Don Juan, Visit Now!
Les nouveaux ostracismes
La société est malade. Et le charme, la beauté physique, l’humour, le discours, la communication riche et structurée, c’est élitiste: qu’on les pende! Et la magie théâtrale, n’en parlons pas. Bien dommage pour Don Juan, dont le texte a été … fracturé.
Faites gaffe en particulier à cette femme blanche, bien habillée, émancipée, éduquée, libre, ouverte, tolérante, et maîtresse d’elle même! Nous la haïssons, c’est la pire espèce et elle ne fait pas partie de notre sororité, déclare avec conviction une des membres du collectif. Mode d’emploi : la terre brûlée. On déblatère et ça répond dans un feu de questions dans le vide. Surtout bien sûr, évitons des mots tels que fraternité, c’est ma foi, trop chargé de genre… Inconnues au bataillon ces bienveillantes Soroptimistes qui ne se gênent pas pour utiliser la langue courante.
Certes, nous vivons à notre époque le bouleversement de nos modes de vie. Et d’aucuns s’en réjouissent. Il vaut toujours mieux voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide. On en convient. Absolument.
Mais….
N’est-ce pas une société affluente, riche, libre des affres de la guerre, de la famine, et des maladies qui permet que se déploient l’éducation, la santé, le confort social et les libertés démocratiques? C’est cette même société hautement décriée qui donne sa place à la culture, la musique, aux arts vivants, à la parole.
Ce n’est pas parce que l’on dénonce la dictature des forts qu’il faut tolérer la dictature des faibles ou de toute espèce de minorité qui se retranche dans son entre-soi, subir la police de la pensée, les extrémismes ridicules du politiquement correct, ceux d’une langue dénaturée artificielle et hypocrite.
Oui nous signons pour l’Art. Pour le langage universel de la musique, pour les arts plastiques, pour tout ce qui fait la noblesse de l’Homme. Nous signons pour L’Art poétique de Boileau, les déclarations d’amour de Pierre Ronsard, la sagesse de Montesquieu, toutes les œuvres de Racine et de Molière, Victor Hugo et du petit Marcel. Ils avaient la sensibilité de la langue à fleur de peau, ils étaient des modèles de pensée et de raffinement humain en quête de spiritualité, d’élévation ou de progrès.
Et aussi que brille la mémoire de toutes ces femmes formidables qui ont ouvert dans la littérature française, la voie à la parole féminine. Depuis Christie de Pisan jusqu’aux précieuses ridicules qui les premières ont secoué le joug masculin, ah! Mademoiselle de Scudéry! Madame de Sévigné, Georges Sand, l’illustre Colette ont pavé le chemin pour qu’enfin femmes s’expriment et partagent leur intelligence de cœur et d’esprit. Les grandes Simone de Beauvoir, Marguerite, Françoise Dolto et Simone Weil… sont autant de lumières qui éclairent notre route.
« Don Juan, visit now ! » scénographie d’Alicia Jeannin. ©Marie-Christine Paquot
Mais … ânonne toujours le collectif: méfions nous du Verbe, de sa richesse, de sa complexité, de la rhétorique, de l’art de convaincre, de l’argumentation qui ne fait que de creuser le fossé entre les classes.
Don Juan n’est pas l’esprit libre que vous croyez, le libertin pourfendeur de privilèges, c’est juste le plus vil modèle de tous les prédateurs. Il est pour Pascal Crochet et son équipe – dont certains avouent n’avoir même pris la peine de lire la pièce – le prétexte pour se mettre à déconstruire les rapports hommes-femmes (ou, le cas échéant, autres identifications humaines).
Or, vouloir jeter aux orties le Don Juan de Molière et de Mozart est un geste totalitaire inconvenant, comme celui que dévisser des figures historiques et leur faire un procès quelques siècles plus tard. Georges Orwell avait pourtant bien prévenus que réécrire l’histoire, la sortir de son contexte ne peut mener qu’au totalitarisme.
Le rideau n’est pas levé que l’on nous présente trois pauvres diables balbutiants, mal à l’aise, mal fagotés, incapables de trouver leurs phrases… Le reste du spectacle est ceinturé par des femmes hors d’elles-mêmes . Il est fait d’indigeste laideur, où que l’on se tourne, côté cour ou côté jardin, malgré certains exploits de langage corporel bien appuyés. Coté sofa ou côté cuisine, dans ce loft improbable meublé au Formica des années 50, 2022 pourrait faire mieux… Anachronisme maladroit?
