Le titre est franchement plus sarcastique en anglais : How the Other Half Loves… Mais la référence, coup de griffe à l’œuvre proustienne, ne manque certes pas de sel… La pièce (1969) a lancé le succès fulgurant de l’auteur dramatique anglais Alan Ayckbourn, probablement le dramaturge anglais le plus joué après Shakespeare, avec plus de 80 pièces. Il fut anobli par la Reine Elizabeth II en 1997 "pour services rendus au théâtre".
Daniel Hanssens en signe la mise en scène et l’adaptation. Laure Godisiabois, Frédéric Nyssen, Catherine Decrolier, Pierre Poucet, Amélie Saye, Thomas Demarez sont les joyeux lurons qui feront de cette œuvre un festival d’humour burlesque féroce et se partagent le carnage domestique. Le réalisateur, producteur Francis Veber, auteur du « Dîner de cons » en fit la première adaptation pour le théâtre de la Madeleine à Paris en 1971.
Il y a deux couples voisins : Frank et Fiona Foster, couple distant bon chic bon genre, vs Bob et Terry Phillips, plutôt peuple, orageux et déjanté! On découvre la relation adultère entre un homme marié (Bob) et la femme de son patron (Fiona) et leurs tentatives pour couvrir leurs traces en utilisant un troisième couple, William et Mary Featherstone qui doit être leur alibi. Une série de malentendus, de conflits et de révélations ne manque pas d’éclore à chaque pas. Le terrain est miné et fait trembler le plateau divisé en deux appart’ début des années 70dans les chaudes couleurs orange. Ils sont tellement identiques qu’ils se confondent et partagent la même table de cuisine ou de salle à manger, avec une même nappe, à part sa couleur! All on the same boat ! Costumes d’époque. L’effet de théâtre absurde bien inventé dure à souhait, conforté par une même sonnerie de téléphones fantômes. Les couples se frôlent sans se voir ni se cogner, se parlent sans savoir que les autres sont là! Sacré vertige pour le spectateur admis dans le secret des dieux! C’est notre partie préférée.
On peut aussi pointer le contraste intéressant entre la nature des relations entre Fosters et Phillips qui est accentué par la différence visuelle dans leurs espaces de vie et leurs meubles respectifs, tout en coexistant dans le même espace scénique. Jolie entourloupe : lorsqu'on leur a demandé où ils se trouvaient, Bob et Fiona mentent chacun à leur conjoint, prétendant avoir dû réconforter, respectivement, William et Mary Featherstone. Encore un couple très bien campé. Mary va-elle prendre sa revanche sur un mari qui la contrôle, et l’intimide à mort? Le conflit de Teresa et Bob culmine quant à lui lorsqu’ils s’arrachent sur une progéniture envahissante et intempestive qui enchaîne les bêtises. L’action burlesque violente sur scène culmine autour de la table d’invités, remettra-t-elle tous les compteurs à zéro ? La sauvagerie comique délirante est grinçante à souhait. Poivrez le tout cela d’appels téléphoniques fantômes, et vous aurez la recette d’une comédie pathétique et désopilante, signée par notre amoureux des lettres anglaises, Daniel Hanssens et qui vous promène dans les mécaniques boulevardières avec le plus grand sérieux sarcastique.
« Du côté de chez l'autre »
d'Alan Ayckbourn
Crédit photos : Grégory Navarra
Du 5 au 9 décembre au Centre Culturel d'Auderghem – CCA
Spectacle des fêtes
Du 15 au 31 décembre au Centre Culturel d'Uccle
Infos & Réservations : 02/560.21.21 ou comediedebruxelles.be
Commentaires
Voilà quatorze années que vous avez créé La Comédie de Bruxelles. Quel bilan faites-vous à l’aube de présenter votre première pièce de la saison ?
On peut faire plusieurs bilans. D’abord un bilan humain qui est extraordinaire. Toutes les rencontres que j’ai pu faire et tout le travail que j’ai pu effectuer avec les acteurs dans une ambiance très sereine. De ce point de vue, ce n’est que du bonheur, du plaisir. Evidemment, j’ai à chaque fois recherché les meilleurs acteurs pour mes pièces, c’est-à-dire des comédiens qui puissent fonctionner au sein d’une troupe. C’est terriblement important pour moi.
Après, il y a le bilan financier et là, c’est beaucoup plus mitigé. Cela a été très bien pendant quelques années, puis j’ai eu un problème de permis pour un spectacle, avec des dates annulées et ce que cela entraîne. Cela m’a complètement plongé dans une dèche financière gigantesque. J’ai du alors, pendant quatre à cinq ans, la remonter à bout de bras pour pouvoir éponger mes dettes. {…} C’est un drame pour quelqu’un comme moi qui n’en avait jamais eues. Heureusement, tout cela est loin derrière.
Sinon, en faisant le bilan, je me dis qu’il est temps pour moi aujourd’hui de changer ma manière de fonctionner. Je veux plus de temps pour ma famille, pour ma compagne, pour mes enfants. Je pense avoir beaucoup donné pour ce métier. Puis, il y a le cinéma. J’ai la chance actuellement de pouvoir faire « Ennemi Public », qui est une série magnifique, et de jouer dans des films. C’est quelque chose qui me donne de l’oxygène. J’ai envie de me nourrir de plein de choses, mais d’avancer différemment. Après je reviendrai peut-être davantage vers le théâtre, je ne sais pas. Je pense qu’il faut que le théâtre évolue. Si on continue comme on le fait maintenant, le théâtre est mort. Il faut revoir aussi bien la façon de le proposer que de le présenter.
