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Une femme pour l'amour.

 

 

 

J’ai tué mon mari parce que je voulais être libre. J’étais âgée de quarante deux ans, nous n’avions pas d’enfants, et je savais que je plaisais aux hommes. Bernard disait en me déshabillant.

- Ils sont nombreux ceux qui voudraient t’avoir dans leur lit. Ou être à ma place dans le tien. Il suffit de les regarder. Même ma présence n’éteint pas l’étincelle que je vois dans leurs yeux.

Il ajoutait en rabattant les bretelles de mon soutien-gorge :

- C’est vrai que tu es…

Il me jetait sur le lit.

Depuis quelques années déjà, son imagination l’excitait davantage que mon corps. Des gestes de pure routine apaisaient son désir. Moi, je retrouvais mes habitudes de jeune fille. Sinon que la honte ne me paralysait plus. Je me suis parfois demandé si ces habitudes nocturnes auxquelles je m’efforçais en vain de résister ne m’avaient pas précipité vers le premier homme qui m’avait dit que j’étais désirable.

De quinze ans mon aîné, il m’avait fait découvrir avec des mots que je n’aurais pas osé répéter, et des gestes qui m’affolaient, toutes les ressources dont disposent les corps. J’aimais faire l’amour.

Deux couples avaient eu un rôle dans cette histoire. Ils étaient les plus proches de nos amis. André et Jeanine Boulin qui étaient enseignants, et Christiane et son mari Hubert qui étaient libraires. Tous étaient en quelque sorte des intellectuels, membres de cercles où il arrivait qu’on débatte de sujets qui faisaient la substance des journaux locaux.

Pas les faits divers qui émeuvent les lecteurs. Des débats envisagés sous l’angle social. Hubert, c’était le patrimoine architectural qui le passionnait.

André et Hubert aimaient me soumettre leurs réflexions. En parlant, ni l’un ni l’autre ne cessait de fixer ma poitrine. La présence de leur épouse ne les retenait pas longtemps. Mais aucun d’entre eux n’aurait osé me complimenter sinon pour mon bon sens.

Je n’ai jamais trompé mon mari. Ni avec André, ni avec Hubert, ni avec qui que ce soit d’autre. Peut être ai-je eu tort ?

- Avec  lequel m’as-tu trompé, ne serait-ce qu’une fois ?

- Tu le sais bien, je ne t’ai jamais trompé.

Bernard me serrait contre lui. Il était heureux de penser que la femme dont il disposait plaisait à d’autres plus que leur propre épouse. Je n’en avais pas beaucoup de mérite. Lors de nos sorties entre femmes, Jeanine et Christiane me dépeignaient en riant les prouesses de leur mari.

J’ai toujours été surprise des propos que des femmes pouvaient tenir entre elles, de ceux dont on dit que ce sont des propos de corps de garde, alors qu’en d’autres circonstances elles faisaient montre de tant de retenue. Elles ne rechignaient pas à décrire des douleurs internes mais ne prononçaient jamais le mot « vagin » devant des hommes même devant les leurs. Devant leur médecin, peut être. Elles disaient : là. A  croire qu’il n’avait qu’une seule fonction.

C’est curieux la manière dont des gens pourtant matures  se regardent vivre. Entre le jour et la nuit, ils élèvent un mur fait de convenances pour le jour, et de secrets dont on ne parle qu’à mi-voix, entre soi, pour la nuit. A l’exception  des gens de la nuit qui ne s’épanouissent qu’à la tombée du jour.

Pourtant ce qui relie vraiment les couples entre eux, je le voyais bien, se passe surtout durant la nuit.  Jusqu’aux  adultères imaginaires.

C’est peu à peu que l’attitude de Bernard avait fini par me le rendre insupportable. Je ne supportais plus sa suffisance, ses gestes de bellâtre lorsqu’il tapotait ses cheveux ou lorsqu’il les dérangeait minutieusement. Surtout la manière dont il soupesait son sexe en me regardant. Et le feu qui m’embrasait le ventre lorsqu’il le faisait. Je souhaitais sa mort.

Le jour de ses funérailles, je me l’étais promis, je mettrais André dans mon lit. Nous n’étions pas nombreux au bord de la tombe. Chez moi, j’avais préparé une collation. Au moment de nous séparer, j’avais retenu André pendant que Jeanine enfilait son manteau.

- Reviens tout l’heure. J’ai peur de rester seul.

Deux heures plus tard, il était revenu et je me suis abandonnée contre son corps en pleurant. Lorsqu’il avait voulu se rhabiller pour rentrer chez lui, je l’avais retenu.

- Ne me laisse pas. J’ai encore envie de toi. Tu verras comme je vais t’aimer.

Le matin, c’est à la pensée des excuses qu’il devrait donner à Jeanine que je me suis réjouie. Il me regardait avec une sorte de fatuité condescendante.

