de Léo Ferré, par l'Ensemble Musiques Nouvelles, sous la Direction de Jean Paul Dessy
Mercredi 14.12.11
Léo Ferré, Jean-Paul Dessy & Musiques Nouvelles
20:00 au Cirque Royal
Organisation:
Botanique + Le Manège.Mons
L'Opéra du Pauvre de Léo Ferré, ce que beaucoup considèrent comme son dernier chef-d'œuvre, est un pamphlet en faveur des forces de la Nuit, de l’imaginaire et de la subversion.
«La Nuit, soupçonnée d’avoir supprimé la Dame Ombre, est amenée devant le juge d’instruction, aux fins d’inculpation de meurtre. Elle ne peut répondre qu’en présence de son avocat, le hibou, bien sûr…
Il y a plusieurs témoins à charge qui affirment avoir vu la Dame Nuit supprimer la Dame Ombre, juste comme le soleil se couchait, entre chien et loup. L’ennui pour l’instruction est qu’on ne trouve pas la disparue – morte ou vive – et qu’on ne peut faire supporter à la Nuit que des présomptions, lourdes certes, mais insuffisantes.
Les témoins à décharge viennent, nombreux, dire tout le bien que leur fait la Dame Nuit et ce sont eux qui finalement l’emporteront au petit jour, dès que le soleil pointera et que l’ombre réapparaîtra… s’enfuyant avec eux… empaillés comme des hiboux… sur les derniers mots du Corbeau, juge et président, « cette nuit m’a fatigué, je vais me coucher».
Il baille, le greffier s’en va. Il n’a même pas la force de se lever. Et c’est la Nuit qui rentre, tirer les rideaux, en lui lançant un baiser.
L’Opéra du Pauvre, Introduction, Léo Ferré, 1983 »
C'est la Nuit que l'on pétrit le pain. La Nuit, sensuelle, érotique, invite à l’invention et à l’ivresse. Elle arme les assassins, fournit des alibis d’adultère, désarme les juges, emballe la vertu. Elle est la raison d’espérer de l’anarchiste et du poète; elle est un enfant qui n’a jamais connu de loi. Derrière ce conte, se dissimule une critique acerbe du pouvoir en général, de la justice et de l'état en particulier. Chaque personnage prend alors une autre dimension et on comprend beaucoup mieux pourquoi il faut défendre la nuit. L'imagerie poétique en éclairage du monde. Et comme si ca ne suffisait pas, Léo Ferré se fend de pièces aux violons, d'envolées jazz et autres petits délires musicaux.
À l’œuvre «totale» de Léo Ferré, répond ici un spectacle «total» qui convoque autant le théâtre, le cirque, la musique que la vidéo. Sept chanteurs-acteurs, un acrobate et douze musiciens de l’Ensemble Musiques Nouvelles nous livrent le procès intenté à la Nuit, soupçonnée d'avoir supprimé Dame Ombre. Une partition qui réalise l’alliage de la musique la plus popisante de son époque, d’un jazz plus en recherche, et de la grande musique classique du début du XXe siècle.
Un moment théâtral et musical riche et onirique, un spectacle qui souhaite prendre la relève de l’engagement scénique du grand Ferré, formidable musicien, poète précurseur, libertaire.
Par l'Ensemble Musiques Nouvelles, sous la Direction musicale : Jean Paul Dessy*. Mise en scène : Thierry Poquet. Arrangements : Stéphane Collin. Avec Michel Hermon - Delphine Gardin - Christian Crahay et Nathalie Cornet, Muriel Legrand, Michel Hermon, Lotfi Yahya, Thomas Dechaufour, Patrick Sourdeval.
