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administrateur théâtres

Un concert hors gabarit : Oser le rêve !

16

MARS
20:00 - 23:30

Le Klara Festival a exhumé  des partitions fortes pour son édition 2018. Le thème était l’imagination. On sera comblés au-delà de toute mesure par ce concert d’une puissance stupéfiante donné à Bozar le 16 mars dernier.  Prefatory Action to Mysterium (1903-1915) de Scriabine, comme il est dit dans le programme, était une œuvre qui allait surpasser tout ce qui s’était fait jusqu’alors dans l’histoire musicale. Une œuvre visionnaire, radicalement messianique qui devait changer le Monde! Le rêve de Scriabine  interrompu par sa mort (1915)  fut rattrapé par le compositeur russe Alexandre Nemtin (1936-1999) qui y travailla pendant trente ans pour  le compléter en polir les innombrables facettes.

Alexander Scriabin, Mysterium

Stanislav Kochanovsky, conductor
Vadim Tsibulevsky, Konzertmeister 

Scriabine vit dans ce que l’on appelle l’automne culturel de la Russie tsariste. L’art symboliste répond au matérialisme croissant de son époque, par une nostalgie des valeurs spirituelles  et de l’unité perdue entre esprit et matière. Il y a deux mondes, comme le pensait Platon : le monde sensible que nous expérimentons, et le monde métaphysique idéal qui se cache derrière lui : là où règne le Beau, le Bien, le Vrai. En allant plus loin, le philosophe russe Vladimir Soloviev exprime l’idée que la vraie beauté née d’une idée et d’une matière qui s’interpénètrent est une force qui peut améliorer la réalité !  Ce pouvoir actif, les russes le nomment « théurgie » … Et nous : « good vibes ? », ces ondes greffées dans la beauté qui inondent et transforment ? La force transformatrice de l’art ! Et en allant plus loin encore, voilà que Scriabine est touché par les idées enracinées dans l’hindouisme, selon lesquelles, la conscience du corps matériel évolue vers l’esprit universel… Ainsi, il conçut son Mystère comme un accélérateur de transformation cosmique. Ainsi, Scriabine, très conscient de son utopie, pense que « L’Acte préalable »  sera un premier pas dans la bonne direction. La musique, comme chemin de révélation? Son rêve est d’impliquer le plus de participants possible. Serait-il, en 1910, créateur d’Art Multimedia? Un moteur de métamorphoses?   

“There will not be a single spectator. All will be participants. The work requires special people, special artists and a completely new culture. The cast of performers includes an orchestra, a large mixed choir, an instrument with visual effects, dancers, a procession, incense, and rhythmic textural articulation. The cathedral in which it will take place will not be of one single type of stone but will continually change with the atmosphere and motion of the Mysterium. This will be done with the aid of mists and lights, which will modify the architectural contours."  

Lors de la production du Klara Festival, l’œuvre devient un gigantesque  jeu de sons et lumières d’une époustouflante densité.  Non seulement les sons mais les couleurs balayent la salle et le plateau. Voici le premier acte : l’Univers.  Le pianiste  russe se fait entendre à travers les agissements puissants des cuivres et le fracas du tonnerre créateur. Dans l’exploration de l’univers en formation, le bleu fuse avec les vents, les échos se multiplient, le clavier ordonne et les violons frissonnent. Des suites s’organisent et se rassemblent. Assiste-t-on à la création de l’univers ou à celle des premiers chromosomes vivants ?  Pourvu que rien ne vienne geler la vie frémissante.   Il faut reconnaître l’espoir insensé qui se gonfle sur les cordes, repérer le chant léger et aigu d’un duo de hautbois et de violon, bientôt absorbé par une marche de géants aux percussions. Le piano renaît. Avec lui l’intelligence des violons  et la lumière entre dans la caverne.  Une flûte écrirait-elle le mot liberté dans l’espace ? Le pianiste a recueilli le message en trilles colorées de douceur. Un flot de vocalises descendantes se heurte aux vagues tumultueuses de percussions sourdes, le chœur se lève. Le cri déchire l’espace. Les percussions disent  un  Big Bang  visionnaire suivi d’une longue onde de silence. Le chœur rêve d’éternité et s’organise en une éclosion lente et spectaculaire. Les cuivres sonnent à la perfection tels  des voix d’outre ciel. Le piano répond avec des gazouillis d’infini. On a reconnu quatre notes primordiales qui ne cesseront tout au long de l’œuvre de phosphorer, au sens étymologique du terme.

