CHŒUR DE CHAMBRE DE NAMUR, MILLENIUM ORCHESTRA Cappella Mediterranea, continuo & LEONARDO GARCÍA ALARCÓN, direction
VALER SABADUS, Évangéliste
FRANCISCO JAVIER MAÑALICH RAFFO, Christ
PHILIPPE FAVETTE, Ponce Pilate
Dans :
GAETANO VENEZIANO 1656 - 1716 Passio del Venerdì
Santo ANTONIO NOLA 1642 > 1715 In manus tuas Domine / Stabat Mater
Attirer le public pour lui faire entendre des raretés, voici le défi que proposait dernièrement Leonardo García Alarcón, découvreur de musiques anciennes, le 28 mars 2018, à Bozar, lors d’un exceptionnel concert d’harmonies méditatives sans pause. D’emblée très complice et plein de bonhommie avec son public, Leonardo García Alarcón, propose de ne pas applaudir entre les morceaux, pourtant de compositeurs différents, pour préserver une unité de temps, de lieu et de sens. Il a en effet choisi de relier du même fil trois œuvres différentes afin de concevoir la prestation comme un tout. « In illo tempore egressus est Jesu cum discipulis suis… » débute l’Evangile selon saint Jean dans la version de Gaetano Veneziano, se poursuit par « In manus tuas Domine» d’Antonio Nola, et aboutit dans un dramatique « Stabat Mater » du même compositeur.
Leonardo García Alarcón rêve de partager sa passion pour l’écriture musicale mais surtout sa passion pour les Ecritures. Ainsi les partitions qu’il exhume sont rares, jamais encore jouées et entendues. A la manière de deux testaments, il veut relier anciennes et nouvelle transmission dans la fraîcheur d’une éclosion contemporaine inédite, incarnée avec passion par le Millenium Orchestra et le chœur de chambre de Namur.
Le premier manuscrit retrouvé nous donne à entendre une œuvre fervente, la Passio del Venerdì Santo écrite à 20 ans vers 1685 par Gaetano Veneziano (1656-1716), élève d’élection de Francesco Provenzale et organiste à la Chapelle Royale de Naples dès 1678, à l’époque, sous domination espagnole. Presque toutes lumières éteintes, la salle a tout de suite baigné de l’atmosphère particulière du triduum pascal. Contemporaine de celle de Scarlatti, c’est une musique sensuelle et dramatique à la fois, écrite pour solistes, double chœur et cordes, « suivant un parcours « d’une extrême » cadence (en sol# mineur sur « crucifigeret ») à l’autre (« Consummatum » en si bémol mineur) ».
La voix éthérée de l’évangéliste qui a tenu le public en émoi d’un bout à l’autre du concert est celle de Valer Sabadus, contre-ténor. Elle est d’une clarté et d’une douceur sublimes… Plaisir captivant, que cette voix émouvante et sensible aux atmosphères narratives, un évangéliste au timbre profondément chaleureux et qui, à la manière d’un conteur d’antan, séduit l’audience à ses pieds. Aucune grandiloquence, aucune forfanterie, de la belle et pure simplicité, dans une tessiture irréprochable. Un admirable maître de quenouille musicale, qui a su filer en continu, un chant lyrique mélodieux et poétique imaginé par Leonardo García Alarcón, sans que jamais ne retombe l’intérêt. Roumain d’origine, il a grandi en Allemagne, célébré pour sa « voix dramatique de cristal clair » (Süddeutsche Zeitung), il a été révélé en France par ses remarquables prestations à Versailles avec notamment « Didone abbandonata » de Hasse. Ses deux derniers albums, sortis en 2017, sont « Duetti Sacri », réalisé avec Nuria Rial et le Kammerochester Basel, et « Händel goes Wild » avec Nuria Rial, Christina Pluhar et l’ensemble L’Arpeggiata.
Le récit est entrecoupé par les interventions de Jésus, le très mélancolique ténor Francisco Javier Mañalich Raffo qui joue les couleurs de la passion avec immense tendresse et profondeur, et celles de Ponce Pilate, sorte d’honnête homme cohérent et intègre, juste prisonnier du destin, qui ne rêve que d’équité et de justice bien rendue. La théâtralité et la vitalité dramatique sont superbement portées par Philippe Favette, baryton-basse. Celui-ci s’est produit sous la direction de chefs tels que Patrick Davin, Leonardo García Alarcón, Ton Koopman, Sigiswald Kuijken, Christophe Rousset, Jean Tubéry ou encore Jordi Savall. Mais il y a surtout, les impeccables interventions de la foule (Turbae) - d’habitude créature populiste jalouse, avide, querelleuse, multitude vociférante, qui ne reflète pas, la vindicte sauvage qu’on lui connaît, mais qui ici fait plutôt preuve de réactivité rhétorique. Cette foule, peu nombreuse mais très « puissante » est incarnée par un chœur qui privilégie la froide image des riches pharisiens avides de pouvoir et celle des docteurs de la Loi, les grands prêtres qui n’ont pas pu supporter l’éviction brutale des marchands du temple par Jésus et la critique de leurs lois. De manière étonnante, la musique qui entoure les épisodes ou soutient les ariosos n’a rien de lugubre, c’est comme s’il y transparaissait l’Amour, bien que l’orchestre à certains moments en profite pour souligner à coups de cordes les couleurs des flagellations, les épines, le manteau pourpre, les gifles… tandis que Pilate garde son sang-froid : « Ecce Homo », voici l’homme…
Par trois fois, Ponce Pilate, est désespéré de faire comprendre qu’il n’y a rien à reprocher à Jésus : « ego nulla invenio in eo causam ». Mais la « foule » insiste : « Nous avons une Loi, et suivant la Loi, il doit mourir ! » Tant d’hypocrisie et de vanité ! Il n’y a bien sûr à leurs yeux, aucune place pour la loi de l’amour… Et où sont donc restées les femmes ? Celles qui devraient selon les écritures, découvrir les premières que la mort avait enfin été vaincue et Jésus ressuscité? On les retrouvera , éplorées mais confiantes, dans le « Stabat Mater ». Une évidence pour Leonardo García Alarcón, après avoir remis Jésus, « aux mains de Dieu ».
Cette merveille d’écriture musicale, est traversée par l’esprit des Ecritures… pour une nouvelle lecture. Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit ! « Quod scripsi, scripsi,» insiste Pilate qui a fait écrire au haut de la croix INRI « Jesus Nazarenus, Rex Judaeorum » malgré les remontrances de la foule! Comme si une même dynamique optimiste inéluctable semblait s’imposer à travers la musique, pour signifier que la passion du Christ est l’étape indispensable à la disparition de la mort, et à la rédemption de l’humanité.
https://www.bozar.be/fr/activities/124228-choeur-de-chambre-de-namur