« Tous les cimetières d’Ecosse pour un seul regard dans le temps! » Macbeth au théâtre Royal du Parc Janvier 19, 2019
Trop de morts sur la scène…et parfois à la sortie des théâtres ! On l’appelle la « pièce écossaise » pour ne pas évoquer son vrai nom, frappé dit-on, de maléfice. La légende raconte que Shakespeare voulait utiliser des incantations de magie noire réelles, pour plaire au roi James qui avait écrit un livre «Daemonolgy » en 1597, traitant de sorcellerie et mettant en garde contre son utilisation. Notre époque n’en est plus à avoir peur des sorcières, mais la peinture qu’en fait Georges Lini est effarante. Tout commence par leur rire féroce et inextinguible, celui d’Ingrid Heiderscheidt, de Louise Jacob et de Muriel Bersy, d’inoubliables créatures qui arrachent leur masque à la fin du jeu.
Drame épique sauvage, trop sauvage pour des écoliers, ce « Macbeth » saisissant, intense, magnifiquement mis en scène, offre des performances verbales inoubliables, d’un style presque cinématographique. Mais le spectateur repart avec en main la sagesse shakespearienne percutante qui défie le temps et plonge ses racines dans une bouleversante humanité. De là peut être cet humus qui recouvre tout le plateau du théâtre du Parc et qui sert d’arène au déchaînement, aux folies des hommes et des femmes. Cet humus d’où naît chaque génération humaine pour y retourner et y faire le lit des suivantes. Puisse l’humus proposé par Georges Lini, faire germer en nous plus de paix et plus de raison. La raison de la présence cette chanson, qui germe tout au bout du cataclysme, à peine murmurée par une Anouchka Vingtier, sidérée par l’ampleur du désastre, juste avant que le rideau ne retombe sur les protagonistes comme un sombre couperet final …
♪ Oh My Love ♪
Oh my love
Look and see
The Sun rising from the river
Nature’s miracle once more
Will light the world…
La violence, hélas, comme l’humus, ne cesse de se recycler à l’infini. Le ciel a beau envoyer le déluge pour laver le sang, ou souligner l’ignominie, l’hubris des hommes est incommensurable et la soif de pouvoir est telle qu’elle emprunte sans trop de scrupules, les voies du meurtre, de la trahison, de la barbarie viscérale érigée en art de vivre ou celui de mourir …à la guerre. Les parallèles avec notre actualité ne manquent pas. « Pourquoi nous taisons-nous, quand cette affaire est la nôtre ? »
De plain-pied au cœur de la folie.
Si Georges Lini a choisi la continuité de costumes simples et médiévaux, il installe l’action dans un cadre aux contours contemporains, tel les coulisses d’un théâtre ou d’un studio de cinéma, dont le centre est occupé par une capsule hermétique dans laquelle trônent trois sœurs infirmières, qui ne sont pas sans rappeler Nurse Ratched, le cauchemar de Nicholson dans « Vol au-dessus d’un nid de coucous ». Nous sommes de plain-pied au cœur de la folie. Une boîte de Pandore dont elles peuvent sortir à leur guise pour répandre la mort et le poison. Les trois sœurs qui font le Destin dans leur habitacle trompeur, tissent inéluctablement le fil sanglant de la malédiction qui pèse sur Macbeth. Et prononcent des phrases sibyllines, comme à la radio anglaise, en temps de guerre.
Est-ce l’effet de la liberté créatrice? Du génie dramatique de l’auteur ? Du talent confirmé des artistes ? Les artistes développent tous et sans frein, la richesse de leurs passions. Ils capturent la moindre émotion de la phrase ciselée, débarrassée de ses aspects vieillots. Ils sont filmés parfois, par un cinéaste, discrètement à l’affût. Se repaît-il de la violence ou est-il simple témoin? Des close-ups se projettent sur un écran géant. Plusieurs scènes symboliques et sans paroles donnent l’illusion d’un répit ou plongent dans l’horreur. Mais tous, tirent tellement bien profit de leur texte, que le spectateur se sent pleinement engagé. Non seulement par le bouillonnement affolant du texte adapté par Georges Lini, mais par toutes les expressions des visages et le langage corporel constamment aiguisé.
