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COMME UN GAUCHER CONTRARIE...

A chaque fois que j’ai montré un soupçon d’exubérance, je me suis fait taper sur les doigts… Comme pour écrire de la main droite, la ‘belle main’ comme on disait à l’époque, à tout prix même si, étant ambidextre, la main gauche me démangeait…

J’ai été la poupée Barbie de ma grand-mère jusqu’à mon mariage… Elle pensait et agissait pour moi jusqu’à me dire ce que j’aimais et ce qui me déplaisais. Et j’acquiesçais. Non pas que je n’aie aucune personnalité mais à quoi bon la contrarier ? J’avais fait quelques tentatives et j’en avais subi ses foudres ou pire encore, ses reproches incessants ou ses simagrées qui fonctionnaient si bien : yeux de cocker larmoyants, profonds soupirs… Alors, pour elle, j’écrivais mon comportement et mon apparence de la main droite.

Et, pour être tranquille, je continuais d’accepter son mauvais goût et l’obsession du qu’en dira-t-on de mon grand-père… J’étais la parfaite petite Martine des couvertures de la collection du même nom, avec mes robes d’un autre temps et mes petites culottes en dentelle que ma grand-mère achetait sur le marché avec les pièces de monnaie de ma tirelire… puisque c’était ce que j’étais censée avoir envie. J’avais d’ailleurs fini par le croire.  Malgré que j’aurais tellement aimé être habillée de ces choses colorées et fleuries que portaient les filles de mon âge, des pantalons pattes d’éléphant, des chaussures à la mode, des sacs et des vestes à franges, grimper aux arbres, marcher dans la rivière comme les autres enfants de la rue, jouer et rire avec eux… J’étais prisonnière de la -non-démonstration de mes sentiments et de cette fichue main droite.

Et pourtant, bien souvent, au fond de moi, ça bouillonnait… Les rares fois où j’ai osé une colère, elle était la plupart du temps dirigée contre moi et mon impuissance à affronter mes geôliers… Elle se passait en dehors de la cellule familiale, je voyais rouge, cassait toujours quelque chose et ça se terminait immanquablement en crise de larmes et en culpabilité immense de m’être ainsi laissée aller à une démonstration publique. Au point que, par peur d’être dénoncée par l’un ou l’autre et surtout par dégoût de ma couardise, j’en faisais une déprime. J’ai flirté avec l’anorexie et ensuite eu mes périodes de boulimie… Là, je n’avais pas trop de mes deux mains pour engouffrer tout ce que le frigo contenait y compris ce que je n’aurais jamais mangé en autre temps.

Quand je me suis mariée, j’ai plusieurs fois explosé… Pour éviter de casser trop de choses (comme par exemple toutes les boules du sapin de Noël), j’avais pris l’habitude d’attraper mon vieil ours en peluche quand je sentais la colère monter et une fois que je n’en pouvais plus, je le lançais contre un mur… Il traversait bien souvent la pièce emportant les bibelots qui étaient sur son passage. Jusqu’au jour où j’ai failli étrangler mon chien qui avait tué quelques-uns de mes cobayes en jouant avec eux un peu trop brutalement…

Cette fois-là, j’ai vu rouge, mes doigts étaient crispés autour de son cou et je ne le sentais pas se débattre ni n’entendais les cris de mon mari. J’ignore ce qui m’a fait arrêter et ne pas devenir ainsi un monstre. C’est depuis ce jour que j’ai décidé de m’interdire toute colère. J’avais bien trop peur qu’un jour se trouve entre mes mains un cou humain. Cela se passait en 1990… Je n’ai plus jamais dépassé le stade du mécontentement. J’ai pour cela compensé par l’expression immédiate : moi la timide, j’ai dû travailler ma personnalité pour oser les éclats de voix et les grands gestes ainsi que les grignotages intempestifs.

J’ai toutefois fait mienne la philosophie qui dit que la colère est mauvaise conseillère. J’essaie de gérer au mieux cette boulimie qui se rappelle de temps en temps à moi. Comme en ce moment : je pensais pourtant ne pas être en colère  mais un sentiment étrange, mélange entre impuissance et chagrin, reste tapi au fond de moi… Il se réveille aux environs des anniversaires ou des dates qui ont été importantes dans ma vie. Ca bouillonne et je rumine au propre comme au figuré… Et je me triture les mains, la gauche essaie d’imposer sa loi à la droite qui ne comprend plus rien à rien : elle avait pourtant bien tout fait comme il le fallait puisque c’était ainsi qu’elle avait été éduquée.

Un peu fou, l’index gauche se pose alors sur ma tempe et entreprend un pas de danse circulaire… 

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Commentaires

  • Merci Jo... En effet, ça laisse des traces. Mais l'écriture exorcise tout ça.

    Bizzzz

  • Bien dit et bien écrit, Yvette !  Je crois que, parmi ceux qui te liront, nombreux seront ceux qui s'y reconnaîtront.

    L'image de la grand-mère gâteau m'a toujours bien fait rire (jaune), la mienne a été ma tortionnaire pendant toute mon enfance. 

