autorité qui vous poursuit à chaque instant. Repli fœtal, chutes bruyantes, glissades vertigineuses, scènes de pauvreté et de misère sur fond d’atmosphère fantastique. Voilà l’univers brutal, oppressant et morcelé de Daniil Harms qui déboule sur scène avec Bernard Cogniaux comme maître d’œuvre.
Il faut accepter de ne rien comprendre à l’intrigue. Y en a-t-il une ? Se laisser happer par la libre dynamique du spectacle qui ressemble plus à un ballet qu’à une comédie, même grinçante. Une danse macabre au style décalé en diable qui piétine le système. Une mosaïque d’histoires cyniques, farfelues et inachevées défile sous nos yeux comme emportées par un fleuve immense. Celui de l’histoire sombre de la Russie de Staline ?
Panta Rei. Tout coule, fort heureusement, comme l'encre quand elle est là, c’est le seul espoir pour des temps meilleurs. Il faut sans doute s’accrocher à la moindre planche de salut, survivre, muselé, avec ou sans encrier, tout en dénonçant de façon insidieuse les abus, les incohérences du régime, les injustices flagrantes. C’est ce que font muettement ou à force de cris les six comédiens survoltés dans leur pantomime acérée et féroce. Sans cesse broyés, ils se démènent et changent de costume à une vitesse fulgurante, au nez et à la barbe d’une carpe d’or géante qui jamais ne se laisse prendre. Le bonheur est difficile dans la Russie des Tsars à nos jours ! Carpe Diem, est-ce possible ?
Le monde de Harms est imprévisible et désordonné, ses personnages répétant sans fin les mêmes actions ou se comportant de façon irrationnelle, des histoires linéaires commençant à se développer étant brutalement interrompues par des incidents qui les font rebondir dans des directions totalement inattendues.
Son travail doit être replacé dans le contexte de l'Oberiou (Association pour l'Art réel), un courant littéraire et philosophique du modernisme russe dont il a été l'un des fondateurs. « Harms et d'autres écrivains ont fondé le mouvement OBÉRIOU œuvrant, comme le dadaïsme ou le surréalisme, à la recherche de formes artistiques entièrement nouvelles et libérées des anciennes conventions. Ce mouvement aux aspirations progressistes et anticonformistes fut violemment réprimé par la montée du stalinisme. Harms laisse une œuvre encore et toujours audacieuse, non conformiste, légère et libre, absolument! Un spectacle de bruits et de fureur pour tous les fous de la vie. »
Il fut accusé d'activités anti-soviétiques et exilé à Koursk en 1931. Il fut arrêté à nouveau pendant le siège de Leningrad le 23 août 1941 et interné en asile psychiatrique où il mourut, à 36 ans. Considéré comme un ennemi du régime stalinien, Harms ne put publier de son vivant que deux textes[: l'essentiel de son œuvre fut diffusée clandestinement. Il fut réhabilité en 1956, mais longtemps, seules ses poésies pour enfants furent republiées en URSS, à partir de 1962[. Son œuvre est aujourd'hui appréciée en Russie et a été traduite en de nombreuses langues. (source : Wikipedia)
http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=318&type=1