- Je t’appellerai tout à l’heure. Dès que je pourrai.

Il ne m’avait pas demandé si je serais là lorsqu’il m’appellerait. Je suppose que pour lui, cela allait de soi.

Nous étions amants depuis quatre mois. Il accourrait dès qu’il avait la possibilité de se dégager ou d’avancer une excuse plausible devant Jeanine. Sans même me prévenir. Il craignait inconsciemment que  j’aurais pu prétexter d’une raison quelconque pour ne pas le recevoir. Le cœur des femmes est volage. Il pensait que s’il était là, quelque soit la raison, je ne me refuserais pas. Parfois, c’est vrai, j’étais absente.

Lorsque je rentrais chez moi, il était  tout près de la maison. Cinq minutes plus tard, il sonnait mais il n’avait plus le temps de rester.

- Tu veux qu’on aille dans la chambre ?

Il était pâle de désir. Il secouait la tête. Il m’embrassait rapidement, les bras en avant.

- Je suis déjà en retard.

Le retentissement des adultères se répand vite parmi les intéressés. Chez celui ou celle qui se considère comme trompé,  avec une vigueur incontrôlable. Ces pulsions dissimulées acquièrent soudain une importance extraordinaire. Des douleurs naissent, des larmes coulent, des années d’entente conjugale s’achèvent en tragédie. Rien par exemple  n’est plus grave qu’un coït partagé avec une autre femme que la sienne.

Jeanine l’avait appris à Christiane qui l’avait plainte, Christiane en avait parlé à Hubert qui se demandait s’il ne devait pas m’en parler. L’amitié l’y autorisait, pensait-il. J’étais la responsable de ce qui pouvait devenir un drame. Jeanine avait menacé André de le quitter.

André avait répondu :

- Je n’aurai plus à me cacher.

Elle avait beaucoup pleuré m’avait dit André. Il en avait eu pitié. On n’efface pas des années de mariage d’un trait de plume. Ce jour là, il s’était promené dans l’appartement comme si c’était le sien, et le soir, il s’était parfumé avant de se mettre au lit. Il me fit l’amour sans frénésie.

Hubert ne m’en voulait pas d’être la femme par qui le scandale était arrivé. Ce sont les mots qu’il avait utilisés. Il s’était exprimé avec une sorte d’emphase. Il parlait avec hésitation, soucieux du mot juste mais imagé. Du libraire à l’écrivain, il n’y a qu’un pas, disait-il. Leur cible à tous les deux n’est-elle pas la même : le lecteur ?

Il ne m’a pas parlé de Jeanine. C’est pour me parler d’elle cependant qu’il était venu. Il m’avait parlé avec une affectation presque paternelle, puis le ton avait changé.

- Quel homme n’aurait pas profité de l’occasion. Une femme en pleurs qui s’abandonne. Belle et tellement désirable. Plus que désirable. Si, tu le sais bien.  Moi-même, si j’avais été là, je n’aurais pas résisté. Je comprends André. Je te comprends aussi.

Il s’excitait en parlant. Il s’était approché de moi.

- J’ai envie de toi, Cécile.

- Ce n’est pas possible, Hubert.

J’imagine que c’est dès cet instant que l’amitié que se portaient ces deux hommes avait cessé.

- Tu ne peux pas me laisser comme ça !

Je l’ai embrassé sur les joues en le poussant vers la porte. S’il avait insisté, peut être que je l’aurais entrainé vers la chambre à coucher.

Le lendemain, j’ai dit à André qu’Hubert était venu me voir, et qu’il avait tenté de me faire la cour.

- Marions-nous Cécile.

- Mais tu es marié.

- Nous allons divorcer, Jeanine et moi.

- Nous en reparlerons alors. Je n’ai pas envie d’être mariée.

- J’ai besoin de toi, Cécile.

- Tu as envie de moi. Et moi, j’ai envie de toi. Ça tombe bien, non ?

Jeanine maigrissait étrangement. Elle s’éteignait. Elle se laissait aller, me disait-on. Tous ceux qui la connaissaient se rappelaient qu’elle avait toujours été fragile. André ne me parlait plus d’elle. Une seule fois, durant la nuit, il m’avait dit :

- Je veux que tu sois à moi tout entière. Je veux être le seul homme dans ta vie. Tu ne sais pas ce que je suis capable de faire pour toi.

Il remplissait une partie de mes jours, je devrais dire de mes nuits, mais je n’étais pas amoureuse de lui.

Lorsque j’étais en ville, je me doutais qu’il attendait mon retour  dans une encoignure de porte. Cela m’exaspérait. J’avoue qu’il m’est arrivé pendant ce temps de me laisser aborder par un inconnu qui me disait que j’étais belle et, plus directement, qu’il avait envie de moi et que j’avais envie de lui. Et de le suivre dans un hôtel.

