C’est une légende dramatique en quatre tableaux à propos d’un personnage qui a réellement existé. Mais nul ne peut dire avec certitude ce que son âme est devenue! Encore moins si Berlioz, le compositeur torturé par les échecs de la vie, le poète maudit, l’artiste romantique a souffert des mêmes affres que le célèbre médecin astrologue du XVe siècle. Nul ne peut dire si, malgré l’aspect positif de l’appétit de Faust insatiable de connaissances et de jouissance, Berlioz ne le condamne pas au feu éternel, par pur dépit.
Premier tableau. Le ténor Paul Groves embrasse avec ardeur et immense talent le rôle de Faust dans une superbe diction. L’hiver a fait place au printemps…Faust est perdu dans la contemplation d’un paysage de campagne, jouissant pleinement de sa solitude, il assiste au lever du soleil sur les champs. Il se laisse envahir par les chants d’oiseaux que prolongent des chansons joyeuses de paysans. « De leurs plaisirs, ma misère et jalouse ! » Une armée passe, au son d’une marche hongroise devenue très célèbre grâce à l’art cinématographique français. Se déploie une fresque d’images du feu et des atrocités de la guerre. « Son cœur reste froid, insensible à la gloire ! »
Deuxième tableau « Sans regrets, j’ai quitté les riantes campagnes où m’a suivi l’ennui ! » Faust est seul dans son cabinet de travail et donne libre cours à sa souffrance profonde. « La nuit sans étoiles ajoute encore à ses sombres douleurs. » Dans sa sensibilité exacerbée, il est envahi de désirs inassouvis et sombres et le spleen du poète maudit l’incite à vouloir boire une coupe de poison. Il perçoit, venant d’une église voisine, un chant de Pâques entonné par le chœur des fidèles. Il se sent touché par une foi ancienne. C’est le moment que choisit Méphisto, « l’esprit qui console », pour l’inviter à le suivre vers d’autres plaisirs. Le baryton-basse italien Ildebrabdo D’arcangelo incarnera tous ses maléfices. Première station dans un cabaret de Leipzig où un groupe de buveurs entonne l’éloge du vin. L’un d’entre eux, Brander, complètement bituré, raconte l’histoire délirante d’un rat brûlé par l’amour. C’est notre délicieux Laurent Kubla.
Requiescat in pace, Méphisto raille l’Amen parodique chanté par les buveurs et se pique d’une histoire de puce. Faust est peu enthousiaste devant les scènes de beuverie et se retrouve emmené sur les rives de l’Elbe et ses flots d’argent. Il sombre dans un sommeil envahi par les gnomes et les sylphes. Ceux-ci lui font apparaître en songe Marguerite, image parfaite de l’amour. A son réveil, Faust n’a plus qu’une pensée : la retrouver. Il entre dans la ville en même temps que des étudiants et une bruyante soldatesque. Il est au pied d’une demeure entourée d’hortensias.
Troisième tableau. « Merci, doux crépuscule, c’est l’amour que j’espère ! » Faust, seul, découvre la chambre de Marguerite et sent naître son bonheur. « Seigneur, après ce long martyre, que de bonheur ! » Méphisto le poste en observation, derrière un rideau. Amoureuse de l’amour, Marguerite est songeuse et envahie par les images d’un rêve où lui apparaît son futur amant. Pendant qu’elle tresse ses cheveux, elle chante, mélancolique, une chanson gothique, celle d’un roi, Theulé, qui, sentant sa mort prochaine, distribua toutes ses richesses, sauf une coupe lui rappelant sa défunte femme. Cette coupe se brise. C’est la voix magnifique de la divine soprano géorgienne Nino Surguladze qui symbolise toutes les langueurs, les attentes et les élans de l’amour.
« Mes follets et moi allons lui chanter un bel épithalame ! » Méphisto va souffler son plan d’action à l’oreille de la belle alanguie. Pour mieux l’étourdir, la sérénade ensorcelante est accompagnée du chœur et des danses des follets. Mais voilà que Marguerite aperçoit Faust, l’amant de son rêve. Faust lui avoue sa passion, les deux amants s’étreignent sur l’amoncellement de coussins apportés par les follets et le regard voyeur du maître du jeu. Soudain, Méphisto interrompt leurs ébats et ébruite que les voisins sont en train de prévenir la mère de Marguerite qu’un homme est chez sa fille. Les deux amants se séparent, espérant se retrouver le lendemain. Méphisto tient maintenant en son pouvoir l’âme de sa victime.
