Cinquante ans déjà… ou presque! A la fin de l’envoi , on entendait : « Décor de Roger HARTH, Costumes de Donald CARDWELL… » et les noms des prestigieux comédiens parisiens suivaient dans le générique. Pendant plus de 20 ans, des dizaines de millions de spectateurs francophones applaudissaient les pièces enregistrées pour l’ORTF puis TF1 dans l’émission « Au théâtre ce soir » qui diffusa pas moins de 411 pièces de 300 auteurs soigneusement choisis par Pierre Sabbagh. André Roussin, était de la partie.
C’est l’histoire très banale basée sur un fait divers, d’une jeune femme très peu fréquentable qui a épousé pour l’argent un paysan avare, qu’elle imagine être dans un état critique. Si elle le chasse, c’est qu’elle sait qu’il a gagné le gros lot et qu’il est au seuil de la Mort. La tuberculose, cela ne pardonne pas, non? Trois ans se passent, et le canard est toujours vivant. Le mari va, bon teint bon œil, très porté sur la chose. Impatientée, elle a décidé de le faire tuer, ni vu ni connu, je t’embrouille, pour recueillir la somme rondelette qui fait tant briller ses yeux. Car la dame au cœur sec a un idéal, tenez-vous bien ! En épouser un autre, jeune et beau, vivre confortablement, entourée d’enfants joyeux et bien élevés…La direction artistique ne recule devant aucun sacrifice et Stéphanie Moriau semble adorer son rôle !
C’est de la comédie de mœurs bien satirique et bien huilée qui joue à la frontière de l’absurde et sur le fil des pirouettes. Mais la Mort se rebelle, on ne la manipule pas comme on veut ! Malgré toutes les combinaisons qu’elle échafaude, Arlette s’épuise en crises de nerfs révélatrices et rate la Mort du sieur, toujours assis sur son magot. C’est là que le rire est souverain et fait du bien. Un conseil cependant, n’allez pas mourir de rire! Pas sûr qu’il y ait un médecin dans la salle!
Crooks together, crooks for ever! Aux côtés de la conspiratrice à deux balles, il a deux excellents comparses, grinçants à souhait. Ils ne valent pas tripette : un frère qui a fait de la tôle, et pas loin derrière, un joueur invétéré toujours en manque, incapable de résister à la valse des billets. C’est Franck Dacquin qui vaut le déplacement ! Un personnage gondolant, à la souplesse et la gestuelle redoutable, encore plus racoleur que le frangin si bien campé par Jonas Classens. Le bougre de mari finira par s’inquiéter et découvrir le pot aux chrysanthèmes ? Chassera-t-il l’ignoble prédatrice de sa maison si joliment décorée par ses soins ? Ou le mari, plus candide, ou plus réfléchi que jamais, lui offrira-t-il un bouquet de roses? A perfidie, perfidie et demi! Un Michel de Warzée au mieux de sa forme, tantôt en bretelles, tantôt en cravate à petits pois.
Ce qui frappe dans ce fait divers qui a inspiré cette comédie grinçante d' André Roussin, c’est la construction de l’engrenage de la convoitise qu’il devient impossible d’enrayer. Du suspense, on passe aux sensations fortes. Ce ne sont pas les portes qui claquent mais les explosions d’amour terre-à-terre du paysan, de haine de la mécréante, de balles perdues lors des passages à l’acte. Effets divers de burlesque bien construit, dont on pressent la suite sans y croire. La dynamique est infernale. La comédie conjugale est sertie comme un diamant maléfique dans le décor ultra bourgeois réputé tranquille. Les mœurs humaines sont dépiautées au scalpel, sans frontières, ni dans le temps ni dans l’espace : de l’éternel humain, fait des pires bassesses. Il n’y a pas de policier pour reconstituer les scènes de crime, mais une voisine à langue de vipère, aux rires fatidiques, aux noirs desseins déguisés en bonnes intentions qui finit par présider aux manœuvres. Une stupéfiante Amélie Saye l'incarne. Est-ce la voisine, ou la Mort en personne, qui débarque en fichu tablier et plumeau à la main pour se rire des desseins absurdes des hommes et les piéger dans leurs méfaits les plus mesquins et leurs attentats si royalement ratés? Est-ce l’élixir de l’amour qui finalement aura le dernier mot, toute honte bue?
...Souveraine critique des vanités de l’avoir.
avec Michel de Warzée et Bruno Smit, à Claude Comédie Volter.
http://www.comedievolter.be/le-mari-la-femme-et-la-mort/
Avec : Stéphanie MORIAU, Michel de WARZEE, Amélie SAYE, Franck DACQUIN & Jonas CLAESSENS / Mise en scène : Danielle FIRE / Scénographie : Francesco DELEO / Création lumière & Régie : Bruno SMIT & Sébastien COUCHARD
Jusqu'au 31 décembre 2018
Réservations : http://www.comedievolter.be
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http://www.demandezleprogramme.be/Le-mari-la-femme-et-la-mort#descr...
