LE MEC DE LA TOMBE D'À CÔTÉ de Katarina Mazetti
Mise en scène: Michelangelo Marchese / Avec Florence Crick et Guy Theunissen
DU 26/10/10 AU 31/12/10 au théâtre Le Public
Daphné Merlin, Bac+5, se rend régulièrement sur la tombe de son jeune Hugo de mari, un alter ego qui a eu le mauvais goût de mourir sur son vélo, la tête dans un casque où il écoutait des chants d’oiseaux. Bibliothécaire, et citadine en diable, elle vit dans un appartement impeccable, tout blanc, plantes vertes, très tendance, pas une tache. Au cimetière, elle rencontre le mec de la tombe d'à côté, dont l'apparence rustique l'agace souverainement, autant que la stèle orgueilleuse et son abondante vie végétale, digne d’un pépiniériste. La tombe où elle se recueille est nue et sobre, pas même un rosier, car le mec d’avant, amoureux du vide, en avait décidé ainsi, réglant tout dans sa vie, jusqu’à ses obsèques. Depuis le décès de sa mère, Jean-Marie vit seul à la ferme familiale avec ses vingt-quatre vaches laitières. Il est fort affecté du vide laissé par la mort de sa mère, mais il a de l'humour et de l'autodérision et le rêve inavoué d’un « je t’aime, tu m’aimes, on sème… ». Chaque fois qu'il rencontre « la dame beige », bonnet ridicule fiché sur sa masse vaporeuses de cheveux, il s'énerve contre la 'Crevette' qui occupe le banc au cimetière avec lui, avec son carnet et son incroyable « stylo à plume !» « Est-ce qu’elle compterait les maris qu’elle a enterrés ? » Tout les sépare et pourtant, les monologues intérieurs sont éloquents, chacun éprouve un désir confus. « Un arc-en-ciel a surgit entre nous » dit-il au premier sourire involontaire de la belle. Une histoire d’amour démarre.
Ils vont se raconter tour à tour, se rencontrer, s’aimer, se séparer, se rattraper, se disputer copieusement, vivre une relation charnelle à la Lady Chatterley…. Mais le choc des cultures ! Le tournant ce sera cette phrase des moutons qui tue. Innocemment Jean-Marie lâche : « Il va falloir qu’on les rentre… » Totalement étrangère aux choses de la ferme, la crevette se cabre. Saisie d’une peur panique elle voit en un instant le piège épouvantable d’une vie de paysanne se refermer sur elle, et, devenue chevrette sauvage, elle prend la fuite. Et ce "ON", terrifiant pronom menteur, qui s'emble l'avoir inclue! Pourtant tous deux nourrissent des illusions romantiques…
Le duo Florence Crick et Guy Theunissen joue avec brio, malice et justesse, ces deux personnages un peu manichéens. C'est en fait cela leur problème: aucun lieu de rencontre, si ce n’est le lit de leurs amours et le cimetière de leurs illusions. La volubilité, et les mouvements de poursuite et d’esquives brillent comme des éclairs. Les yeux et les sourires parlent plus que déclarations. Les moments de tendresse sont profonds comme une meule de foin, et sublimes alors qu’ils sont assis sur une tombe. La lucidité de la paysannerie est là : « On va aussi bien ensemble que la merde et les pantalons verts, comme disait mon grand-père. Et je ne veux pas que ça s'arrête. A chaque jour suffit sa peine, je n'aurai qu'à apprendre à faire avec. » La campagne et ses odeurs tenaces, l’immense ferme un peu délaissée, la bibliothèque, le théâtre et la ville sont magnifiquement rendus par la parole et le geste. Dommage que le seul lieu de rencontre ne soit qu’un cimetière, s’ils pouvaient y enterrer leur ego une fois pour toutes, tout irait mieux. « Mieux vaut franchir les minutes une à une, les avaler comme des pilules amères, essayer de ne pas penser à toutes celles qui restent "» Qui fera le pas, et enterrera en même temps la hache de la guerre du couple ?
Daphné insiste cruellement : « Bien sûr que c'est possible de vivre comme ça, être les meilleurs amis du monde, chacun sur son étoile, puis s'amuser ensemble lorsqu'on sent le souffle de la solitude sur la nuque? Bien sûr que c'est possible? » Une attitude triste à pleurer, hélas typique de notre époque postmoderne, où l’engagement est devenu si difficile, où jamais on ne veut lâcher prise et se donner vraiment à l’autre, où «chacun vit sur une autre planète ! » Dans la peur panique du lien.
http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=257&source=agenda&year=2010&month=10&day=26
Commentaires
le mec de la tombe d'à côté | du 1er août au 7 août 2013 | Festival Bruxellons ! (Bruxelles)
De Katarina Mazetti / Mise en scène Michelangelo Marchese / Assistante à la mise en scène Claire Beugnies / Scénographie et costumes Céline Rappez / Lumière Maximilien Westerlinckx / Avec Florence Crick et Guy Theunissen
Ce texte rafraichissant, original et savoureux évite habilement de tomber dans la caricature des extrêmes.