Jean-Paul Dessy
Compositeur, violoncelliste, chef d’orchestre, directeur artistique de l’ensemble Musiques Nouvelles, Jean-Paul Dessy se concentre dans la diversité, profondément et avec jubilation. Ce qu’il nomme « l’agir du musicien » relie sans les confondre le profane et le sacré dans un voyage intime en quête d’une écoute commune et partagée. À ce jour, il a dirigé plus de 100 créations mondiales et près de 200 œuvres de musique contemporaine d’horizons multiples et diversifiés, qu’il soit à la tête de l’Orchestre de Chambre de Wallonie, à celle de l’ensemble Musiques Nouvelles, ou à sa déclinaison cross over, le Mons Orchestra qui collabore avec des artistes de la chanson, du rock et de la pop.
De Giacinto Scelsi à Horatiu Radulescu, de Pierre Bartholomée à Victor Kissine ou de Witold Lutowslaki à Astor Piazzolla, s’ouvrent encore des chemins de traverse, inattendus, investis, tout aussi vivants : Murcof, Vénus, An Pierlé, Pierre Rapsat, David Linx, DJ Olive, Scanner… Un univers en expansion, en mutation où, selon ses propres mots, la musique s’affirme « intemporaine » plus que contemporaine, car elle « se reconnaît des fraternités multiples par-delà les époques et les genres » et « peut trouver la juste sublimation du mineur par le savant »
... pourvu qu’elle « recherche l’intimité du moi, son irréductible
visage, et tente de le dire.»
Commentaires
Très décoiffant! Mozart en perdrait son katogan...
Si vous ne pouvez pas assister au spectacle, ou si vous voulez revivre ce jour -là des tirades qui ont laissé un écho en vous, voici le texte complet de l'opéra du Pauvre...
http://lestextesdeloperadupauvre.blogspot.com/
hélas, les violons resteront silencieux pendant la lecture!
Au soir de sa vie, Léo Ferré, un des plus grands paroliers poètes du 20ème siècle écrit L’Opéra du pauvre. La création de cet ultime chef-d’œuvre par l’ensemble Musiques Nouvelles dirigé par Jean‐Paul Dessy aura lieu le 6 décembre, au Théâtre Le Manège à Mons et à Bruxelles le 14 décembre, ensuite viendront Liège, Valenciennes, Luxembourg et Grenoble. Mise en scène : Thierry Poquet.
La création de L’Opéra du pauvre est le fruit d’un long cheminement entre le manège.mons/Centre Dramatique/ Musiques Nouvelles et Eolie Songe. Projet d’envergure internationale, création transdisciplinaire mêlant théâtre, chant, musique et vidéo il s’inscrit dans la lignée des spectacles « grand format ». Cette production est également le fruit de partenariats nationaux et transfrontaliers importants : le Grand Théâtre de Luxembourg, le Théâtre de la Place (Liège), le Phénix de Valenciennes et le Botanique (Bruxelles) ont accompagné cette aventure et l’ont rendue possible.
Recréer l’Opéra du pauvre en 2011, un pari amoureux, Léo Ferré nous a quittés en 1993. Mais les frangins d’la Nuit, il nous l’a bien prouvé, ne désertent jamais les rues ni les cœurs des rêveurs… Et L’Opéra du pauvre n’a pas fini d’attirer les rôdeurs, les errants, les chercheurs d’absolu. Depuis que les chemins du metteur en scène Thierry Poquet et du compositeur, chef et interprète Jean‐Paul Dessy se sont croisés, ils rêvent de faire surgir aux détours d’une scène les gueux et les putains, l’ombre et la Nuit, la farce et l’amour !
« Nous avons rencontré Marie et Mathieu Ferré, leur fils. Grâce à leur confiance, nous pouvons monter un Opéra du Pauvre fidèle à son auteur et incarné par sept acteurs‐chanteurs, un acrobate et un orchestre de chambre.
Sans déranger un seul mot ni une seule note, les interprètes incarneront sa parole à bras le corps, à pleine voix. Tous deux, nous avons vu Léo sur scène, en chair et en os. On n’en sort pas indemne ; sa force est bouleversante ! Cette adhésion‐fascination pour l’artiste est presque une dévotion, car Ferré est prophétique. C’est un prophète anti‐prophète.