    La révolte est toujours bien vivante en moi. L'écriture et l'art me permettent de l'exprimer sans faire trop de dégâts et de victimes autour de moi. Les cicatrices sont là mais, grâce à elles, j'ai quelque chose à dire.

    Continue à écrire, Yvette ! 

    Bisous,

    Jo

  • Bonjour Gil,

    Merci pour votre témoignage et je pense qu'au contraire, vous avez beaucoup de mérite (au moins celui d'avoir réfléchi et réagi à notre fameuse éducation psycho-rigide)

    Bien 'dressée', je n'ai cependant jamais courbé l'échine... Mais en effet que de dégâts occasionnés: phobies, mal-être etc.

    Je me souviens aussi de m'être triturée l'esprit pour trouver un péché à avouer en confession.

    Personnellement, je ne suis pas non plus partisane du retour en arrière. Je pense que certains ont oublié les humiliations subies.

    Je vous souhaite une excellente journée et beaucoup de bonheur dans votre chemin de vie.

    Très amicalement, 

  • Coucou Liliane!!!

    Je pense qu'il ne s'agissait pas de courage mais d'une question de survie dans un milieu qui ne m'a jamais convenu.

    J'adhère totalement à ton long développement et je continue de croire en la jeunesse. Il n'y a aucune raison pour que le conflit des générations cesse et je compte bien m'adapter. J'espère bien que je ne deviendrai pas une petite vieille grincheuse.

    Je suis en tout cas bien plus heureuse que je ne l'ai été. Mais rien ni personne ne vient plus me contrarier... en tout cas pas sur ces choses qu'on nous imposait au nom du savoir-vivre ou savoir-être... ou du 'parce que' lorsqu'on osait poser la question... qui était bien souvent suivi d'une gifle retentissante.

    Merci Liliane d'être toujours présente. Un gros bisou!!!

  • Bonjour Yvette,

     

    Il fut un temps où l’éducation, c’était du dressage et où le bel enfant modélisé était l’enfant sage et obéissant, qui faisait tout bien comme ses parents et ses maîtres ou maîtresses d’école lui disaient. Il faut envisager que cela résultait de la primauté de la philosophie manichéenne dans la vie de chacun et dans la vie sociale. Ca disait : ça, c’est bien, et ça c’est mal, à l’outrance, sans rien de nuances, d’autant qu’on était dans l’ignorance totale dans les domaines de la psychologie humaine en général et de la psychologie infantile en particulier et de comment se construit une personnalité. Je me souviens par exemple l’enfant que j’étais et chaque fois cette torture de la confession que je devais préparer disait-on sur papier, et avec l’impossibilité d’avoir une feuille blanche. Aujourd’hui, j’en rigole mais je me dis que franchement ils ont abusé de ma candeur tous ces directeurs de conscience avec leurs codes du bien et du mal. Heureusement, il y a quelques personnes de ma parenté qui m’ont appris l’espièglerie, premier pas de la liberté, et des maîtres d’école qui m’ont permis de m’affranchir de cette condition de mouton du troupeau que la société modélisait tant et plus, et continue de modéliser.

    Votre texte met parfaitement en évidence les dégâts que fait une éducation où l’enfant est dans le dressage et entièrement soumis aux volontés et désirs d’adultes quand bien même ces adultes ne sont pas des tyrans pervers (et il y en a malheureusement) , mais juste des personnes qui perpétuent l’éducation autoritaire et arbitraire qu’ils ont reçu et qui n’ont pas conscience que ça ne le fait pas quant à faire des enfants heureux et des adultes plus tard qui seront bien dans leur peau. J’apprécie votre propos pour son côté qui ne juge pas et qui témoigne simplement de la difficulté que vous avez eu à vous construire et à faire en sorte que vos frustrations de l’enfance ne prennent pas le dessus.

    Pour la question de droite et de gauche, j’aurais bien des choses à raconter concernant les années où j’ai enseigné des enfants de six ans avec des latéralités mal installées ou particulières, qu’il m’a fallu du temps pour comprendre bien des choses, pourquoi certains élèves par exemple écrivaient en miroir et qu’il m’est arrivé de contrarier des droitiers pour qu’ils écrivent avec la main gauche, chose qui a souvent débloqué un apprentissage de la lecture et de l’écriture qui était mal parti. Mais mon mérite n’est pas si grand, c’est tout simplement parce que les connaissances ont avancé et que j’ai pu avoir une formation qui m’a permis de mieux appréhender les difficultés des enfants dans les apprentissages.

    Ce qui m’inquiète, c’est qu’il y a votre témoignage ici qui montre bien les dégâts que peut faire, l’éducation à l’ancienne, dirons-nous, autoritaire et en dehors de toute connaissance de la psychologie et du fonctionnement du cerveau, et dans le même temps, bien des gens qui nous disent que l’éducation, c’était bien mieux avant, qu’on a perdu bien des valeurs et qu’il faut vite y retourner, et puis le recul grave de la formation des enseignants.

    Inutile de vous dire, je pense, que je ne suis absolument pas fervent du retour en arrière, de l’autoritarisme en éducation, du cours de morale pour commencer chaque journée d’école, ni de ces méthodes pédagogiques qu’on dit efficaces à grands coups de statistiques, où l’enfant doit être performant et puis classé déficient, raté, harcelé, privé de toute distraction s’il ne l’est pas.

    Combien de fois, j’ai dit, et j’ai encore envie de dire et aux adultes et aux parents, c’est formidable d’aimer les enfants mais ça ne le fait pas quand c’est dans un jeu de rôles avec des personnages qui ne savent plus quel est leur âge et qui ils sont. Combien de fois j’ai envie de dire foutez-leur la paix aux enfants, plutôt que de jouer les modèles, les personnes qui ont tout réussi, qui ont toujours raison et qui peuvent tout exiger ou bien ces rebelles de pacotille contre toute autorité, ces escrocs de la facilité et de la médiocrité. Combien de fois j’ai dit, rappelez-vous de l’enfant que vous étiez, ce que vous aimiez, ce que vous n’aimiez pas faire et qu’on vous fasse, et peut être bien que tout ira mieux … Vous le faites ici, et c’est pour moi, franchement, une œuvre d’excellence humaine …

     

    Bonne journée. Amitiés. Gil

  • administrateur partenariats

    Quel courage tu as eu Yvette !

    Heureusement , depuis longtemps déjà l'on ne contrarie plus les gauchers.

    Le monde s'est adapté, le respect d'autrui est la règle de base.

    Néanmoins les discriminations existeront toujours.

    Les roux, les petites tailles, les trop grands , les intellos à lunettes, les handicapés, les nantis ou les pauvres qui sentent mauvais, les gros, c'est le quotidien dans les écoles.

    C'était déjà comme cela il y a 50 ans, et ça n'a pas changé.

    L'obtention du terrifiant CEB, qui condamne définitivement l'enfant qui ne l'obtient pas, à un demi point près et foulard islamique sont venus s'ajouter à la liste.

    Mais le gaucher a disparu de la liste.

    Dur combat contre les discriminations, brassage des milieux sociaux, des cultures.

    Les jeunes rentrent dans le mur des 12 ans.

    Durement, impitoyablement.

    Parents laxistes ou pas, et je te rassure, il y a plus d'élèves et de jeunes corrects que d'incorrects, la jeunesse affronte, dans un monde tel que si nous, nous l'avions vécu, avec parfois la dictature parentale que nous avons subi, à tort ou a raison, nous n'en serions pas sorti .

    L'évolution foudroyante de la société, des médias, des technologies, des mentalités, ont poussé les parets à s'adapter, les enfants à se défendre.

    Qui a donné un excès de droit en oubliant ses devoirs à l'enfant?

    Les adultes de notre génération .

    Qui est largué, pour parler comme les jeunes, face à l'évolution de la société etc...

    Nous.

    Le monde n'a plus de frontières.

    L'on  prend l'avion comme l'on se mouche.

    Lorsque nous allions à la côte belge, sans l'autoroute, il fallait des heures.

    Chaque chemin de notre vie était planifié par les parents et surtout, balisé.

    Malheur à celui sui osait défier le système; il lui fallait du courage et le détermination ! Et parfois, adieu l'héritage.

    Maintenant, les enfants sont traités comme des adultes, ils ont des choix à faire, sans cesse.

    On les écoute, leur donne la parole, ils sont devant le juge, ils exigent ou s'excusent.

    En cas de sinistre, ils sont pris en charge.

    Ils sont à la fois chouchoutés et broyés.

    Ils ont dans les mains un outil que nous leur avons donné, internet.

    Car nous même intoxiqués, nous n'avons pu leur interdire, et comme de juste.

    Je prends la défense de la jeunesse.

    Dans un mode que nous n'aurions pas supporté un jour, ils résistent.

    C'est leur monde, ils vivent avec.

    Ils en feront ce qu'ils voudront.

    Les patriarches que nous serons un jour s'adapteront, comme nos anciens se sont adaptés, pleurant sur l'éternel conflit des générations.

    Le gaucher contrarié n'est plus, mais est-il pour autant plus heureux ?

    Merci Yvette, ce sujet de société est passionnant.

    Liliane

  • En effet, Jacqueline, mais j'en connais qui ont eu leur vie gâchée. 

    Par contre le laxisme par trop présent actuellement ne permettra pas de faire de nos jeunes des adultes sages et mature...

    Il faudrait un juste milieu à tout cela.

    Amitiés, 

  • L'obéissance et la gentillesse finissent pas étouffer les désirs de s'affirmer, heureusement la sagesse mature aide a rattraper un peu de temps, amicalement, Jacqueline

  • Merci Marie-Josèphe,

    En effet, on ne se dépouille pas facilement de son passé mais il ne m'empêche plus de vivre. J'ai pris beaucoup de recul.

    Bisous tout plein!!!

  • avec un peu de retard je te souhaite un bon anniversaire malgré ce passé tellement pénible que tu as eu à vivre et qui te marque encore aujourd'hui, mais je l'espère de manière moins prégnante !

    Gros bisous Marie-Josèphe

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