Cinq étoiles au firmament!
Toutes voiles dehors et d’un train d’enfer, le nouveau spectacle grand public mis en scène par Thierry Debroux enflamme comme une traînée de poudre. Entre fidélité au texte de Robert Louis Stevenson et amplification psychologique voulue et écrite par Thierry Janssen, les décors somptueux de l’Île au trésor de Ronald Beurns dévoilent en deux plans, d’abord le profil sombre et macabre de «L'Amiral-Benbow », auberge perchée sur une falaise, et son intérieur délabré dont tout fait penser à Daphné Du Maurier. Ensuite, la magie époustouflante de la scénographie et du maître des décors - d’année en année plus surprenante - transforme soudain ce lieu lugubre en lumineux port d’attache de la fameuse Hispanolia prête à embarquer pour une fabuleuse chasse au trésor sur une île lointaine. Puis c’est carrément catapulté dans le ventre du navire que se retrouve le spectateur, une coupe transversale qui va du ciel à la cale où conspirent les pirates endurcis. Enfin l’île paraît, ensorcelante - oui il y règne de la vraie sorcellerie, parole d’araignée - et dangereuse, théâtre de pas moins de 17 assassinats, avant le retour sur le bateau rempli d’amers souvenirs. Maintes fois, à la première, le public enthousiasmé, a jugé bon d’interrompre le déroulement de la pièce, juste pour applaudir à tout rompre.
Julien Besure – nommé dans la catégorie « meilleur espoir » pour son interprétation de D’Artagnan dans Les trois mousquetaires, interprète avec un talent extraordinaire le jeune Jim Hawkins, héros de l’histoire. Celui-ci a laissé sa mère éplorée derrière lui sans savoir que le chevalier Trelaunay/ Simon Vialle malgré ses belles perruques est un implacable personnage cupide et violent qui a mis la pauvre mère du jeune homme à la rue en faisant saisir l’auberge. Le docteur Livesey/ Othmane Moumen est peut-être le moins méprisable de la compagnie et le plus humain. Inutile de dire que les costumes sont splendides.
Thierry Janssen en personne se glisse dans la peau du formidable Billy Bones et de Jonathan Joyce, l’un des terrifiants pirates. Et l’innommable Long John Silver jamais repenti, le mécréant manipulateur avide, d’une hypocrisie monumentale se retrouve par la magie de la scène doté de traces d’humanité et de bonhommie parfois non feinte! La personnalité généreuse d’Angelo Bison qui l’incarne empêchait sans doute qu’on l’associe à un personnage totalement cruel et sans scrupules! Ainsi donc, sous des dehors tintamarresques, on ira jusqu’à ne point le honnir.
C’est ici qu’intervient la créativité des adaptateurs qui décident d’ajouter, pris sans doute par la fièvre des marais, quelques prolongements de leur cru, inventifs, volubiles et drôles. Ben Gunnn, le marin abandonné habitant solitaire de l’île est remplacé par cette hallucinante Mama Brigid coachée avec brio par Jack Cooper en personne, et par cet autre personnage féminin, Moustique, dont les morsures féminines retournent le cœur du jeune héros. Une lointaine allusion aux personnages Shakespeariens, mi-masculins, mi-féminins? Une occasion sur mesure pour accueillir dans l’olympe de cette magnifique troupe une toute jeune élève fraîchement sortie du conservatoire, Loriane Klupsch qui a eu ainsi l’honneur et la gloire de se produire pour la première fois sur le prestigieux plateau du théâtre du Parc.
Cette nouvelle création réunit donc tous les ingrédients du drame chers à Hugo : la chorégraphie flamboyante des combats, l’apogée de l’horreur et de la terreur, le rire tonitruant, la passion démesurée - ici celle de l’or -, la tragédie, la comédie, la féerie, l'hymne et la farce. C’est tout simplement fa-bu-leux, tant dans le rythme que dans l’expression. Et personne n’oubliera le dernier tableau de l’aventure qui est saisissant de beauté esthétique et ...morale.
L'ÎLE AU TRESOR
de Thierry JANSSEN, d'après le roman de Robert Louis STEVENSON.
Du jeudi 8 septembre 2016 au dimanche 23 octobre 2016
http://www.theatreduparc.be/Agenda/evenement/57/39.html
Crédit Photo: ZVONOCK
Commentaires
La plupart des grands enfants s'en souviennent: tout commence dans l’Auberge de l’Amiral Benbow où Jim et sa mère hébergeaient Billy Bones, poursuivi par des pirates qui convoitent le coffre qu'il défend farouchement de toute intrusion.