La Nuit, Léo Ferré l’a fréquentée, troublée, malmenée et aimée au fil de sa vie et de ses chansons : le titre original de son Opéra du pauvre n’était‐il pas « Le Chant de la Nuit » ? Impudique ingénue, mystère en offrande, c’est elle qui donne au Pauvre son théâtre de misère, sa poésie au couteau, ses yeux battus et ses douces chimères : « Mon sexe est de musique. Et les saxos vibrants ne vibrent pas pour rien…». Splendide et sensuelle, femme d’ivresse et d’érotisme, La Nuit affole jusqu’à l’ivresse, arme les assassins, cache les adultères, désarme les juges, emballe la vertu.
L’Opéra du pauvre raconte son procès, baroque et dérisoire : Miss Night est accusée d’avoir supprimé Dame Ombre « juste comme le soleil se couchait, entre chien et loup ». L’Ombre n’est‐elle pas la preuve de nos deux pieds sur terre ?
Le juge est un corbeau et le greffier un chat, l’avocat général est un coq et le hibou est l’avocat de la nuit, cela va de soi. Les noctambules défilent nombreux pour témoigner à sa décharge.
Le point de vue du metteur en scène
Mettre en scène L’Opéra du pauvre, c’est mettre en scène une voix, celle de Ferré, qui, même s’il fait œuvre de dramaturge, garde intacte sa liberté de poète. Sur l’enregistrement original, Léo incarnait seul toutes les voix. Ici, le jeu d’acteur, les chants, la musique, l’acrobatie, la scénographie et les images projetées créent un espace poétique en résonance avec l’univers du poète Ferré. A l’épilogue, le poète reste seul tel un porte‐voix, l’homme debout avec sa parole, la révolte, le mec d’outre‐saison, celui qui parle à tous, dans son universalité. Le spectacle sert cet aller‐retour entre l’esprit du poète et les mondes qu’il génère : les personnages ne sont que les masques d’une seule et même identité.
Chez presque tous les peuples primitifs, on compte le temps en nuits et non en jours. Il n’y a pas de lumière sans ténèbres, alors que l’inverse n’est pas vrai : la nuit a une existence symbolique autonome, elle est le royaume de la substance et de l’intimité de l’Être. La représenter au théâtre, c’est proposer au spectateur, par le son, par l’inversion des polarités lumineuses et par vagues successives, de descendre dans la sensation de la Nuit.
Estompant le réel, effaçant l’ombre, la Nuit créé sa propre maison, ou l’esprit quête sa lumière. Le règne de la Nuit ne connaît ni le temps ni l’espace, mais l’incompréhensible communion, la jubilation dionysiaque. Ici la Nuit nous invite à pénétrer l’univers de nos déraisons et de nos démesures intimes. (T.Poquet)
Le point de vue du chef d’orchestre
Le livret de L’Opéra du pauvre réussit comme rarement dans un opéra la symbiose du mot et du son, non seulement parce que Léo Ferré est son propre librettiste, mais parce qu’il incarne dans sa vie cette union d’une richesse antique : il est Orphée, à la fois poète et musicien. Dans sa version discographique, il endosse lui‐même intensément chaque rôle, tel l’aède qui écrit, compose, joue, en un mot vit son œuvre. « L’anarchiste », le « libertaire », ce sont des mots qui ne disent pas tout de Ferré : un homme qui ôte ces armures et se met nu face à notre vérité d’être, intensément présent. Toute la société s’y trouve confrontée à son propre mensonge. C’est tout l’itinéraire d’un des plus grands artistes de la seconde moitié du XXe siècle qui s’y trouve réalisé.
L’Opéra du pauvre réalise l’alliage de la musique la plus « popisante » de son époque, d’un jazz plus en recherche, et de la grande musique classique du début du XXe siècle à travers des figures comme Ravel ou Fauré. J.P. Dessy
Chant du Monde vient de sortir un coffret de 3 CD « Léo Ferré Immortal Characters :
l’Ïle Saint‐Louis » Anne‐Marie Lefèbvre (N° 816 Bruxelles news)