Leur doctrine simpliste est sans doute qu’on n’en fait pas d’omelette sans casser des œufs. Rien de plus vrai, mais quelle volée de poncifs en tout genre. Le spectateur est mis en demeure d’avaler quantité de couleuvres sans dire mot. En même temps que cette improbable omelette gluante pleine de coquilles, servie sans manières, aux trois mâles qui mangent sans fourchette.
Et un protagoniste de conclure: on a mis le pied sur une fracture glacée d’où tous nous espérons qu’un monde nouveau ressortira. Cela, OUI, on l’espère de tout cœur. Mais la manière marxiste n’a plus vraiment cours. Alors, on s’est trouvé à applaudir rapidement, par respect pour les artistes renommés et talentueux qui ont donné tout ce qu’ils pouvaient, malgré cette période tellement débilitante que nous vivons tous. On a préféré fuir au plus vite devant tant de polémique, de mauvaise foi, d’intégrisme destructeur, de vindicte et de violence faite à l’humanisme.
Dominique-Hélène Lemaire pour le réseau Arts et Lettres
Distribution
JEU Maxime Anselin, Marie Cavalier-Bazan, Isabelle De Beir, Dolorès Delahaut, Alexandre Duvinage, Mathilde Geslin, Sylvie Perederejew, Hélène Theunissen, Laurent Tisseyre, Laura Zanatta •
CONCEPTION & MISE EN SCÈNE Pascal Crochet avec la participation libre de l’équipe de création
Du 11 au 27 janvier 2022 Théâtre des Martyrs
Place des Martyrs, 22 1000 Bruxelles
http://www.theatre-martyrs.be
billetterie@theatre-martyrs.be
+32 2 223 32 08
Rendez-vous avec DON JUAN, VISIT NOW! de Pascal Crochet
Interview des actrices Marie Cavalier-Bazan et Hélène Theunissen et du metteur en scène Pascal Crochet. Restez avec nous jusqu’au bout pour les bonus… défi ! Musique : Fabian Fiorini Montage : Maxime Jouret#pourenfiniravecdonjuan#cacraquedepartout#domination#societe#hommefemme#rendezvousavec#interview#tma2122
Commentaires
Avec Michel Piccoli et Claude Brasseur, magnifiques!
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dom_Juan_ou_le_Festin_de_Pierre_(t%C3%A9l%C3%A9film,_1965)
Les intérieurs apparaissent étonnamment sobres. Une grande partie des scènes a été tournée dans la saline royale d'Arc-et-Senans de Claude Nicolas Ledoux, les Grandes Écuries du château de Chantilly, un salon vide du Trianon-Palace à Versailles, ainsi que sur la plage d'Hardelot au nord du Touquet, initiative audacieuse à l'époque.
C’est davantage sur l’itinéraire du Dom Juan de Molière, sa quête personnelle, qu’insiste Marcel Bluwal. Il n’hésite d’ailleurs pas à glisser dans le film une référence au Don Quichotte de Cervantès. Le mythe de la séduction qu'évoque habituellement don Juan s’efface derrière le récit d’un homme affranchi de la crainte de Dieu et résolu à affronter son destin.
Au fil des siècles, "Don Juan" est devenu une figure emblématique de la scène culturelle. Apparaissant pour la première fois au 17ème siècle dans la pièce de théâtre "L’abuseur de Séville" de Tirso de Molina, Don Juan a inspiré de nombreuses œuvres littéraires, musicales, picturales et cinématographiques. On pense notamment au Dom Juan de Molière et au Don Giovanni de Mozart. Symbole par excellence du séducteur dominant qui agit sans scrupule à l’égard des femmes, Don Juan est – il encore le bienvenu dans notre société contemporaine ?
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Je Sais Pas Vous : Don Juan de Mozart
A travers sa pièce "Don Juan, visit now", Pascal Crochet illustre le clivage qui existe entre un texte ancien et sa réception dans une société qui est justement occupée à lutter contre les codes moraux que ce même texte a véhiculés. Face aux discussions contemporaines et quotidiennes sur des sujets tels que le patriarcat, l’émancipation des femmes ou encore la question du genre, une œuvre mettant en scène un personnage tel que Don Juan peut-elle encore trouver sa place ? C’est à travers le prisme de cette question que les comédiens se livrent à des performances diverses qui plongent le public dans un spectacle en parfaite adéquation avec l’actualité.
