Ce texte a été présenté au concours de textes de la Maison de la Francité (thème: Destinations ailleurs) - Il n'a malheureusement pas été retenu...
En refermant l’enveloppe dans laquelle elle avait religieusement placé les trois graines de tournesol et la lettre qu’elle avait cent fois relue, elle se demandait si elle oserait mettre son plan à exécution. Que de plans n’avait-elle d’ailleurs échafaudés qui étaient restés à l’état d’ébauche parce qu’elle était trop couarde pour aller jusqu’au bout ?
Elle avait connu cette peur durant toute sa vie : depuis l’enfance où on l’avait préservée dans une bulle quasi stérile de toute invasion extérieure pour lui épargner plaies et bosses tant morales que physiques jusqu’à maintenant où, lasse de son manque affectif chronique, elle avait décidé d’agir.
Comme elle était dépendante des propositions de sorties de l’une ou l’autre copine dont elle ne partageait pas forcément les idées festives ou culturelles, elle se retrouvait immanquablement seule face à elle-même. Mais elle sentait bien que ça ne pourrait durer éternellement. La vie monacale n’était pas son lot. Elle avait tellement de choses à partager et beaucoup d’amour en retard tant à donner qu’à recevoir.
Il avait d’abord fallu qu’elle soigne ses plaies : celle de la perte de son double parti pour un monde meilleur, le seul voyage qu’il avait entrepris sans elle. Elle avait d’ailleurs l’espace d’un instant songé à le rejoindre. Mais il continuait de veiller sur elle comme il l’avait toujours fait. Il lui avait envoyé un enchanteur qui avait réussi à la transformer et à lui donner l’envie de se battre contre ses peurs, ses dérives et ses démons. Maintenant, elle était prête à ouvrir son cœur à un doux sentiment.
Mais comment faire pour rencontrer l’âme sœur ? Elle ne s’était jamais posé la question. Elle était si jeune quand elle avait rencontré l’amour. Les choses s’étaient faites ainsi, tellement simplement… C’était une évidence qu’ils étaient faits l’un pour l’autre, même si elle était beaucoup plus jeune que lui. Dès qu’elle avait atteint sa majorité, ils s’étaient mariés et à la fin de l’année, le fruit de leur amour voyait le jour. Si, pour elle, le bonheur avait été complet, ce qu’elle voyait autour d’elle aujourd’hui ne l’encourageait pas à songer à refaire sa vie. Beaucoup de couples qu’elle avait côtoyés s’étaient déchirés avant de se défaire. Et elle avait peur de souffrir une nouvelle fois. Il y allait de son équilibre. Depuis son enfance, il lui semblait que son lot était l’abandon : celui de ses parents, de ses soi-disant amis, de son unique amour, de son enfant… Il ne fallait plus qu’on la rejette, elle ne le supporterait plus.
Il fallait donc qu’elle se mette en quête de quelqu’un qui correspondrait à ce qu’elle était devenue et qui l’accepterait pour ce qu’elle était. Elle avait bien reçu des appels du pied de certains de son entourage mais si elle avait été attirée par eux, elle l’aurait su depuis longtemps. Il fallait donc qu’elle entreprenne la démarche d’aller seule vers un « ailleurs » qu’elle ne connaissait pas. Comme elle était très organisée, l’idée de s’embarquer pour une destination imprévisible lui faisait perdre tous ses moyens. Tout simplement parce que, même si des tas de choses s’étaient mises en place, il y aurait toujours une part d’inconnu et donc, de danger possible, tapie dans l’univers du virtuel et des sites de rencontres.
Après avoir fait le tri des réponses reçues : celles de jeunes coqs rêvant d’un paradis aux rues pavées d’or et de couguars généreuses, de vieux beaux désirant un bâton de vieillesse avec qui faire joujou, des plans culs et des quelques dégénérés obsessionnels, il ne restait plus grand monde avec qui correspondre. Mais n’est-ce pas la qualité, plus que la quantité qui compte ? Et puis, qu’est-ce qu’elle risquait à se cantonner au monde virtuel le temps de faire connaissance ?
Faire connaissance, là était bien son souci : si elle était toujours franche et directe, comment savoir si l’autre l’était tout autant ? Un ménage à trois était toujours foireux. Et là entre eux, un « personnage » de poids : son vieil ordinateur gigantesque. Elle avait refusé de donner d’emblée son numéro de téléphone et comme elle n’avait pas de caméra, il fallait que les deux interlocuteurs se contentent de tapoter les touches du clavier. Ca ralentit sérieusement les contacts. Mais elle hésitait à franchir le pas. Elle ne ressentait pas ces contacts assez fiables et sérieux pour entreprendre le voyage vers l’Amour. Même si elle ne l’avait pas encore fait, elle envisageait sérieusement de se désinscrire du site de rencontres. Elle n’avait plus envie d’attendre des messages qui se faisaient de plus en plus rares. Et finalement, après plusieurs jours de silence, ressentir le sempiternel abandon.