C'est que ce coffre contient la carte nécessaire pour retrouver le trésor de feu le Capitaine Flint, trésor caché dans une île. Bones sera proprement trucidé tandis que la carte sera récupérée par Jim qui partira à la recherche du trésor, en compagnie du Docteur Livesey, mais aussi du Chevalier Trelawney qui, pour le voyage à bord de "l'Hispanolia", a réuni un équipage peu recommandable dont le chef n'est autre que Long John Silver, ancien quartier-maître de Flint.
Thierry Janssen a cru bon d'ajouter une touche féminine à cette bande de brutes sans foi ni loi, querelleurs et buveurs de rhum. Myriem Akheddiou se transforme en double personnage: la mère-poule de Jim et la sorcière Mama Brigit, soeur de Flint (avatar de Ben Gun) tandis que Loriane Klupsch est Moustique, une jeune fille (nommée Blanche) déguisée en mousse pour pouvoir faire partie de l'équipage. Si on a pu parler de "roman initiatique" à propos de"l'Ile au Trésor", le voici, aussi, une initiation à l'amour pour cet ado de Jim...
Le titre déjà recèle deux grands mythes ou fantasmes : la magie de l'île exotique, l'irrésitible attrait d'un trésor caché. Le roman lui-même fait partie de toute cette littérature populaire qui va de l'épopée romanesque au roman d'aventures, de "Robinson Crusoë"aux adaptations et versions actuelles de toutes sortes comme ces"Pirates des Caraïbes"... L'ombre de Long John Silver/Angelo Bison, vétéran unijambiste et chef de bande a inspiré et inspire encore l'image romanesque du pirate. Il est devenu un archétype.
On n'en oublie pas pour autant le jeune héros, Jim Hawkins/Julien Besure, le docteur Livesey/Othmane Moumen, le fourbe Trelawney/Simon Vialle... et la fameuse carte-au-trésor, personnage-objet central, convoitée de tous, pirates en tête: Claudio Dos Santos, Sacha Fritschké, Marc Laurent, Thierry Janssen, Camille Pistone, Valentin Vanstechelman, Christophe Delrée, Anthony Molina-Diaz, Thibault Packeu... soit un bel ensemble de comédiens dynamiques, tous excellents.
Ile au trésor... trésor des livres !
Après l'adaptation de "Le tour du monde en 80 jours" (et ses nombreuses reprises), il y eut celles de "Les Mille et Une Nuits", de"Fantomas", de "Les Trois Mousquetaires", voici donc celle du non moins populaire "L'île au trésor", assurée par Thierry Janssen. Ainsi, le Théâtre du Parc poursuit sa stratégie de programmer un grand spectacle populaire par saison théâtrale.
Du reste, c'est parait-il, un rêve d'enfant que réalise son directeur Thierry Debroux en le mettant en scène, un rêve qu'il partage avec Thierry Janssen qui signe une adaptation originale.
Ils sont fort bien épaulés par Ronald Beurms, aux scénographies toujours ingénieuses autant que spectaculaires, et son frère, Allan Beurms, pour de splendides vidéos "mouvantes". Soutenu par les son (David Lempereur) & lumière (Laurent Kaye) appropriés, le duo excelle à crérer des ambiances et des lieux très différents - ici: auberge, océan tempétueux, navire, jungle... - et cela en un clin d'oeil, tout en ménageant des surprises.
Il y a aussi les clins d'oeil ironiques de certains anachronismes, et les transformations psychologiques de certains personnages, voulus par l'adaptation de Thierry Janssen. Incontestablement, voilà un spectacle qui atteint son but: plaire à un public le plus large !
Rêver de pirates et découvrir la vie
C’est devenu une tradition. Depuis 2011, le théâtre du Parc ouvre sa saison par un spectacle grandiose, qui fait vibrer plusieurs générations. Cette année, épaulé par une équipe fidèle et efficace, Thierry Debroux met en scène "L’île au trésor". Une oeuvre qui, durant son enfance, l’a fait rêver et voguer sur les océans. En l’adaptant, Thierry Janssen y a glissé de la magie, de l’humour et a renforcé le rôle initiatique du roman de Robert-Louis Stevenson. Pour apprendre à voler de ses propres ailes, Jim Hawkins doit quitter le cocon familial et affronter les dangers de la vie.
Dans l’auberge "L’Amiral Benbow, tenue par sa mère, le jeune Jim Hawkins est fasciné par les histoires que lui raconte Billy Bones, entre deux goulées de rhum. Ce vieux loup de mer protège jalousement un coffre mystérieux. En vain. Maudit par la "tache noire", il meurt d’apoplexie. En ouvrant le coffre, Jim et sa mère découvrent de l’or et, enroulée dans une toile cirée, une carte conduisant au trésor du capitaine Flint. Attaqués par des brigands, ils sont sauvés grâce à l’intervention victorieuse du chevalier Trelawney. Celui-ci , très intéressé par la carte, décide d’affréter un bateau et propose à Jim de participer à cette chasse au trésor. Enthousiasme de l’ado, effroi de la mère-poule. Elle accepte finalement que son fils s’embarque sur l’Hispanolia, s’il est accompagné par le docteur Livesey, un ami de la famille.
Trealawney peut compter sur son second Mike Arrow, mais se méfie du reste de l’équipage. Des marins braillards, indisciplinés, querelleurs, recrutés par Long John Silver. Ce cuisinier à la jambe de bois, qui a baptisé son perroquet Capt’ain Flint, n’est pas monté à bord, uniquement pour s’occuper de tambouille... Le quai de Bristol s’éloigne. Et nous voilà propulsés dans le ventre du galion. Le scénographe Robert Beurms nous le montre en coupe, du pont supérieur à la cale. Au coeur de l’action, nous vivons une traversée tumultueuse. D’abord une tempête éprouvante. Puis beuverie, mutinerie, punition exemplaire, crime déguisé en accident, prise d’otages soulignent l’âpreté de la lutte entre les rebelles de Long John Silver et le commandant Trelawney.
L’ombre des "Pirates des caraïbes" plane sur cette première partie. Dans la seconde, l’adaptation s’écarte davantage du roman de Stevenson, en privilégiant la fantaisie. C’est la sorcière Mama Brigit qui mène la danse. Sa vois éraillée, son accoutrement bizarre et son amie, la tarentule, suscitent la peur. Mais cette obsédée du fromage apparaît vite comme une bonne fée, utilisant ses pouvoirs magiques pour nousamuser. Qu’elle se transforme en GSM ou qu’elle impose au docteur Livesey un numéro de contorsionniste. Du sur mesure pour l’élastique Othmane Moumen. Des clins d’oeil à Hamlet ou aux machines à sous confirment le choix d’un ton décalé. Passionné d’aventures, Jim Hawkins se sent un moment dépassé par la violence et la duplicité des chercheurs d’or. Cependant, soutenu par Livesey, par Blanche (alias Moustique), dont il est tombé amoureux et même par Long John Silver, il triomphe de ses ennemis etrenonce aux fausses valeurs. Julien Besure vit cette évolution avec naturel.
Auteur de "Dr. Jekyll et Mr. Hyde", Stevenson aime créer des personnages ambigus. Vantard, poltron, le docteur Livesey joue les anges gardiens à contrecoeur. Il s’y résout sous la pression de Trelawney, qui le menace de révéler sa lâcheté. Mais sincèrement attaché à Jim, dont il a un peu remplacé le père, il est prêt à se sacrifier pour le sauver. Tout le contraire de Trelawney. Ce chevalier semble défendre la loi et prendre sous son aile le jeune Hawkins, alors que son seul mobile est la cupidité. Il ira jusqu’à mettre sur la paille la mère du héros. Sous la dégaine du pirate à la jambe de bois, Angelo Bison nous fait sentir que ce manipulateur rusé, impitoyable, cynique éprouve parfois des élans paternels.
Bien sûr, cette complexité n’est pas l’atout majeur de cette "île au trésor". On applaudit avant tout un spectacle remarquablement maîtrisé. La scénographie ingénieuse, les costumes suggestifs, la chorégraphie des combats, les gravures animées nous en mettent plein la vue. Et une quinzaine de comédiens talentueux impriment à cette histoire pleine de rebondissements, un rythme endiablé.
Jean Campion
Merci Musiqu3 et François Caudron !
http://www.rtbf.be/auvio/detail_chronique-theatre?id=2140954
lecture confortable de ce très bel article: http://www.lalibre.be/culture/scenes/l-ile-au-tresor-l-aventure-par...