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L'Etat culturel

12272743282?profile=original"L'Etat culturel" est un essai de Marc Fumaroli, paru en 1992.

Que peut-on attendre d'une "politique culturelle"? Qu'advient-il des arts et des lettres dans un pays comme le nôtre lorsque l' Etat entreprend de diriger la diffusion, voire la production, de la "Culture", et qu'il fait de cette "mission" l'une de ses priorités? Rien de bon, si l'on en croit Marc Fumaroli, auteur de "L' Etat culturel". Jusqu'à Malraux en effet, l' Etat se contentait de diriger les affaires politiques ou sociales, laissant créateurs et amateurs cultivés à leur destin. Depuis, et notamment avec Jack Lang, l'Etat a rassemblé entre ses mains tous les moyens qui lui permettent d'exercer un véritable "pouvoir culturel", qu'il utilise surtout comme un instrument d'autopropagande ou d'organisation des loisirs de masse. La Culture est ainsi devenue une sorte de religion d'Etat; ce qu'illustre bien le sous-titre de l'ouvrage: "Essai sur une religion moderne".

Une idéologie monstrueuse.
Grâce à une évocation détaillée des origines de l' Etat culturel, Marc Fumaroli nous permet de comprendre comment celui-ci résulte paradoxalement des courants idéologiques antagonistes de la première moitié du XXe siècle. Le "Kulturkampf" (combat pour la culture allemande) hérité de Bismarck; les conceptions marxistes de l' art, âprement défendues par nos "intellectuels de gauche"; le mouvement "Jeune France" qui, sous Vichy, prétendait susciter le renouveau culturel de la Nation; les rêves messianiques de Malraux, qui faisait de la culture une sorte de tissu organique du peuple français: tout cela s'est retrouvé réconcilié, mélangé dans une sorte de "parti culturel", qui n'allait pas tarder à prendre le pouvoir.
Ainsi, en 1959, André Malraux se voit doté d'un ministère d'Etat qui a pour mission de faire accéder tous les Français à la culture et de promouvoir la culture française dans le monde. Ce voeu pieux masque une sinistre réalité: les arts et les lettres français se trouvent confisqués par une poignée de gens chargés de décider souverainement de ce qui est ou non "culturel". Cette tendance s'amplifie encore sous les ministères Lang, où l'on assiste à ce spectacle caricatural d'un clergé culturel parisien dictant au pays sa frénésie moderniste "branchée", à grands coups de manifestations spectaculaires qu'aucun pays totalitaire n'aurait désavouées.
Parallèlement, le "pouvoir culturel" délivre le discours démagogique du "tout-culturel", qui consiste à parler d'une "culture jeune" ou d'une "culture d'entreprise", présentées sur le même plan que la culture artistique. Ces propos cautionnent l'apparition d'un véritable désert culturel: car l' Etat, mué en Grand Animateur, survalorise toutes sortes d'activités sympathiques au demeurant, mais gomme ce qui distingue création authentique et bricolage d' amateur. "Un énorme bonnet d'âne bureaucratique nous stérilise et paralyse, loin d'être notre émanation et notre manifestation."

Instruire les masses ou les amuser?
Or les gens qui ont "fait" l'Etat culturel sont souvent issus du théâtre. Est-ce pour cela qu'une des grandes préoccupations du "pouvoir culturel" est de se mettre en scène? Ainsi, pour la plupart des candidats à la notoriété dans notre République du spectacle, passer dans certaines émissions de télévision tient lieu de messe d'investiture: "Il y a donc une sacralité télévisuelle en France."
Les grands perdants de ce show permanent sont bien sûr les livres (Fumaroli rappelle que les Maisons de la Culture de Malraux ne comportaient déjà pas de bibliothèques!) et l' Université. Par exemple, à la nouvelle Bibliothèque Nationale de Bercy, les livres se retrouvent perdus parmi tant d'autres gadgets distribués dans ce "supermarché de la Culture".
L' Université, lieu de travail obstiné, de respect des oeuvres, de culture individuelle, était naguère le passage obligé et sélectif pour accéder à la vraie connaissance. Elle se voit remplacée par des espaces de "tourisme culturel", comme le Futuroscope, où l' Etat se charge, à coup de grosses opérations d'auto-promotion, de cultiver en les distrayant des citoyens mués en nouveaux dévots de la culture pour tous. Voici d'ailleurs la dimension la plus préoccupante du problème: l' Etat culturel ne se consacre plus qu'à "l'économie politique des loisirs collectifs". Notre espace culturel est ainsi transformé en une sorte de Las Vegas, oasis de loisirs pour oisifs assoiffés.

Où est passé l'esprit?
Tout au long de son livre, Fumaroli ne cesse d'évoquer ce qu'était, par contraste, la situation des arts et des lettres sous la Troisième République. Cette époque aurait, à en croire l'auteur, réalisé l'équilibre fécond entre une politique sagace de l'Instruction publique, des mécènes encouragés par le libéralisme ambiant, des artistes venus du monde entier vers la Capitale des Beaux-Arts, et une culture populaire authentique.
A cette époque où les ministres chargés de l'Education des Arts avaient du talent, on ne parlait pas de Culture, mais d' "esprit français". C'est à cette notion, aujourd'hui désuète, que Fumaroli, pour envisager la possibilité d'un renouveau de notre paysage intellectuel et artistique. Pour la définir, il évoque aussi bien les Arts libéraux de l' Antiquité, chers à Montaigne, que certaines pages de Valéry ou de Gide sur l'exigence intellectuelle. A son avis, seul un retour aux valeurs de la culture individuelle peut redonner cet élan vital qui refera de la France le pays de la grande culture et de Paris la capitale de l'esprit européen.

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