Quatrième tableau. Marguerite se lamente, possédée par l’amour de celui qui n’est jamais revenu. Elle entend des bribes de chants de soldats et d’étudiants qui lui rappellent cette première nuit si courte et si fragile. Seul aussi, face à une nature avec laquelle il souhaiterait se fondre, Faust ne pense plus qu’à Marguerite. Il erre, prisonnier de sa tour d’enfer. Méphisto surgit et lui apprend que Marguerite est condamnée à mort pour matricide, car chaque nuit où elle attendait son amant, elle l’endormait avec un poison qui a finalement eu raison de sa santé. Ainsi l’heure fatidique du pacte est arrivée : Méphisto est prêt à sauver Marguerite si Faust s’engage à le servir « à l’avenir ». Le parchemin est signé par-dessus le vide. Sancta Maria ora pro nobis ! Sancta Marguerita… Sur deux chevaux noirs, Faust et Méphisto s’engagent dans une cavalcade infernale vers ce que Faust croit être la maison de Marguerite. Rythmée par le chœur des paysans et les angoisses de Faust, la course à l’abîme, s’achève en enfer. Le Prince des ténèbres se vante de sa victoire. Faust, sans jamais perdre sa prestance, est enfin précipité dans les flammes sous les hurlements infernaux du chœur des damné(e)s, des démons et des macabres squelettes. Puis, le calme revenu sur terre, c’est une véritable apothéose: le chœur des esprits célestes appelle la vertueuse Marguerite - sauvée par l’amour inconditionnel de son amant - à monter au ciel.
Quel écho peut donc avoir une telle œuvre avec notre perception moderne? L’histoire nous touche-t-elle vraiment? Sombrera-t-on avec ce Faust désespéré dans l’inanité de l’existence de l’esprit positif ? Ou simplement, nous laisserons nous emporter par le vertige de la découverte de l’œuvre de Berlioz ? Allons-nous nous laisser devenir captifs de l’esprit insatiable qu’il symbolise ? Serons-nous séduits par le génie d’un compositeur qui osa faire tabula rasa de toutes les tendances de son époque et des précédentes? Certes, la magie musicale opère grâce à la qualité et la perfection d’interprétation musicale du chef d’orchestre, Patrick Davin. Véritable maître du jeu, il s’emploie avec passion à ressusciter une œuvre totalement innovante. Il déclenche notre admiration pour une partition constituée d’immenses pages orchestrales d’une richesse inouïe, dont on se demande parfois si on ne préférerait pas les écouter les yeux fermés pour en retirer toute leur saveur. On sait que dans sa nouvelle création, en 1846, Berlioz ne prend même pas la peine de composer une ouverture, qu’il juge inutile, car il démontre que la musique peut tout exprimer et sait jouer le parfait mimétisme, fond/ forme! Ainsi, à quoi d’ailleurs pourraient bien servir des décors? Même les plus précieux, comme ceux élaborés par Eugène Frey (1860-1930), ces fameux tableaux transparents avec rétroprojection dont s’est inspiré le metteur en scène de cette production, Ruggero Raimondi. Derrière les voiles reproduisant les tableaux successifs, a-t-il conçu la carcasse de fer comme une sorte de tour de Babel qui rappellerait celle de Breughel ? Ou pensait-il à la tour d’ivoire du poète? Une vision de gazomètre en déshérence ? Cette structure évoque une prison de fer et d’enfer pour la condition humaine dont l’homme ne peut s’échapper que par le ciel ou la géhenne.
L’enfermement est donc omniprésent : même lorsque les voiles sont supposés cacher cette tour, ou du moins en partie, elle reste perceptible à tout moment. Le regard, lui-même est prisonnier. Au travers de lumières soit trop tamisées soit trop distrayantes, on perce parfois difficilement les visages. La texture et les formes des costumes du peuple infernal sont très originales pourtant, et les évolutions ou les chants des nombreux figurants gagneraient à être mieux mis en lumière. L’enfermement circulaire, fait d’échafaudages est certainement très pratique pour une mise en scène verticale des protagonistes, mais tout le monde ne sera pas sensible à cette vision esthétique plutôt accablante pour ceux qui ne rêvent que de liberté !
Du mercredi, 25/01/2017 au dimanche, 05/02/2017
DIRECTION MUSICALE : Patrick Davin MISE EN SCÈNE : Ruggero Raimondi CHEF DES CHŒURS : Pierre Iodice ARTISTES : Paul Groves, Nino Surguladze, Ildebrando D’Arcangelo, Laurent Kubla
Commentaires
Bonsoir Deashelle , j' aime la damnation de Faust , la musique est merveilleuse et les décors sont aussi beaux
Andrée
Ce mardi 31 janvier, ne manquez pas la diffusion en direct sur le site internet de Culturebox, de la "Damnation de Faust" dans une mise en scène de Ruggero Raimondi, à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège!
bit.ly/2kHT7SP
Trois magnifiques photos, signées Bernard Fierens Gevaerts:
Le salut final:
Sommeil au bord de l'Elbe: