"J’ai quinze ans et demi, il n’y a pas de saisons dans ce pays-là, nous sommes dans une saison unique, chaude, monotone, nous sommes dans la longue zone chaude de la terre, pas de printemps, pas de renouveau."
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Ce texte marquant et inoubliable de Marguerite Duras est un défi de taille pour la jeune Sarah Fiorido, seule en scène au théâtre du Grand Midi.
« Très vite dans ma vie, il a été trop tard ! » L’Indochine des années 30. Elle est blanche, elle a quinze ans, des nattes sages, une robe sac en soie grège cerclée d’une ceinture, des yeux de braise, un visage de madone et acceptera avec un certain goût de la perversité, la cigarette anglaise d’un chinois de deux fois son âge et qui roule en limousine noire. La perversité, seule arme sans doute contre la douleur ? Derrière la trame de cet amour précoce, déterminant et inachevé à jamais, Marguerite Duras évoque en filigrane une douleur pour l’éternité. Cette douleur plonge ses racines dans la violence et les souffrances liées à son histoire familiale. L’absence de père, les déboires économiques de la famille, la brutalité, la violence du frère aîné qui vole la mère et les domestiques et se complait dans les fumeries d’opium. Ajoutez l’amour qu’elle voue à sa mère mais aussi l’insuffisance de celle-ci, l'adoration pour le petit frère et la douleur de sa perte. « Comment ai-je pu aller jusqu’au bout de l’interdit de ma mère ?» se demande-t-elle. Seule l’écriture sera libératoire.
L’amant, dont la servilité est l'argent de son père, est incapable d’imposer son histoire d’amour. Son père, profondément raciste, misogyne peut-être, est une figure tutélaire omnipotente. « Pas de mariage possible avec la petite prostituée (... tuée) blanche du poste de Sadec.» Sadec-la-sadique.
La comédienne au visage très mobile virevolte avec art dans la narration éclatée en «je» et «il» et «elle» et se retrouve avec grande maîtrise dans ce labyrinthe de points de vue. Sur quelques mètres carrés, dans un décor peu élaboré, elle suggère, transporte en Indochine, crée des images, vit une passion dans tous les sens du terme, raconte avec beaucoup de pudeur la découverte du plaisir physique et ses ébats aux heures de lycée. L’interprétation de la comédienne est juste, bien que légèrement dérangeante. La jeune amante est froide, résolue à quitter celui qui, entravé par le pouvoir paternel, souffre en l’aimant comme il n’a jamais aimé. Elle est résignée et ne veut rien laisser paraître. Fière aussi de ne pas montrer ses larmes qui coulent, intarissables, sur le paquebot qui l’emporte vers l’Europe. Regards de la comédienne et texte sont bouleversants. « Elle retrouve seulement maintenant l’amour perdu comme de l’eau dans le sable et qu’elle n’aurait pas vu,» grâce à une valse de Chopin qui se répand dans le paquebot.
http://www.xltheatredugrandmidi.be/
Jusqu'au 4 février 2012
Sur les traces de Marguerite: http://belleindochine.free.fr/DurasAmant.htm
Commentaires
je m'explique: c'est une impression de froideur, de distance (voulue par l'auteur, et vous me l'avez fait découvrir) qui dérange le rêve que l'on peut avoir pour leur histoire d'amour et qui me fit pleurer quand je lus le livre que je lus sans cette distance par rapport à la passion.
Bonjour,
Je lis votre critique sur L'AMANT.
Je ne comprends pas votre appréciation " ....L’interprétation de la comédienne est juste, bien que légèrement dérangeante. ".
Et comme je suis le metteur en scène ...j'aimerais connaître le fond de votre pensée pour améliorer le spectacle.
Bien à vous,
Bernard Damien