Direction musicale : Alain Altinoglu / Samuel Jean (les 30, 31 mai et 2 juin)
Mise en scène : Stathis Livathinos
Aida ou le rêve d’un ailleurs, Radamès ou le rêve du devoir et de l’amour réunis, Ramfis, ou le rêve de la justice divine, Amnéris ou le rêve de la jalousie surmontée, Amonastro ou le rêve du royaume retrouvé, Verdi ou le rêve de l’amour transcendé… Une île au large du désespoir!
Faisant fi de l’esthétique monumentale – disparus : éléphants, pyramides, toute l’Egyptomanie ruisselante de fastes pharaoniques – nous voici sur un vulgaire caillou, récif hostile et déserté par la vie, quelque part en Méditerranée. Un « Paradise lost » pour Aida, la belle esclave éthiopienne au service de la fille du pharaon, Amnéris, par malheur également amoureuse de Radamès le vaillant héros. Aida, partagée entre l’amour et les devoirs qu’elle doit à son père, ennemi du pharaon et son amour pour le vaillant Radamès. Radamès, partagé entre son amour inaltérable pour Aida et son amour et devoirs pour la patrie.
Mais il ne s’agit pas de simples rivalités amoureuses ou de fresque pseudo-historique, la mise en scène de Stathis Livathinos (dont c’est la première mise en scène d’opéra), est digne d’une tragédie grecque. Importent au premier chef, l’intemporalité et la lutte existentielle perdue d’avance entre les trois tenants du triangle amoureux que le Destin se charge d'écraser. La souffrance humaine est au centre, le couple est maudit. Radamès emmuré dans la tombe, n’est-il pas l’incarnation masculine d’une Antigone injustement privée de cette lumière qu’elle adorait plus que tout? « La pierre fatale s’est refermée sur moi, Voici ma tombe, je ne reverrai plus la lumière du jour… »
Nous sommes déjà dès le début avec un pied dans la tombe, la machine infernale, telle le pendulum d’Edgar Poe est prête à faire son œuvre. Vents, rafales, nuées hostiles étranglent le décor dès l’ouverture du rideau. Le ciel est comme un couvercle… mais l’imaginaire a gagné ! L’œuvre se recentre sur la musique, et quelle musique! Un concert de sentiments à vif et d’introspection, d’atmosphères orientales et de désirs intenses dirigé tout en finesse par Alain Altinoglu. Le lyrisme orchestral est omniprésent. Le rêve de gloire de Radamès exulte dans la richesse des sonorités des cuivres et trompettes. La harpe et la douceur irisée des bois et des cordes souligne les moments de tendresse, lorsque par exemple Aida endormie dans le rocher fait une apparition divine, « Céleste Aida ». L’impitoyable duo d’Aida et d’Amnéris à qui elle a involontairement avoué son amour pour Radamès, est trempé de larmes musicales. Le trio « Mes larmes sont celles d’un amour impossible » chanté par les trois infortunés se termine par des accords déchirants. Les évocations de drame intime diffusent des vibrations profondes et sincères au sein d’une très grande variété d’expressions. A chaque étape, un silence lourd comme un tomber de rideau étreint l’assistance totalement prise par l’émotion, avant que la tragédie ne poursuive son cours inexorable. Dans cette chanson de geste tragique, chaque nouveau rebondissement ajoute une recrudescence de désolation répercutée par l'orchestre. Alain Altinoglu relance inlassablement l’intérêt et joue à merveille tous les registres, de l’intime au spectaculaire: les cris de vengeance et de puissance, les fanfares guerrières, les terribles déclarations de guerre, les implorations sacrées des prêtresses, les jugements iniques des grands prêtres, les foules aveugles en liesse, les plaintes des esclaves et des prisonniers, les éléments en furie et le silence du ciel! Sa musique est enveloppante comme le chœur d'une tragédie grecque!
On ne pouvait pas élire meilleure interprète du rôle d’Aida que la sublime Adina Aaron, jeune soprano lyrique américaine, bien connue dans le rôle d’Aïda depuis sa prestation à Busseto (Italie) pour la commémoration du centenaire de la mort de Verdi en 2001, dans la mise en scène de Franco Zeffirelli. Une voix extraordinaire qui dispose d'une maîtrise technique parfaite. Les affres éprouvées dans son rôle d’esclave alors qu’elle est fille de roi, sont pleinement convaincantes. Elle joue sans fards, avec une émotion, une intelligence et une sincérité remarquables. « Dois-je oublier l’amour qui a illuminé mon esclavage? Puis-je souhaiter la mort de Radamès, moi qui l’aime plus que tout ? » Est-ce son espoir éperdu de fuite avec Radamès évoquant le sort des milliers de réfugiés qui parcourent la Méditerranée aujourd’hui, qui nous émeut jusqu’aux larmes? Dans l’« air du Nil », la jeune esclave exprime toute la nostalgie et son attachement au pays natal. Comment ne pas voir à travers cette prestation que l’espoir intime des milliers de réfugiés est justement d’oublier les persécutions, la guerre. « Fuyons les chaleurs inhospitalières de ces terres nues, une nouvelle patrie s’ouvre à notre amour ! Là nous oublierons le monde dans un bonheur divin… » Sa prestation vocale charnelle et généreuse rejoint la plainte d’une Antigone, victime expiatoire de la superbe et de l’intransigeance des puissants. Le duo final du couple dans la tombe les mène d’ailleurs au bonheur divin : « Déjà je vois le ciel s’ouvrir - et il s’ouvre vraiment scéniquement - là cessent tous les tourments, là commence l’extase d’un amour immortel! » Ce duo rappelle les premières notes impalpables du prélude de l’œuvre. De crépusculaire, celui-ci devient lumineux.
Enrico Iori (Il Re) ; Mika Kares (Ramfis) © Forster
Dans les rôles masculins il y a a le ténor, Andrea Carè, au début, héros assez conventionnel, mais qui se développe en un personnage de plus en plus dramatique et convainquant. On retient cette image inoubliable où, laissés seuls à la fin de l'acte II, il lâche avec dégoût et de manière définitive la main d’Amnéris. Le héros déshonoré aura trahi pour Aida et sa patrie et son honneur... Il se taira devant ses juges. Mais il ne trahira pas l’amour! Quelle posture magnifique! La basse qui interprète le chef des prêtres (dans un magnifique costume) c'est un excellent Giacomo Prestia et le baryton Dimitris Tiliakos qui incarne le père d'Aida, est un Amonasro d'une ascendance tout à fait impressionnante.
© Forster
A l’opposé de tant de finesse et de nuances chez Aida, il y a évidemment la méchante, interprétée le jour de la première par Nora Gubisch. La grotesque Amnéris a transformé son amour inassouvi en colère abyssale. Elle est aveuglée par la colère – une grande faute de goût chez les Grecs. Elle ne se rend compte qu’à la fin, que c’est sa jalousie pure qui a causé la perte de tout le monde et que la clémence aurait été préférable. Contrairement à Aida, son jeu scénique n’est pas très développé, elle brutalise son esclave, s’arrache les cheveux et lacère se vêtements… On constate que ses interventions collent au caractère glauque qu’elle incarne, et sa perruque, si perruque il y a, parodie la coiffure de la très puissante Reine Elisabeth I, aux pieds de laquelle se prosternaient des dizaines d’amants éconduits… Mais Verdi lui accorde une rédemption puisque Amnéris, la voix étouffé par les pleurs et se prosternant sur la dalle de la tombe implore enfin la paix au tout-Puissant Ptah!
Et qu’est-ce que les mouvements de masse nous donnent-ils à voir ? Encore le désespoir des déplacés et le cri de l’injustice. Les hommes transformés en chiens et en faucons. Une outrecuidante soldatesque qui appelle à la guerre et des éclopés de guerre agités de mouvements frénétiques. Le mystère d’Isis dissimulé derrière le voile brodé du temple qui cache le saint des saints. La superbe des nantis qui exploitent la valetaille. La foule couleur sable, qui s’enivre de plaisirs ou de mortelles sentences. Cheveux cachés ou poudrés, leur cœur bat au bruit des drapeaux qui claquent tels des nuées d’oiseaux d’Hitchcok, ils symbolisent un peuple muselé, ignare sans doute, manipulé et sans voix… Une sacrée performance pour un chœur! Il est parfois proche, parfois lointain, comme dans le magnifique hymne à Ptah, où leurs harmonies et leur dialogue avec l'orchestre sont sublimes! Que de tableaux de vaine poussière, face à l’héroïsme vivant du couple que l’amour rend éternel!