Tout prochainement, vous présenterez « Du côté de chez l’autre », une adaptation d’une pièce d’Alan Ayckbourn, auteur d’innombrables pièces de théâtre. Pourquoi avoir choisi cette pièce-là et cet auteur-là ?
D’abord, j’aime beaucoup Alan Ayckbourn. Ensuite, j’aime beaucoup l’humour anglais. En Belgique, je pense que nous sommes plus proches de l’humour anglais que de l’humour latin. C’est probablement ce qui fait la différence entre les Français et nous. Les auteurs anglais ont une belle qualité d’écriture. C’est en tout cas celle qui me parle le plus.
Quant au choix de la pièce, c’est différent. Chaque année, je vais voir des pièces, je me rends en librairie pour découvrir de nouvelles choses, on me propose aussi des pièces. Et au final, je regarde si ça me fait rire, si c’est encore d’actualité et puis, je choisis. Après, il faut aussi choisir les acteurs qui pourront entrer dans la pièce. Pour celle-ci, il fallait des acteurs complètement fous et décalés. C’est ce que j’ai dans cette distribution. Ils sont absolument extraordinaires et touchants. J’en découvre d’ailleurs trois avec qui je n’avais pas encore travaillé et ça me plait.
Cela apporte de la fraîcheur…
Oui, puis cela me confronte à quelque chose de nouveau. Ce sont des gens que j’aurais envie de rappeler sur d’autres spectacles, parce que c’est plaisant de travailler avec eux.
suite de l'interview: http://www.lesuricate.org/daniel-hanssens-le-theatre-devrait-faire-...
« Du Côté de chez l’autre » d’Alan Ayckbourn, mise en scène de Daniel Hanssens, avec Laure Godisiabois, Frédéric Nyssen, Catherine Decrolier, Pierre Poucet, Amélie Saye, Thomas Demarez. Du 5 au 9 décembre 2017 au Centre Culturel d’Auderghem et du 15 au 31 décembre 2017 au Centre Culturel d’Uccle.
/10
Frank Foster, Bob Phillips et William Featherstone ont un point commun : ils travaillent dans la même boîte. Pour le reste, tout semble les opposer, de leur classe sociale à leur condition maritale. Pourtant, Fiona Foster et Bob Phillips entretiennent une relation extra-conjugale sur le point d’être découverte par leurs conjoints respectifs. Pour noyer le poisson, les deux amants décident de dévier l’attention vers le couple des Featherstone. Celui-ci va alors servir de lampiste à leur propre tromperie.
Du Côté de chez l’autre est l’adaptation de la célèbre pièce How The Other Half Loves écrite en 1969 par le dramaturge anglais Alan Ayckbourn. En revisitant ce vaudeville à succès, le metteur en scène de « La Comédie de Bruxelles », Daniel Hanssens, se mettait quelque peu en danger. De fait, si l’efficacité du texte n’est plus à prouver, il est néanmoins toujours délicat de trouver les bons acteurs pour faire de ce chassé-croisé burlesque, un ballet théâtral de bonne facture. Et pour cause, avant d’être une bonne comédie, How The Other Half Loves est surtout une prouesse scénique, visuelle et dramaturgique. Sans précision, sans concentration et sans variation rythmique, la pièce n’aurait que peu d’intérêt.
Cette prouesse, Daniel Hanssens et ses comédiens l’ont accomplie de main de maître. Constamment dans la justesse, les comédiens se croisent sans se croiser, se coupent la parole sans la couper et jonglent avec les lieux et les temps. Cela a pour conséquence de les obliger à connaître le texte des autres, mais aussi à les empêcher d’improviser quelques pas ou de cabotiner par excès de confiance.
Sur le fond – et donc sur le texte en lui-même -, la pièce s’octroie davantage de légèreté. Comme beaucoup d’autres oeuvres issues du théâtre vaudevillesque, Du Côté de chez l’autre nous narre la vie du couple, avec ses hauts et ses bas, ses non-dits, ses traîtrises et ses rapports de force. Comme beaucoup d’autres, cette pièce met plusieurs couples en confrontation directe et ce, avec un sadisme jouissif. Cependant, là où Alan Ayckbourn se démarque, c’est dans le mélange des genres. Au-delà du traditionnel cocufiage, l’auteur travaille de manière sous-jacente la lutte des classes, les rapports hommes-femmes et l’injustice. Qui a dit que le vaudeville ne pouvait pas être truffé de moralité ?
En résumé, Du Côté de chez l’autre est une pièce à voir. Auréolée par la mise en scène rigoureuse de Daniel Hanssens et magnifiée par des acteurs incroyables, cette adaptation mérite indiscutablement qu’on s’y intéresse le temps d’une soirée. Citons encore Marcel Achard dont la citation pourrait résumer cette histoire : « Cocu pour cocu, autant être marié ».
http://www.lesuricate.org/du-cote-de-chez-lautre-la-valse-des-non-d...