Tous en scène, tous témoins, en silence ou en paroles. Le casting rutilant navigue sur des déferlantes de mouvement et d’énergie créatrice. Dans l’allégresse de victoires guerrières, Ross (Nicolas Ossowski) annonce à Macbeth que le roi l’a nommé baron de Cawdor. C’est Luc Van Grunderbeeck qui campe l’élégant roi Duncan. Banquo, c’est Stéphane Fenocchi que Macbeth voit comme une menace et fait assassiner. Mais les morts ne cessent de réapparaitre. C’est Lennox (Jean-Françoisn Rossion) qui annonce que dans la tourmente, Macduff a fui en Angleterre. Il est joué avec brio par le pétillant Didier Colfs. Macbeth a ordonné de saisir ses biens et fait assassiner sa femme et son fils. Une de ces scènes graphiques dont Georges Lini a le secret et qui reste inoubliable. Macduff jure de se venger, rallie l’armée levée par Malcolm (Felix Vannoorenberghe) pour marcher contre Macbeth. Il est celui qui n’est pas « né d’une femme » d’après la prophétie. Thierry Janssen, toujours aussi brillant dans sa présence théâtrale,colle au rôle de Seyton, dernier lieutenant fidèle de Macbeth. Daphné d’Heur, (qui d’autre qu’elle ?) est à la direction musicale, Jérôme Dejean à la création des lumières. Les dictions sont impeccables. Frêle et sous des dehors d’innocence, Anouchka Vingtier aux côtés d’Itsik Elbazincarne l’hypocrisie brutale et le désir brûlant de Lady Macbeth de se voir reine. Ses intentions sont transparentes. Sa force de persuasion et sa tactique sont spontanées et imparables. Elle s’emploie à convertir au «Mal» Macbeth, un guerrier loyal et courageux, ne lui laissant aucune échappatoire, pour assouvir sa dévorante ambition. Lady Macbeth appelle même sur elle la Violence personnifiée pour qu’elle neutralise « son état de femme! »
Lady Macbeth connaît sa proie, mieux que lui-même ne se connaît et manie le sarcasme avec un art consommé, s’offrant charnellement en récompense. Il est cuit. Il est bon pour ouvrir les vannes de la sauvagerie et celles de l’acte prémédité. Itsik Elbaz et Anouchka Vingtier, qui nous avaient bouleversés dans « Hamlet », redoublent ici d’intensité dramatique. Lors du festin dantesque, Macbeth divague à la vue de Banco « Que me fixes-tu, camarade ?» Itsik Elbaz possède à fond l’art du monologue. Il excelle dans les rôles d’illuminés ou d’halluciné. Il est tiraillé entre les sentiments de devoir et de culpabilité, il oscille entre raison et déraison, il est lucide et « ensauvagé » comme les chevaux du roi Duncan lâchement assassiné. Et profondément humain. « Ma mort ne rendra pas votre monde meilleur ! »
Macbeth – Théâtrez-Moi ! from Théâtrez-moi! on Vimeo.
Photos: Jérôme DEJEAN
Au Théâtre du Parc Du jeudi 17 janvier 2019 au samedi 16 février 2019 02/505.30.40
Commentaires
par Bruno Fella, pour la Libre
SCÈNES Georges Lini met en scène toute l’horreur du drame de Shakespeare au Parc.
Où sont la lande écossaise et les cuirasses maculées ? Déjà la brume se dissipe et apparaissent les trois sorcières. Non, ce sont des infirmières, isolées dans leur cabine vitrée. Le néon hésite et révèle les masques transparents de grands brûlés. Le décor est planté (Thibaut De Coster et Charly Kleinermann, à la scénographie et aux costumes). Les trois sœurs administreront leur infâme médecine dans un asile d’aliénés. À Macbeth de l’avaler. Elles ont promis le trône au grand guerrier. Il aura la
folie, lui qui déjà se torture d’obscures pensées. Est-il homme à combattre le destin ou à abattre son roi ?
Du Macbeth de Shakespeare, il y a bien des fils à tirer. Est-ce l’histoire d’une ambition dévorante ? D’une lutte intérieure entre la prédestination et le libre arbitre ? D’un homme qui ne porte pas la culotte sous son kilt, tant sa femme, sa "Lady", assume la "virilité" du couple ? Si la trame qu’a tendue le metteur en scène Georges Lini au Théâtre du Parc illustre tous ces thèmes évoqués, c’est le motif psychologique qui est répété, la lutte intérieure révélée, la déraison qui justifie le huis clos dans une institution spécialisée. Macbeth ou le cauchemar d’une nuit d’hiver.