Le Pêcheur et la pécheresse
"Une paysanne italienne, lasse de son mari, paya un homme afin de se débarrasser de ce mari devenu insupportable pour elle. Le marché conclu, l’argent versé, le mari... ne disparut pas. Explication avec le tueur, lequel réclama un nouveau versement. La femme paya encore et le mari ne mourut toujours pas. Alors... elle attaqua "l’escroc" en justice." Voici comment André Roussin résume le fait divers, qui lui souffla l’idée de sa pièce " Le Mari, la femme et la mort". Amusé par ce jeu de cache-cache avec la Grande Faucheuse, il nous fait rire des malheurs d’une jeune femme perverse, piégée par ses machinations. Comme le suggère son titre, cette comédie de moeurs grinçante a des allures de fable..
Sébastien est morose. Prétextant des migraines à répétition, sa femme Arlette se refuse à lui, depuis plusieurs semaines. Lorsqu’elle le surprend, tentant maladroitement de lui faire boire un aphrodisiaque, elle l’accable de ses sarcasmes. Dépité, Sébastien essaie de l’apaiser, en lui rappelant ce qu’il lui doit. Peu après leur mariage, on le disait condamné : le pancréas, les poumons... Et c’est elle qui l’a ressuscité, revigoré par sa libido flamboyante. Cette reconnaissance l’agace énormément. Qu’il s’en aille pêcher ! Elle restera seule, comme d’habitude. Cependant, elle se radoucit brusquement, en lui proposant un curieux marché : sans poser de questions, il lui prête 200.000 francs contre 4 nuits d’amour fou. Interloqué, l’époux près de ses sous hésite puis cède à la tentation.
Avec cet argent, Arlette compte appâter un complice qui la débarrassera définitivement d’un mari... qui ne sait pas nager. Premier candidat : Kiki, son frère. C’est lui qui l’a poussée à épouser Sébastien, persuadé que ce moribond avait gagné 80 millions au sweepstake. Il vient de se taper un an de tôle, voudrait jouer les durs, mais n’a vraiment pas l’âme d’un tueur. On sent bien que Percier, dit "le Satyre" est tout aussi poltron et qu’il trahira son engagement. Il faut être aveugle comme Arlette pour faire confiance à ce joueur invétéré, toujours en manque d’argent. Ces deux gangsters de pacotille semblent tout droit sortis d’un film dialogué par Michel Audiard, comme "Le Cave se rebiffe" ou "Les Tontons flingueurs". Marionnettes ridicules et savoureuses, ils font loucher vers le vaudeville cette comédie gentiment féroce. Sans se soucier de la vraisemblance ni du sort du mari indestructible, on s’amuse à repérer les grains de sable qui font avorter les assassinats.
Créée en 1954, "Le Mari, la femme et la mort" a été reprise en 1974 et 1987, toujours avec succès. En la mettant en scène, Danielle Fire n’a pas voulu la "rethéâtraliser". Le clin d’oeil des trois coups annonce la couleur. On laisse la pièce "dans son jus" avec ses qualités et ses rides. Pour relancer l’action, Roussin abuse d’explications bavardes, parfois même en faisant raconter par un personnage, une scène dont le public a été témoin. Mais il offre aussi aux acteurs des échanges pétillants et des personnages hauts en couleur. Jonas Claessens souligne le côté m’as-tu vu de Kiki. Ce petit vaurien hâbleur et cupide bombe le torse, mais se dégonfle au moindre danger. Franck Dacquin arrive à le surpasser dans le tape à l’oeil. Les ronds de jambe de Percier sont irrésistibles.
Les autres comédiens adoptent un registre moins burlesque. Tout en ne la blanchissant pas, Stéphanie Moriau nuance la perfidie d’Arlette. Coquette et vénale, cette femme rêve de devenir une veuve riche. Elle pourra ainsi fonder une famille, avec un homme qu’elle aime. Egoïsme monstrueux ? Cruauté inconsciente ? La pièce n’éclaire pas ses frustrations, elle nous invite à rire de ses déconvenues. Paysan radin et bonhomme, Sébastien, incarné par Michel de Warzée, est profondément attaché à sa femme. Sentiment qui l’aveugle longtemps. Quand il ouvre enfin les yeux, son regard est glaçant. Cette histoire rocambolesque se termine dans les éclats de rire, mais laisse percer l’amertume de Roussin sur la nature humaine. A travers le changement d’image du personnage de Julie Despied, joué par Amélie Saye. D’abord voisine collante et obsédée par la menace du satyre, elle réapparaît comme une froide meurtrière, déçue par la faiblesse d’Arlette. En pantoufles et tablier, elle représente la mort qui ne fait pas de cadeau. Il est difficile d’imaginer les sentiments liant Sébastien et Arlette, au sortir de cette épreuve. Pour l’auteur, il est possible que frôlés par ce drame, ils ressentent "une sorte d’aimantation". C’est pourquoi il fait dire à son héroïne : " Peut-être arrive-t-on à tenir à quelqu’un, simplement parce qu’il est le seul à vous savoir capable de tout."
Jean Campion