Le train de l’imaginaire avec Gaëlle Solal
… lors du 4e concert de la 9e Balade Musicale à Rixensart
Comme il n’y a pas à proprement parler de frontières entre musique classique et musique traditionnelle populaire, il est difficile de choisir entre apollinienne ou dionysiaque pour parler de la pétillante guitariste française Gaëlle Solal, lauréate entre autre du prestigieux concours international de guitare classique Michele-Pittaluga d’Alessandria en Italie. L’artiste nous a offert lors de son récital du 20 janvier 2022 pour le 4e concert de la 9e Balade Musicale à Rixensart, une magnifique élaboration mélodique des œuvres de Heitor Villa-Lobos and beyond.
Villa-Lobos, autodidacte, compositeur très prolifique, grand admirateur de JS Bach, a écrit plus de 1000 pièces et a mené une vie riche, aventurière et fantasque tout en étant le fondateur du modèle éducatif pour l’apprentissage de la musique au Brésil, embrassant dès 1930 une grande carrière politique et pédagogique avec sa nomination de directeur de l’éducation musicale de Rio de Janeiro.
Le choro, forme musicale de prédilection de Villa-Lobos oscille entre la musique populaire et la musique classique. Il nait à la fin du xixe siècle et au début du xxe et révèle toute l’âme brésilienne. Il se joue en groupe autour d’une table, chargée de mets et de boissons. Tout le monde participe, c’est une musique de partage et de spontanéité. Ces groupes musicaux ( flûte, cavaquinho et guitares) animaient les fêtes (forrobodós) jouant de la polka, du lundus, des habaneras et des mazurcas et d’autres genres érudits européens, de manière syncopée.
Gaelle Solal est née à Marseille en 1978. Elle réside à Bruxelles depuis 2011 et depuis septembre 2020 , elle est professeur invitée au Conservatoire Royal de Gand. Femme de caractère et de générosité, elle habite vraiment sa musique. Elle nous a livré un programme plein d’entrain et de cœur, mis au point après plusieurs années de recherche et d’écriture lors de ses propres arrangements de musiques brésiliennes découvertes lors d’un périple épiphanique à Rio de Janeiro en 2009, après avoir assisté au Festival Villa-Lobos organisé à Radio France. Ainsi elle nous offre de rencontrer d’immenses musiciens brésiliens, dit-elle, qui sont plutôt méconnus dans nos régions. Son œuvre de transmission est tout à fait dans les cordes de la Balade Musicale de Rixensart quand il s’agit de la découverte et la beauté.
Ainsi, dans un agréable jeu de correspondances, elle a adroitement rangé deux par deux, une série de pièces courtes qui alternent les œuvres du grand Villa-Lobos et celles de musiciens qui l’ont influencé ou qui l’ont suivi ou illustré : Pixinguinha, Guinga, l’extraordinaire guitariste français Roland Dyens, Ernesto Nazareth, Antonio Carlos Jobim, Egberto Gismonti et Garoto. Une croisée de chemins donc, que nous transmet avec feu la pétulante artiste.
Tuhu, le titre de son CD sorti le 4 décembre 2020 sous le label Eudora Records, fait référence au train de la vie, joint à un espiègle clin d’œil à la fascination que le petit Heitor avait pour les trains et aussi à la langue de sa mère dans laquelle Tuhu, le joli surnom de son fils, signifie petite flamme.
Au cœur de l’église Saint-Sixte de Genval, dès les premières notes de sa belle prestation, la musicienne infuse à travers le climat imaginaire de la musique, une atmosphère de de liberté, de danse, de joie, de plaisir de vivre. Quelles que soient les conditions de vie que l’on puisse imaginer ou vivre – et c’est délectable de pouvoir s’extraire, l’espace d’un concert de la morosité ambiante. L’écoute du public est concentrée et admirative. Il y a cette pièce émouvante : le prélude numéro 2 dédié au petit garçon de Rio , un hommage à l’enfance de Villa-Lobos, qui découvrit sa passion pour la musique au contact des musiciens de rue. Il y a des mélodies tendres et romantiques – où est le clair de lune ? – Il y a des danses très serrées et sensuelles, pleines de rythme. Il y a la virtuose qui évoque les chutes d’eau, les vagues de drames, le rythme sautillant humoristique d’esprits de la forêt, – les farfadets existent-il a Brésil ? Il y a son éclatante féminité, des éclats de rire, de la connivence avec le public, ou de colère, de l’ivresse (Agua e vino) et de la torpeur de sieste au soleil. Gaëlle Solal raffole des pizzicati, de petites percussions mutines impromptues, et termine toujours sur un recueillement subit et inattendu. Bref, elle propose une musique brûlante, échevelée, vive et pleine de caractère.
Et d’insister : tout est Musique, populaire et classique. La Musique est par-dessus tout une rencontre à tout niveau : un lieu où l’on fait vibrer son âme au diapason du compositeur, au sien propre et à la multitude de ceux des auditeurs. Et quand l’authenticité rencontre l’esthétique, tout est gagné ? Ajoutons que réécouter le CD dans son foyer permet bien sûr de revivre les émotions subtiles du concert mais aussi adjoint une dimension de perfection, une plus profonde intensité, un timbre plus parfait et une belle spatialité du son qui invitent à la méditation.
Dominique-Hélène Lemaire pour Arts et Lettres
A vos agendas : Le prochain concert de Balade Musicale à Rixensart aura lieu le 17 février 2022. C’est une super production avec la Chapelle musicale de Tournai, direction Philippe Gérard Au programme : la Messe en si de J-S.Bach (Chœur et solistes à déterminer)
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