Du sang et des armes
Ainsi, on a convoqué les artifices de l’horreur (spectacle déconseillé aux moins de 14 ans) pour incarner chaque doute, chaque vision qu’un théâtre d’antan laissait le soin d’imaginer. Dans l’asile décati surgissent les sœurs ensanglantées, une tête séparée de son corps, une "renaissance" du roi sanguinolent (l’imposant Luc Van Grunderbeeck) dans son cercueil transparent… Là, l’aura ne dit rien, comme un ange de la mort qui passe, et trépasse l’attention. Un accident tant le reste est prenant, les acteurs ne quittant pas la scène, se réfugiant dans une loge apparente et s’y confiant parfois à la caméra, disant l’indicible, montrant l’immontrable. Dispositif fort en vogue, mais que justifient les fréquentes confessions shakespeariennes ou les contrechamps renvoyant au conflit intérieur de Macbeth, de la clarté du plateau aux ténèbres du public. En haut de l’escalier, l’écran nous regarde - gros plan sur un comédien. Mais ce n’est pas le cas d’Itsik Elbaz (Macbeth). La scène est la sienne. Tout comme est sien le cauchemar. Elbaz, une boule de nerfs aiguillonnés par les femmes, dont chaque réplique nous souffle la sueur glacée d’une nuit agitée jusqu’à la déchirer d’un "Love is blindness", davantage Jack White que l’original Bono.
Lini offre une histoire de fou pleine de bruits et d’horreurs.
Bruxelles, Théâtre royal du Parc, jusqu’au 16 février. Infos et réservations :www.theatreduparc.be, 02/505.30.30.
Au Parc, le Macbeth de Lini sombre et détonant, séduit et reste d’une actualité brûlante !
Lorsque le nom de Georges Lini est évoqué pour la mise en scène d’un spectacle, certains frémissent d’excitation et d’autres s’avèrent parfois un peu craintifs, de peur de se sentir désorientés par les partis pris inventifs et souvent étonnants du metteur en scène et directeur artistique de la Compagnie Belle de Nuit. Personnellement je fais partie de la première catégorie, et une fois de plus je me suis régalé avec cette version de Macbeth jouée actuellement au Théâtre Royal du Parc et magistralement interprétée par une brochette de comédiens irréprochables, dont un Itsik Elbaz flamboyant.
Monstre parmi les monstres. Macbeth n’est pas l’ombre, mais la nuit. Le mal n’y est pas relatif, mais absolu. La pièce nous plonge dans l’étroit abîme qui sépare le cauchemar de la réalité monstrueuse. Avec sa manière médiévale de s’approcher des forces obscures et irrationnelles et d’aborder l’énigme du meurtre de l’homme par l’homme et la culpabilité qui s’ensuit, Shakespeare convoque dans les ténèbres d’étranges et hideuses créatures – les hommes – toutes en proie à une maladie incurable et contagieuse. Celle de l’ambition criminelle et du pouvoir corrupteur. Car quand elle n’est pas encadrée par une conscience et une morale, l’ambition ne mène qu’à l’échec. Quant au pouvoir, tout le monde le sait, il échoit à ceux qui le désirent le plus. La fin justifiant les moyens…( source : Théâtre Royal du Parc)
S’attaquer à cette oeuvre grandiose du grand William Shakespeare s’avère une tâche compliquée et osée d’autant plus que cette pièce jouit d’une sale réputation en Angleterre, celle de porter malheur ! Comme si le mal absolu qui suinte par tous les pores cette tragédie s’attaquait inévitablement à ceux qui tentent de la cerner. D’ailleurs , on préférait l’appeler » la pièce écossaise » plutôt que de prononcer son nom.
Macbeth et Lady Macbeth poussés par l’ambition de conquérir la couronne à tout prix et par tous les moyens, décident d’assassiner le Roi pour lui ravir sa couronne. On est face à deux monstres sans pitié dont il ne reste au final dans leur chef que peu d’humanité.
Pour incarner Macbeth il fallait un comédien solide capable de porter tout le poids de cette tragédie. Et qui mieux qu’Itsik Elbaz, qui avait campé un Caligula exceptionnel l’été dernier à Villers-la-Ville déjà sous la houlette de Lini, pour donner vie à un tel personnage ? Les folies artistiques des deux hommes se marient avec bonheur et engendrent souvent des spectacles remarquables. Et cette fois encore la magie fonctionne.
