Comment le Merveilleux peut conquérir l’amour…
La plus précieuse des marchandises – Un conte
Jean-Claude Grumberg
Seuil
12 € …Transporté au Théâtre Le Public
Promenons nous dans les bois.
Tant que le loup n’y est pas! Mais le loup y est, invisible, monstrueux et partout à la fois. Seul espoir, cette vaillante petite chèvre d’amour, une fleur de myosotis entre les dents. L’image d’amour qui veille, de tendresse et de liberté dans tout ce noir de la forêt panoramique qui a envahi la petite salle du Théâtre Le Public. Des bouleaux argentés des forêts de l’Est partout.
Et rien n’est plus vrai que l’amour immense de celui qui a écrit le livre, Jean-Claude Grumberg et celui de Jeanine Godinas qui en signe une magnifique et inoubliable mise en scène, enveloppée dans un châle féerique cousu de fils d’or et d’argent.
L’auteur nous fait cadeau d’un texte humble et universel et Jeanne Kacelenenbogen est cette fée qui en fait une interprétation fabuleuse. Elle fait corps avec la forêt, avec les dieux de la nature qu’elle implore pour son désir d’enfant. Un désir d’amour qui seul, peut tuer la guerre. Oui, cette guerre mondiale qui a osé saccager la conscience humaine, qui a délibérément nommé et pointé du doigt un peuple bouc émissaire, responsable de tous les maux de la terre: les “sans-coeur”. Pauvre bûcheron, vivant loin de tout dans sa triste masure, en est lui aussi convaincu, le poison du nazisme a filtré au plus profond des ruisseaux de la forêt.
Mais, malgré la faim, le froid glacial ou la brûlure de l’été, Pauvre Bûcheronne suit son rêve, le colle au train mystérieux qui passe et repasse et qu’elle affuble de toutes ses précieuses rêveries. Mue par un espoir fou, elle attend, avec la joie d’une petite fille, les messages désespérés que le train sème sur son passage. Petits cailloux salvateurs pour échapper à l’ogre? Du pain béni pour la femme qui oublie la faim et la misère quand elle entend les rails qui grondent et se fait une fête de la Rencontre. Elle ramasse les petits papiers qui tombent mais qu’elle ne sait pas lire… jusqu’au jour où la surprise venue du ciel lui tombe dans les bras et change sa vie. Ainsi elle conjure de façon percutante la mort que le train transporte.
Au passage, on note cette référence douloureuse au pogrom de Iași du 27 juin 1941, un épisode de la Shoah en Roumanie, perpétré par le régime fasciste roumain dans la ville de Iași contre sa population juive.
Le conte autour de ce train de marchandises est aussi poignant que celui de La petite marchande d’allumettes. Jeanne Kacelenebogen y met toute son âme. Le public est muet d’admiration, les émotions s’emboîtent dans un train d’enfer, le suspense et l’émotion ne vous lâchent pas; les voix de tous les personnages transforment la comédienne en une femme orchestre qui dévoile une symphonie. On sent la salle frémir tant elle écoute cette lumineuse femme qui enfante de sa voix et de ses postures tant de personnages plus réels que la fiction. Elle symbolise le pari pour la vie.
La narratrice happe le spectateur, s’empare de lui, le retient avec ce langage propre au conte, ses épithètes homériques, son intrigue, sa structure narrative, sa dynamique, sa vérité. Elle communique avec lui, comme ces mères diseuses d’histoires belles et effrayantes que l’on écoutait avec ravissement avant d’aller dormir. Des histoires que l’on n’oublie jamais, celles de transmission orale qui traverse les générations.
Un conte poétique que l’on a eu l’extrême bonheur de voir jouer en vrai sur la scène du Public avec tant de beauté et de vérité.
Au cœur de l’enfer, voici un rempart contre l’oubli, un vibrant appel pour que demeurent vivantes nos mémoires.
Dominique-hélène Lemaire pour Arts et Lettres
Théâtre Le Public – Du 31 janvier au 26 février 2022
DISTRIBUTION
- De Jean-Claude Grumberg
- Mise en scène Janine Godinas
- Avec Jeanne Kacenelenbogen
- Assistante à la mise en scène Hélène Catsaras
- Scénographie et costumes Renata Gorka
- Décor Eugénie Obolensky
- Construction décor Luc Dezille
- Lumière ZvonocK
- Musique originale Pascal Charpentier
- Régie Sybille Van Bellinghen , Antoine Steier, Geoffrey Leeman
Rue Braemt, 64 / 70
1210 Saint-Josse-Ten-Noode
http://www.theatrelepublic.be
contact@theatrelepublic.be
+32 80 09 44 44
Grand Prix de l’Académie française, Molièrisé et Césarisé, Jean-Claude Grumberg écrit en quelques pages la quintessence de son œuvre. Fils et petit-fils de déportés, l’auteur relate la Shoah sans en prononcer le nom. Sous la forme littéraire du conte, son humour pétri de rage et d’absurde (politesse du désespoir) interdit la résignation et l’oubli.
Commentaires
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Mardi 25 janvier 2022, par Catherine Sokolowski
Une petite fille, une forêt, et... beaucoup d’amour
On pourrait résumer le spectacle en évoquant un conte, une forêt, une pauvre bûcheronne et son mari, tous deux affamés. Autour des bois, la guerre, la Shoah. On pourrait parler des convois de marchandises qui transportaient des milliers de Juifs dans les camps. On pourrait conclure en se disant qu’il s’agit d’une nième histoire qui se passe pendant la guerre 40-45. Tout ça est vrai mais ce spectacle, c’est bien plus que cela. Jeanne Kacenelenbogen, seule en scène, captive. Changeant de personnage à la vitesse de l’éclair, elle est impressionnante de justesse et de sensibilité. Une interprétation qui magnifie le chef d’œuvre de Jean-Claude Grumberg. N’hésitez pas.
La scène est déguisée en forêt, c’est l’hiver, il a neigé, les arbres sont nus. Une sensation de froid s’en dégage. Il fait sombre. Quotidiennement, en arrière-plan, des lumières accompagnent le bruit d’un train. Une scénographie ingénieuse de Renata Gorka, parée des beaux décors d’Eugénie Obolensky.
Pauvre bûcheron et pauvre bûcheronne vivent dans la forêt. Ils n’ont pas d’enfant. Le premier s’en félicite étant donné qu’ils sont affamés mais sa femme rêve d’être maman. Dans la forêt passe un train de marchandises. Pauvre bûcheronne contemple ce train chaque jour, espérant qu’elle pourra peut-être bénéficier d’un paquet.
Et puis, un jour, les Dieux du train sont favorables, son espoir est comblé, une petite marchandise est lancée du train, enrobée dans un magnifique châle brodé d’or et d’argent. Dans le convoi, par contre, un drame. Un homme a décidé de jeter l’un des ses enfants par la fenêtre, choisi au hasard, espérant lui donner une chance de survivre.
L’amour est au centre du récit, la guerre et ses drames servent de toile de fond. Attendrissant et sobre, le conte mis en scène par Janine Godinas, s’adresse à tous. Une histoire universelle et pleine d’espoir, malgré le contexte historique. Léger et parfois drôle, le texte de Grumberg et une brillante équipe théâtrale se sont trouvés.