Distribution :
Aida ADINA AARON
MONICA ZANETTIN (17, 20, 26, 31/5 & 4/6)
Radamès ANDREA CARÈ
GASTON RIVERO* (17, 20, 26, 31/5 & 4/6)
Amneris NORA GUBISCH
KSENIA DUDNIKOVA (17, 20, 26, 31/5 & 4/6)
Amonasro DIMITRIS TILIAKOS
GIOVANNI MEONI (17, 20, 26, 31/5 & 4/6)
Ramfis GIACOMO PRESTIA
MIKA KARES (17, 20, 23, 26, 31/5 & 4/6)
Il Re ENRICO IORI
Una sacerdotessa TAMARA BANJESEVIC
Un messaggero JULIAN HUBBARD
https://www.lamonnaie.be/fr/program/219-aida
http://concert.arte.tv/fr/aida-de-verdi-au-theatre-de-la-monnaie
http://opera.stanford.edu/Verdi/Aida/libretto_f.html
interviews/ extraits:
http://www.bruzz.be/nl/video/de-munt-speelt-aida-voor-het-laatst-op-thurn-taxis
Monica Zanettin (Aida) © Forster
Monica Zanettin (Aida) ; Ksenia Dudnikova (Amneris) © Forster
Commentaires
Le streaming
https://www.lamonnaie.be/fr/streaming/639-aida
Jusqu'au 21 juillet 2017
Pour ceux ou celles qui n'ont encore jamais vu le Palais Opéra à Tour&Taxis, c'est le moment c'est l'instant, venez assister au dernier spectacle jusqu'au 4 juin! Aïda pour terminer en beauté! ensuite démontage du Palais et retour au Théâtre Royal de la Monnaie
https://www.lamonnaie.be/fr/static-pages/141-palais-de-la-monnaie
http://andreacare.it/
http://www.alainaltinoglu.com/home.html
Pour son ultime représentation sur le site de Tours et Taxis, La Monnaie, qui retrouvera ses murs historiques en septembre, propose dès ce mardi "Aida", l’un des plus célèbres opéras de Verdi. Le "Palais de toile" ne se prête évidemment pas aux mises en scène spectaculaires, qui ont parfois caricaturé ce chef-d’œuvre, mais cela tombe plutôt bien. Pour sa première scénographie d’opéra, Stathis Livathinos a choisi de laisser le péplum au vestiaire. "La richesse du genre opéra n’est pas là, mais dans le génie inspiré de gens comme Verdi, véritable Shakespeare de la musique", insiste celui qui est, par ailleurs, le nouveau directeur artistique du Théâtre national de Grèce.
Après tout, rappelle-t-il non sans raison, le cachet égyptien d’"Aida" tient au fait qu’il s’agissait d’une commande du Pacha d’Egypte pour l’Opéra du Caire, où il fut créé en 1871. Mais si l’on dépouille cette histoire de son exotisme sur facture, il s’agit avant tout d’un drame shakespearien, insiste Livathinos. Le classique et infernal triangle amoureux entre la princesse égyptienne Amnéris, le général Radamès et Aida, la princesse éthiopienne réduite en esclavage, a, en effet, quelque chose d’universel. Y compris dans sa fin tragique. Une fin que le metteur en scène, soucieux de se concentrer "sur l’expressivité́ des corps des chanteurs", annonce comme "très physique".
Un Verdi sans décorum, donc, mais avec un excellent casting vocal, en double distribution. Le rôle-titre sera partagé entre deux Aidas déjà acclamées à l’étranger, la soprano américaine Adina Aaron et la soprano italienne Monica Zanettin. Le général Radamès sera, lui, interprété par les ténors Andrea Carè et Gaston Rivero. Quant à Amneris, les mezzos Ksenia Dudnikova et Nora Gubish lui prêteront leur voix.
Dans la fosse, le directeur musical Alain Altinoglu devrait prouver, une fois encore, sa capacité à obtenir de l’orchestre de La Monnaie de bien belles sonorités.
"Aida", de Verdi, Palais de La Monnaie, Tours et taxis (Bruxelles), à partir du 16 mai, www.lamonnaie.be
http://www.lecho.be/dossier/choixdelecho/Le-Palais-de-La-Monnaie-se...
les servantes au travail...