Puis, je retrouvais André. Il était de plus en plus avide de nos caresses. Ce n’étaient pas tant elles qui le rendaient fou que la pensée que je pouvais les partager avec un autre.

- Personne ne pourrait jamais t’aimer comme moi.

Jeanine était morte durant la nuit. La femme de ménage l’avait découverte le matin. André ne revint qu’une semaine plus tard. C’était mieux, disait-il. Il n’y a pas de milieu plus convenu que celui des enseignants.

- Il y a beaucoup d’hypocrisie parmi eux.

Un jour, je me suis décidé à revoir Hubert et Christiane. C’était Hubert que je voulais revoir. Je me souvenais de sa frustration la dernière fois que je l’avais vu, de la rage contenue qu’il avait manifestée tandis que je le repoussais. Elle devait dissimuler une ardeur considérable.

Je me suis rendue à la librairie vers la fin de l’après-midi. Christiane était absente. Hubert m’invita à l’attendre pendant que nous prendrions un café dans le petit salon attenant au magasin. A sa surprise, j’ai tiré le rideau, et je l’ai embrassé sur la bouche. Je ne sais pas ce qui serait arrivé si Christiane était entrée.

Désormais, j’avais deux amants. Un pour le jour, un autre pour la nuit. Toute femme devrait avoir deux époux, cela éviterait bien des désordres. Je gardais mes réflexions pour moi.

Peu de temps plus tard, j’ai appris qu’André avait été convoqué par la police judiciaire. Une dénonciation anonyme l’accusait d’avoir empoisonné sa femme. Une autopsie, précisait la dénonciation, le prouverait. Pour que la dénonciation ait eu un effet aussi rapide, c’est, je suppose, qu’elle n’avait pas été tout à fait anonyme. Et, pour que la procédure se poursuive, qu’elle devait émaner d’une personne honorable.

Hubert venait me voir tous les jours. Au lit, il me disait qu’il n’avait jamais été aussi heureux. Il avait enfin découvert l’amour, et comment une femme pouvait lui apprendre ce qu’il n’aurait jamais osé rêver. Etendu sur le dos, il fermait les yeux.

- Tu me le promets, Cécile. Je veux être le seul homme de ta vie.

Depuis qu’André était en prison, il l’était presque devenu. Et plus encore lorsqu’André, avec ses draps, se fit une corde pour se pendre. Ce n’est pas le remord qui l’avait poussé à se pendre. Il avait écrit à mon intention que c’était parce qu’il ne pouvait plus me serrer dans les bras. A l’heure de mourir, il avait utilisé d’autres termes dans sa lettre d’adieu.

J’aimais être aimée, mais je ne comprenais pas la passion qui animait Hubert et qui avait été celle d’André. Les feux de la passion sont brûlants, dit-on, mais ils sont souvent courts. Toute une vie qui se résume à une brève partie de temps dont on ne sait pas comment et pourquoi elle commence, et qui se meurt dans la douleur.

L’attirance des corps n’a rien à voir avec les  images nées de l’imagination. Elle ne nait pas dans le cerveau. Elle est comme l’appétit ou la respiration. Un phénomène plus fort peut être mais à la durée plus courte. Et lié, hélas, à la splendeur ou à la dégradation des corps.

Au bout de peu de temps, Hubert, lui aussi, avait voulu divorcer d’avec sa femme. Il avait le sentiment que cela lui simplifierait la vie. Les hommes sont étranges. Ils tirent un plaisir immense de la complication qui s’est soudain introduite dans leur vie, et ils s’ingénient coûte que coûte à la réduire.

- Marions-nous, Cécile.

Il avoua ce qu’il appelait notre liaison à Christiane. Il se refusait à lui mentir, dit-il. La faire souffrir lui était plus facile à supporter. Peut être y avait-il une pointe de suffisance à dire à la sienne qu’une autre femme appréciait les faveurs de son mari.

- Il vaut mieux nous séparer.

Christiane avait secoué la tête.

- Ne comptes pas sur moi. J’aime mieux mourir.

Lorsque Christiane est morte, Hubert fut mis en prison. 

 

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Commentaires

  • Quel charivari de sentiments. Toujours aussi magnifiquement écrit. L'on se demande où vous allez chercher votre inspiration. Les faits divers sont remplis de ces histoires terribles.

    Je ne me souviens pas avoir lu celle-ci. Cet idiot de premier mari en a été le déclencheur et, à la limite, on peut comprendre la réaction de sa femme. De là à briser d'autres ménages !!

    Bref, les perdants de toutes ces affaires, ce sont les hommes et les malheureuses femmes de ceux-ci. Bref, je les plains tous.

    Bonne fin de dimanche.

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