Quel talent ! Patricia Ide se transforme soudain en gallinacée emplumée, montée sur des échasses pour mieux dominer son avorton de mari. Et de vitupérer, enjôler, glousser, ourdir et saccager tout ce qui croise son chemin. Un oiseau rare aux cris de panthère qui a su ravir le cœur malade du pauvre Ottavio, perclus, cassé en deux , vêtu de pourpre familiale et de la honte d’avoir jeté son propre fils à la porte. Un comédien d’à peine trente ans, Grigory Collomb interprète ce rôle … à s’y méprendre ! Va-t-il échapper un jour aux griffes acérées de son engeôleuse de femme qui le domine de trois coudées et demie ? C’est ce que Goldoni, nous explique dans « La Serva amorosa », une pièce où fusent les apartés psycho-moraux de la servante rédemptrice, Corallina, avec le public.
C’est la non moins excellente Joëlle Franco, poids plume bondissant, surmonté d’une queue de cheval en ananas - quelle nana ! – qui assume ce rôle délirant. Elle a l’esprit aussi acéré que généreux pour son tendre frère et maître Florindo (Quentin Minon, en héros romantique). Elle donne à chaque prototype qui peuple la pièce des répliques aussi bouillonnantes que mimées à l’extrême. Arlecchino, Pantalone… des personnages-types du Théâtre Italien comme on disait à l’époque. Elle ravit par sa mobilité, son ingénuité et ses réparties inventives. Ne serait-on pas dans l’improvisation pure et simple ? C’est du grand art théâtral totalement contrôlé. Quand les situations se corsent, ce sont les sifflets, trilles et onomatopées et piaillements en tout genre qui remplacent le verbe. La coquine contrôle tout ! Tous les moyens seront bons pour venir à bout de la paranoia familiale et rétablir l’équilibre et la justice. La crapuleuse Beatrice a appelé un croque-vif (disons, un notaire) pour se rendre (on s’en serait douté !) légataire universelle de son futur défunt mari et évincer à jamais le fils légitime au profit de son stupide rejeton Lelio, le niais. Encore un rôle sublimement joué, cette fois par Maroine Amimi, autre talent éblouissant de justesse et de dynamisme.
La suite est une pantalonnade jouissive du plus bel effet. Les visages sont grimés, nous sommes en période de Carnaval. Le théâtre est partout, au balcon, par-dessus les toits, à la fenêtre, dans l’antichambre, au boudoir, dans la rue… Les tréteaux tanguent et tremblent sous les la chorégraphie turbulente et drôle des comédiens. Quitte à se démantibuler à maintes reprises et faire voler le mobilier afin de symboliser la déliquescence familiale et sociale ! La patte créative et acérée de Pietro Pizzutti s’amuse, virevolte, nous assaille de jargon franco-italien, évoque l’origine napolitaine de gestes si italiens et semble s’amuser comme un fou à nous balancer sa version moderne de la Commedia dell’arte. Une mise en-scène qui déchire littéralement le rideau dans lequel on semble avoir taillé le costume d’Ottavio. Mise en abyme stupéfiante, les personnages sortent de boîtes d’illusionnistes, échappent de paravents, sombrent dans des trappes et se balancent sur des cordes comme au cirque. Et Rosara, (Flavia Papadaniel, dans toute sa beauté) la future mariée est un joyau de naïveté et de fraîcheur. Scènes exquises de déclaration amoureuse. Molière ou Marivaux ? C’et les deux à la fois, C’est Goldoni en personne. Avec l’accent !
Et les masques de Venise (vous disiez, Carnaval ?) sont là, pour démasquer l’hypocrisie, le désamour et les faux-semblants. La scénographie de Delphine Coërs et les costumes sont de haute voltige, avec une connivence artistique omniprésente. L’excès force le trait, le spectateur médusé devant ce grand Guignol ne peut soudainement plus se retenir de rire. Et de se tenir les côtes tout au long du spectacle! Le plaisir théâtral percole, perfuse et se répand comme une vague de bonheur à l’aube d’un mois de févier fait pour le Carême !