Au contraire, son humour de situation et
d’opposition met l’accent sur deux modes de vie opposés.
En installant les spectateurs autour des acteurs, en les prenant comme témoins des confidences des deux amants, en les rendant complices de ces apartés truculents ou émouvants, la
mise en scène de Michelangelo Marchese permet de dégager les trésors de
tendresse et d’humanité que recèle le roman de Katarina Mazetti. Il divise le
sol en deux zones, la blanche et immaculée bourgeoisie de Daphné (Florence Crick) et la noirceur de la terre de la ferme de Jean-Marie (Guy Theunissen).
Au milieu, un coffrage en bois sur roulette sera tour à tour le banc du cimetière, un lit, une table de restaurant…
Au-delà de cette apparente simplicité du décor, on appréciera ce jeu volontairement haché, fait de courtes
saynètes et de sauts dans le temps.
De même, les mouvements des comédiens qui se placent sous des angles différents pour leurs confidences permettent une perception parfois variable, selon la proximité que l’on a avec chacun des deux
acteurs.
Habilement mise en scène et interprétée avec beaucoup de justesse, cette comédie romantique, avec son humour fin se révèle croustillante, savoureuse piquante et drôlement réaliste.
C’est la vraie vie qui se déroule au théâtre et c’est là, peut-être, le plus beau compliment à faire à
Michelangelo Marchese et ses deux interprètes.
Muriel Hublet, Plaisir d'Offrir
reprise , vu son succès:
Du 08 janvier au 02 février 2013 au théâtre Le Public
Moi + Moi = Nous ?
Un coup de foudre entre deux personnes que tout oppose. Sur cet argument, qui ne brille pas par son originalité, la romancière suédoise Katarina Mazetti a écrit un best-seller, intelligemment adapté à la scène par Alain Ganas. Scrutant avec humour et sensibilité l’évolution des émois amoureux, cette comédie alerte bénéficie d’une interprétation très convaincante.
"Je peux pas la blairer !" Chaque fois qu’il se rend au cimetière, pour bavarder avec sa mère, emportée par un cancer, Jean-Marie est excédé par la présence de cette "beigeasse". Assise devant la tombe de son mari, tué récemment dans un accident de vélo, Daphné est aussi agacée par cet "homme de Cro-magnon" : il pue la bouse de vache et le mauvais goût. Témoin cette flopée de décorations kitch qui envahissent la pierre tombale. Cependant, un beau jour, les regards hostiles se transforment miraculeusement en sourires. Timides d’abord, puis éblouis. Une passion explosive, vécue avec un enthousiasme juvénile. "J’ai quatorze ans d’âge mental, et c’est merveilleux !" s’exclame Daphné.
La menace d’une histoire à l’eau de rose disparaît rapidement. A quarante ans , nos amoureux ont une personnalité très affirmée, qui s’est construite dans des mondes opposés. Bibliothécaire, passionnée par Lacan, Schopenhauer et l’opéra, Daphné s’accordait bien avec son mari, un intellectuel brillant, mais sans fantaisie. Tout le contraire de cet agriculteur, brut de décoffrage qui la surprend, l’affole et l’envoie au septième ciel. Aveuglé par sa passion et ses préjugés, Jean-Marie s’imagine que Daphné pourrait remplacer sa mère, une maîtresse femme, et l’aider à élever ses vingt-quatre vaches, dont il est si fier. Mais est-elle prête à troquer son appartement aseptisé, cocon blanc qui la rassure, contre cette grande ferme sale, affublée d’horribles rideaux ?
Différents par leur culture, leur mode de vie, leur cercle d’amis, leurs options politiques, leurs goûts, leurs centres d’intérêt, les héros de Katarina Mazetti sont séparés par un immense fossé. Pour le franchir, sauront-ils faire les concessions indispensables et respecter la personnalité de l’autre ? Alternant moments de tendresse et conflits violents, l’auteur répond à ces questions avec subtilité et drôlerie.
Placés de part et d’autre du plateau, les spectateurs deviennent les complices des personnages, qui leur confient sans retenue leurs états d’âme. Grâce à la mise en scène sobre et rigoureuse de Michelangelo Marchese, les enchaînements entre les monologues et les séquences dialoguées sont souples et le spectacle déborde de vivacité. Les comédiens exploitent la truculence de cette pièce, sans jamais grossir le trait. Guy Theunissen incarne sincèrement cet agriculteur terre à terre, qui, sans regret d’avoir renoncé aux études, affiche bon sens et intelligence du coeur. Le jeu énergique et nuancé de Florence Crick révèle une femme frustrée, étouffée par un époux trop influent. Paradoxalement ce paysan inculte, borné mais poreux, comble sa sexualité et lui offre peut-être la chance de devenir elle-même."Le Mec de la tombe d’à côté" nous emmène dans un voyage à la découverte de l’autre, qui nous amuse, nous touche et nous réjouit.