L’image contient peut-être : une personne ou plus, foule et intérieur

  Comment capture-t-on l’essentiel ? Il faut se laisser porter, accueillir la grâce. Se laisser emporter par le thème, un aphorisme répété mille fois. Se laisser rêver sur les changements de faisceaux de lumières colorées qui épousent les sonorités et les voix, entrer  dans  l’alchimie secrète des ondes sonores et lumineuses, sonder l’univers et l’humanité en marche.   N’est-ce pas ainsi que maintenant on étudie les étoiles, grâce au jeu des spectrographes?

Le deuxième acte décrit dans une sorte d’ivresse musicale la chute  nécessaire de l’humanité, ses douloureuses blessures,  son combat et sa route difficile vers une vision de réconciliation et de pardon. Sa quête de l’harmonie spirituelle. Le troisième acte est une transfiguration  très bien décrite décrit dans les notes de Nemtin :  « La coda s’ouvre avec une sorte de transfiguration. Au climax commence un rite doux, avec le son de cloches et d’un chœur. Presque tous les motifs mélodiques des trois parties sont répétés. À la fin, le chœur chante à l’unisson le motif de quatre notes de la mort. Cela ne ressemble pas à la mort, mais semble plutôt une étape vers un autre niveau de la vie. Au début – quand les cloches sonnent –, les quatre notes résonnent fort, puis s’éteignent et tout disparaît, se dissout. C’est précisément, il me semble, ce qui se passe à la fin. L’univers qui fuit dans toutes les directions commence à se rassembler sur une seule note – fa dièse, la note que Scriabine aimait tant. L’Acte est terminé. »

Dans cette troisième partie on est touché au plus profond par des effets grandioses du tuba, la douceur des hautbois, les jeux de sonorités fruitées, les charges bruyantes. Les quatre notes sont déclinées à l’infini par tous les pupitres comme des mantras en forme  ascendantes et chromatiques. L’orgue a fait son apparition : à la fois rayonnement incandescent et un éclat d’une extrême délicatesse. Le mystère s’empare des cordes qui jouent de façon presque invisible. Du  bercement  régulier des arpèges,  apparaît le beau grain de  voix de la soprano qui produit de larges vocalises,  stables et pleines, sorte d’élixir de sérénité fascinant. L’imaginaire est large comme le rêve d’Icare, sauf qu’il n’y aura pas de chute!  A chaque retour des quatre notes fondamentales, débarque une caravane de lourds parfums capiteux, du sable mou  et chaud, un résumé de l’Univers. Le pianiste réveille l’énergie, l’orchestre amplifie les mouvements,  décuple les forces en présence, Le chœur de 60 choristes de la radio Hongroise est debout. Avec la soprano, l’ensemble ressemble à un gigantesque mandala,  on ne sait plus d’où viennent les émotions. On assiste à une sorte de transfiguration de flux passionnels, de joie créative, de scansions et de pulsions impensables. Du Beau, du Vrai, du Bien sûrement,  en gestation perpétuelle… ad libitum. La saga fantastique est fascinante, on ne voudrait surtout pas que cela s’arrête ! Une plume vole et se laisse choir avec délices. Comment ne pas être transportés ? On a vu des milliers de flocons de lumière tomber paisiblement sur le Monde.  On a entendu le carillon de noces terrestres.  On a accompagné la soprano s’élevant vers le ciel et disparaissant dans un point lumineux et on s’est laissé ensorceler dans l’apothéose du final, avec du bleu strident jeté sur les spectateurs. Voilà une expérience inoubliable par sa force poétique. Voilà ce que peut faire l’art quand il nous bouleverse.

Rue Ravensteinstraat 23, 1000 Brussels, Belgium

https://www.facebook.com/klarafestival/videos/1976647999025705/?t=25

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