Précipitez-vous !
Au théâtre Le Public
La Serva amorosa de CARLO GOLDONI Mise en scène : Pietro Pizzuti Avec: Patricia Ide, Maroine Amimi, Grigory Collomb, Joëlle Franco, Pietro Marullo, Quentin Minon, Flavia Papadaniel et Réal Siellez Grande Salle - Création - relâche les dimanches et lundis
http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=320&type=1
Commentaires
Extrait de la critique de Suzane Vanina:
...Chez Goldoni, les personnages de femme ne sont pas falots ; il est remarquable pour son époque qu'il ait composé un tel personnage de jeune femme affranchie, ne s'en laissant pas conter, choisissant elle-même son mari, avec tout de même du bon sens dans le respect de sa condition de subalterne. Très vite, le public n'est plus dans un bâtiment actuel, confortablement assis, programme en mains. Il est invité à parcourir les siècles et se trouve transporté dans l'Italie de Goldoni, convié à un spectacle du Teatro San Luca par une troupe de comédiens dont les moyens techniques sont inversément proportionnels à la créativité et au dynamisme. L'auteur leur avait préparé un texte sur mesure, et, pour chacun, quelques beaux passages à mettre en valeur car il les connait bien, ce sont des types immuables...
"Bon sang ne peut mentir"... Il est italien celui qui coule dans les veines de Pietro Pizzuti, ainsi que dans celles de quelques-uns des acteurs/trices de cette distribution - l'épatante Joëlle Franco en tête dans le rôle-titre - et il ne trahit pas le vieil adage. Ce sang-là n'est pas gorgé de comique et de la volonté cabotine de faire rigoler, il est la vivacité même, la fantaisie à l'état pur.
Vous en conviendrez!
http://www.ruedutheatre.eu/article/2024/la-serva-amorosa/?symfony=6...
il y a un beau dossier pédagogique: http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=320&type=1
Ainsi vogue ce bon et traditionnel Goldoni, mené à bride abattue en une heure cinquante par la jeune troupe du Public (coup de chapeau à Maroine Amimi et Real Siellez) autour de Patricia Ide et Joëlle Franco (excellentes), une troupe déchaînée, en éblouissante forme physique et précise dans le jeu dell'arte. Et dans cette tradition, les gènes italiens de Pietro Pizzuti ne peuvent mentir. Il mixte la plupart des ingrédients de la commedia : masques pour les types -Pantalon (l'autre vieux de la pièce qui a comme il se doit, une charmante fille), Arlequin et Brighella, les apartés au public, quelques belges allusions, les bastonnades, les cris, les tréteaux avec coulisses visibles (bric à brac de malles et de tringles modernes), les manipulations à vue par les comédiens, le bruitage aussi, mais à part quelques bouts de mélodies, point de musique live. Et si la saturation sonore de ces jeunes acteurs baissait d'un ton, ce serait parfait. Peu de lazzis, mais de rapides jeux d'ensemble, qui n'entravent pas la fluidité d'une pièce que l'on devine prête à quitter le stéréotype des masques pour prendre le virage de la vraie comédie. Mais parler d'épaisseur pyschologique serait encore un peu tôt.
Partenaire essentielle de cette Serva amorosa bien troussée, la scénographe Delphine Coërs a joué du déséquilibre des tréteaux, de ses brusques mouvements à l'aune des déboussolages de ses personnages. Elle a aussi signé des costumes superbes, mélange de contemporain et de XVIIIè, dont les moindres ne sont pas les robes de Patricia Ide, "emplumées" en dedans et à la traîne qui lui donne un petit côté sauvage, violent qui sied à cette dame toutes griffes dehors (un des meilleurs rôles de Patricia Ide).
MICHÈLE FRICHE (édition du 06/02/2013)