© Jérôme Dejean
Dès les premiers instants, on est plongé dans cet univers sombre et détonant qui deux heures durant se révèle être éprouvant pour les acteurs, tant par le biais du texte et du propos, que physiquement par des trouvailles de mise en scène parfois difficiles à gérer comme cette colonne d’eau qui se déverse sur la scène et les comédiens de longues minutes durant. Dans le Macbeth proposé par Lini chaque comédien est à sa place, et même si certains ont moins de texte que d’autres, le poids de leur présence physique s’avère indispensable.
Outre Itsik Elbaz dans le rôle phare de Macbeth, Anouchka Vingtier est elle aussi formidable de justesse et de dramaturgie, dans le rôle d’une Lady Macbeth diabolique et sensuelle qui malgré le propos reste de toute beauté durant tout ce récit de bruit et de fureur. Et que dire de Stéphane Fenocchi formidable Banquo, de Didier Colfs qui joue Macduff et d’un Luc Van Grunderbeeck parfait en Duncan le roi qu’on assassine. Jean François Rossions, Louise Jacobs, Thierry Janssen, le jeune Felix Vannoorenberghe, Nicolas Ossowski, Ingrid Heiderscheidt et Muriel Bersy sont eux aussi impeccables.
© Jean-Pierre Vanderlinden
Ce Macbeth de Georges Lini se doit d’être vu. Rares sont les metteurs en scène qui dépoussièrent à ce point le théâtre et dont les prises de risques évidentes se mêlent à une créativité toujours bouillonnante. Et même si la mise en scène peut vous surprendre durant les premiers instants, les trouvailles comme l’utilisation des caméras qui permettent d’ajouter une vision supplémentaire à certaines scènes, l’utilisation de micros pour certaines répliques (comme c’était déjà le cas pour Caligula) et l’intégration parfaite de certains titres rock comme l’étonnant « Love is blindness » de Jack White interprété avec fureur par Itsik Elbaz, donnent à ce classique du théâtre un souffle nouveau et totalement moderne.
Lini nous propose un Macbeth « sans armure » dont les mots et le sujet restent aujourd’hui d’une actualité brûlante. Que demander de plus ?
Jean-Pierre Vanderlinden
Macbeth, c’est une ambition qui dévore un homme comme un cancer, une quête de pouvoir si absolue et si vénéneuse qu’elle va méticuleusement accumuler les assassinats comme les verres sur la table d’un alcoolique. Allez, un dernier mort pour la route. Puis encore un, et encore un, ma gorge reste sèche, ma soif est telle que le sang de toute l’Ecosse ne suffirait pas à l’étancher, mais boire jusqu’à la lie, jusqu’à l’hallali, on n’en sort pas indemne, et je suis si ivre que j’en suis devenu fou.
Performance totale et éprouvante pour les acteurs, toujours en scène, filmés au plus près même quand ils sont en retrait, suivis par une caméra malveillante et serrée qui traque le moindre tressaillement sur leur visage et ne les laisse jamais en paix. Rincés mais pas lavés, couverts de boue et de sang, malmenés, sales dans tous les sens.
Adaptation audacieuse et déroutante pour les spectateurs, avec trois sorcières changées en nonnes infirmières qui nous parlent à travers un sas, avec des personnages confondus, avec des libertés prises à tous les étages. Faut oser, quand même, faire tomber des torrents de pluies et des rivières d’hémoglobine sur les vieilles planches, les moulures et les velours du théâtre du Parc. Mais qui va au théâtre pour respirer la poussière quand on peut la mordre, hein?
Et puis il y a la langue de Shakespeare, belle à tomber, qui sonde les âmes et déchire les coeurs. Tout y passe, l’amour fou, la violence sourde, la haine, la culpabilité, la trahison, la paranoïa, les esprits si tourmentés qu’il ne leur reste que la folie comme échappatoire. Personne que Shakespeare, pour écrire les abysses du mal et la faiblesse des hommes. Personne que lui, pour éblouir avec tant de noirceur.
Et toi, oh là là, toi, avec ton rire des profondeurs et ton regard bleu glacier, ta fragilité d’enfant à l’abandon, ton phrasé et ta gestuelle si brutale et si précise à la fois, tu me fais tellement peur, t’es tellement ma came que tu devrais pas être légal.
Alors évidemment, ben ouais, je vais y retourner.
Isabelle Chevalier
Macbeth, au Théâtre Royal du Parc, jusqu’au 16 février.
Prolonger son petit plaisir et vouloir rester bien dedans.
super