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J'ignore la sagesse, utile pour les masses,
Et ne mets dans mes vers que ce qui fuit et passe,
Car l'instant passager, pour moi, contient un monde
Empli de jeux changeants et d'opalines ondes.
Ne me maudissez pas, vous qui vous croyez sages,
Je porte en moi la flamme et ne suis qu'un nuage ...
Et comme le nuage orageux mais si tendre,
Je parle aux seuls rêveurs qui seuls peuvent m'entendre.
Les roseaux
Lorsqu'arrive minuit dans les marais déserts
Les roseaux doucement soupirent dans les airs,
Que disent les roseaux, pourquoi donc ces murmures ?
Pourquoi des feux follets brûlent dans leur verdure ?
Ces errantes clartés sur le miroir des eaux
Se rallument ou bien s'éteignent de nouveau.
Les roseaux de minuit s'inclinent et bruissent,
Ils cachent des crapauds, de longs serpents y glissent.
Le visage penché d'un livide croissant
Se mire dans les eaux, tremblant, évanescent.
Oh ! l'odeur de la vase, étrangement sauvage,
Il aspire, il étreint, l'attirant marécage...
"Qui donc est-ce ... Pourquoi ? demandent les roseaux.
Pourquoi brûlent ainsi des flammes sur nos eaux ?"
Mais le croissant se tait tristement qui l'ignore,
Et penche son profil plus bas, plus bas encore ...
Les roseaux chuchotant dans la nuit de saphir,
D'une âme disparue évoquent les soupirs.
Constantin Balmont
(In Anthologie de la poésie russe/ Edition de Katia Granoff/ NRF/Poésie/ Gallimard)
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