Il lui fallait donc absolument trouver une autre solution. Et c’est ce matin, en se levant que l’idée avait germé… L’avait-elle rêvée ? Elle ne se souvenait que de deux mains lui tendant un énorme tournesol. Elle ne se déplacerait pas mais le virtuel allait lui servir pour mettre son plan à exécution. Pour le reste, elle comptait sur sa bonne étoile pour lui amener l’amour sur le pas de sa porte. Comme elle se déplaçait peu et dans un univers restreint, le destin allait voyager pour elle : sous forme d’une enveloppe et de trois petites graines…
Et le petit mot écrit à la main derrière sa plus belle photo prise après métamorphose : « Je crois au Destin. Si vous aussi et que l’extravagance, l’authenticité, l’amour de la nature et des animaux et plus si affinité ne vous font pas peur, plantez ces trois petites graines. Quand les fleurs seront écloses, cueillez la plus belle et venez me l’offrir avec votre plus beau sourire. »… Et son adresse. Il fallait maintenant qu’elle trouve quelqu’un à qui l’envoyer. Mais comment faire ? Elle devait n’être que la main du destin pour que la surprise soit totale. La rue Paradis s’infiltra insidieusement dans son esprit en ébullition. Pourquoi pas après tout ? Était-ce là encore un petit coup de pouce de son amour de toujours qui n’aurait pas aimé la voir aussi solitaire qu’elle l’était devenue ? Elle le croyait en tout cas. Elle entreprit donc des recherches sur son ordinateur. Il en existait plusieurs… Elle choisit une destination au hasard. Pourquoi pas vers le soleil ? Nice ou Marseille ? Grâce aux blogs, elle avait fait la connaissance d’une amie – jamais rencontrée en réalité – dans la ville du mimosa. La distance les avait empêchées de se voir malgré des contacts réguliers sur la toile. Si le hasard lui était favorable, c’était l’occasion rêvée.
Rue Paradis, il y avait au numéro un, un hôtel de luxe. Tant qu’à faire, autant joindre l’utile à l’agréable… Mais qui peut bien se rendre dans un tel hôtel et vouloir cultiver des fleurs ? Chassant ses idées un peu trop terre à terre, il fallait qu’elle joue le jeu à fond, elle décida de lâcher prise et de se laisser guider… Sur l’enveloppe, elle écrivit : Hôtel Paradis – A l’attention du Monsieur seul de la chambre 7 (elle aimait ce chiffre qui avait une connotation de septième ciel) – Attendre son arrivée s’il n’est pas déjà là – Rue du Paradis 1- Nice.
Elle soupira… Combien de chance y avait-il pour que son plan réussisse ? Foin d’hésitation, elle donna sa lettre au facteur qui venait de frapper à sa porte. Encore un coup du destin, elle n’en douta plus. Et la lettre entreprit le voyage vers l’aventure et qui sait ? Peut-être le bonheur…
Le réceptionniste haussa les épaules. Mais il ne s’en étonna pas : il avait déjà vécu et vu tellement de bizarreries qu’une de plus ou de moins… Il déposa donc la lettre dans le casier. La chambre était vide et aucune réservation prévue en cette période creuse. Ce ne serait donc pas demain la veille qu’elle serait dans les mains de son mystérieux destinataire. Il se repencha sur le bouquin qu’il était en train de lire. Quand il releva la tête, un homme se tenait devant le comptoir.
Il attendait sans bruit, un peu dans la lune. Grand, portant magnifiquement sa soixantaine, il observait chaque détail du hall de l’hôtel en se demandant ce qu’il était vraiment venu y faire. Ce n’était pas dans ses habitudes. Il préférait les chambres d’hôtes, les auberges accueillantes mais ici, il se sentait étranger à ce luxe si impersonnel. Il voyageait beaucoup, toujours à la recherche de quelque chose ou de quelqu’un qui ne venait pas. Les quelques rencontres qu’il avait faites s’étaient toutes soldées par un échec. Cette fois, tout avait été différent : depuis son choix de destination jusqu’à cet hôtel tellement froid et sans âme. Il n’avait pas réservé et inconsciemment, il espérait que l’hôtel fût plein. Mais non, l’employé lui tendit la clé de la chambre 7 et une enveloppe. Il faillit la lui rendre : personne ne savait où il atterrirait. Mais la curiosité l’emporta. Une fois dans la chambre qu’il ne vit même pas, il s’installa sur le lit contemplant cette enveloppe qu’une voix intérieure lui soufflait : « Ouvre-la, idiot. » Il la tritura dans tous les sens. Visiblement, elle ne lui était pas destinée. Et pourtant, il se surprit à espérer tellement fort… Espérer quoi ? Il ne le savait pas mais il ressentait depuis trop longtemps un besoin de quelque chose de beau, de grand, de fort… qu’il n’avait jamais connu. Ou bien il l’avait oublié. Alors, il ouvrit la lettre.
Cette journée d’août avait été très lourde, l’orage grondait. Elle était en train de s’assoupir sur son sofa, ses deux petits chiens vautrés à ses côtés. Quelques coups brefs frappés à sa porte la firent sursauter, son cœur battant la chamade.
Elle n’avait prévu aucune visite. Tous ceux qui la connaissaient savaient qu’il fallait prévenir… Qui osait déroger à cette règle qui relevait plus de la précaution que de la bienséance ? Elle était un peu échevelée, peu à son avantage à cause de la chaleur et d’assez mauvaise humeur. Elle prit la peine de faire passer ses chiens dans l’autre pièce avant d’aller ouvrir.
Devant elle se tenait, un grand gaillard aux yeux rieurs, aux cheveux ruisselants de pluie et aux vêtements trempés. Il lui tendait, blotti entre ses deux longues et belles mains un énorme tournesol. Il lui fallut un moment pour revenir de sa surprise mais le tableau qu’il lui offrait l’émouvait plus qu’elle ne l’aurait voulu. Elle le fit entrer tout en lui tendant les mains. Le tournesol fut maintenant encerclé de quatre mains qui n’étaient pas prêtes à se lâcher.