Dans un décor mettant en scène une pièce de vie, un groupe mixte essaye de réfléchir à la question de l’égalité des droits pour tous. Les comédiens s’interrogent les uns les autres, discutent entre eux, témoignent, se disputent ou présentent encore des notions telles que la circlusion et la sororité… Les acteurs se font ainsi les porte – voix des basculements qui agitent notre époque pour en illustrer toute la complexité qui s’en dégage. Bien que le sujet abordé puisse sembler sérieux et lourd pour certains, il est indéniable que les comédiens réussissent à transmettre une très belle énergie au public grâce à leur jeu sincère, authentique et puissant. Tout au long de la pièce, on sent une réelle harmonie entre les comédiens et leurs personnages.
Sans tomber dans la pédagogie, la pièce s’attelle à montrer que le féminisme est avant tout une expérience humaine qui vise à redéfinir des schémas culturels qui ont fait leur temps. Par ses monologues et dialogues percutants, "Don Juan, visit now" est également l’occasion pour le spectateur de faire face à des questions qu’il ne s’est peut – être jamais posées. En effet, la pièce tire également sa force dans le fait que son casting est varié. Cette multitude d’expériences et de points de vue fait de ce spectacle un portrait juste et complet d’une révolution qui ne cesse de gagner en intensité…
Infos pratiques
La pièce "Don Juan, visit now" se joue au Théâtre des Martyrs jusqu’au 27 janvier 2022.
Adresse : Place des Martyrs 22, 1000 Bruxelles
Tél : +32 (0) 2 223 32 08
Pour plus d’informations sur : "Don Juan, visit now"
Du mythe de Dom Juan au partage des sources
"Don Juan, visit now!" kaléidoscopise le genre. Une création de Pascal Crochet, aux Martyrs.
Marie Baudet Publié le 14-01-2022 à 14h46 - Mis à jour le 14-01-2022 à 19h46
Si certes elle prend place à quelques jours à peine du 400e anniversaire de la naissance de Molière, la pièce montée par Pascal Crochet avec la troupe de Théâtre en Liberté et de jeunes interprètes, aux Martyrs, ne s'appuie sur Dom Juan que comme on se donne un cadre, un prétexte. Et pas seulement sur ce Dom Juan-là d'ailleurs, mais sur le mythe plus globalement décliné par aussi Tirso de Molina (L'Abuseur de Séville) ou Mozart (Don Giovanni) entre autres.
Le Visit now ! accole au nom du séducteur – entre injonction et invitation – sa tonalité contemporaine, indice de l'esprit du spectacle où, aux bribes de pièces anciennes, s'entremêlent des textes et des pensées d'aujourd'hui.
Le prisme, ici, sera moins l'absurdement polémique guerre des sexes que le questionnement des identités, des rôles genrés, des rouages de la domination masculine, des trajectoires du féminisme. Kaléidoscopique par nécessité de sens, Don Juan, visit now ! l'est aussi par la forme, en adéquation avec le parcours de Pascal Crochet, marqué par l'hybridation des disciplines, le brouillage des codes, le défrichage – de ses collaborations comme interprète avec Ingrid von Wantoch Rekowski ou la Cie Mossoux-Bonté à sa récente implication dans la redéfinition du Boson.
Matière touffue, chœur mouvant
Déjà metteur en scène, jadis, d'un post-Dom Juan (Chimère et autres bestioles de Didier-Georges Gabily, où plus personne ne croit en dieu et où les femmes décident de se venger), Pascal Crochet voit dans le classique de Molière, à la lumière du contexte actuel, "une violence insensée".
C’est cette matière touffue que débroussaillent et déploient les dix actrices et acteurs du spectacle.
Maxime Anselin, Marie Cavalier-Bazan, Isabelle De Beir, Dolorès Delahaut, Alexandre Duvinage, Mathilde Geslin, Sylvie Perederejew, Hélène Theunissen, Laurent Tisseyre, Laura Zanatta, plus que de simples interprètes, ont contribué par leurs lectures, leur vécu, leurs improvisations, à bâtir cet assemblage. Et constituent un chœur mouvant qui oscille entre l’ordinaire des tâches quotidiennes et l’onirisme, en y tissant un discours, une pensée, des pistes de réflexion.
Sans échapper parfaitement au schématisme de l’exercice – notamment dans les scènes plus explicatives –, l’entreprise diffuse généreusement sa dramaturgie ponctuée de mots projetés, d’emprunts et citations, de punchlines amenées avec sensibilité.
Et s’il s’agit de poser quelques jalons familiers aux plus féministes parmi le public, la pédagogie qui s’articule sur le plateau se garde bien (en toute conscience, nous semble-t-il) de tomber dans le travers si commun de la mecsplication.
En toile de fond plus qu’en sujet, le mythe aura joué son rôle : prétexte à un cheminement de pensée, traduit par un travail textuel mais aussi physique, ancré dans la présence et l’espace qu’il se donne.