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Dans sa personne comme dans sa pensée, Paul fut et demeure encore aujourd'hui la figure la plus discutée du christianisme. Son autorité d'apôtre elle-même fut âprement contestée jusqu'au sein des communautés chrétiennes qu'il venait de fonder (surtout Gal., I et II ; II Cor., X à XII). Dans une de ses parties tardives (début du IIe s.), le Nouveau Testament se fait déjà l'écho de l'incompréhension et des fausses interprétations dont le « paulinisme » fut très tôt la victime : « Il y a [dans ses lettres ] des points difficiles à comprendre dont les personnes ignorantes et mal affermies tordent le sens » (II Pierre, III, 16). Actuellement, les uns accusent Paul d'avoir trahi la pensée de Jésus et de lui avoir substitué un système doctrinal compliqué et même révoltant par certains de ses aspects. D'autres, non moins catégoriques, le considèrent comme le premier et le plus grand interprète de la foi chrétienne. Lui-même, d'ailleurs, s'exprimait sur son oeuvre et sa personne en des termes parfois étranges : « Celui qui me juge, c'est le Seigneur. C'est pourquoi, ne jugez de rien avant le temps, jusqu'à ce que vienne le Seigneur, qui mettra en lumière ce qui est caché... » (I Cor., IV, 4-5). Intraitable sur son autorité d'apôtre du Christ, légitimement fier de son oeuvre missionnaire, il n'avait pas moins conscience d'une certaine faiblesse, qu'il assumait en la rapprochant de celle de Jésus : « Jusqu'à cette heure, nous souffrons la faim, la soif, la nudité ; nous sommes maltraités, errant çà et là » (I Cor., IV, 11-13). Et il ajoutait : « Je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les calamités, dans les persécutions, dans les détresses pour le Christ ; car, quand je suis faible, c'est alors que je suis fort » (ibid.,  v. 10). Nietzsche a bien vu l'importance de ces déclarations, qui sont au coeur de la vie et de la pensée de l'apôtre. Il y décelait la signature d'une religion décadente : « Le christianisme a incorporé la rancune instinctive des malades contre les bien portants, contre la santé. Tout ce qui est droit, fier, superbe, la beauté avant tout, lui fait mal aux oreilles et aux yeux. Je rappelle encore une fois l'inappréciable parole de saint Paul : « Dieu a choisi ce qui est faible devant le monde, ce qui est insensé devant le monde, ce qui est ignoble et méprisé » ; c'est là ce qui fut la formule, in hoc signo  la décadence fut victorieuse » (L' Antéchrist ). Mais, en citant la Ire Épître aux Corinthiens (I, 28), Nietzsche en omettait la fière conclusion : « Dieu a choisi les choses qui ne sont point [...] pour réduire à néant celles qui sont. » Il n'y avait pas, chez Paul, le moindre goût pour la médiocrité. Cette faiblesse « choisie », il en voyait les victoires sur l'ignorance et l'erreur dans sa propre destinée et dans celles des communautés chrétiennes qu'il fondait. Entre les années 30 et 60, parmi toutes les religions orientales qui faisaient la conquête de l'Occident, de Rome en particulier, aucune ne prit pied aussi rapidement dans les diverses provinces de l'Empire et jusque dans la capitale que celle des disciples du Christ Jésus. On ne comprend pas ce voyageur infatigable en dehors de la progression de ce petit peuple dans le pourtour méditerranéen. Au printemps 55 ou 56, écrivant de Corinthe aux chrétiens de Rome, déjà nombreux et remuants, Paul annonçait son intention de passer par la capitale pour se rendre en Espagne et, à propos du sens et du style de son activité personnelle, il recourait (Rom., XV, 18-21), assez cavalièrement, à une citation de l'Ancien Testament (Is., LII, 15), qui situait sa personne et son oeuvre dans ces temps derniers de l'histoire où le Dieu d'Israël devait se faire connaître à tous les peuples de la terre : « Ceux à qui il n'avait point été annoncé verront, et ceux qui n'en avaient point entendu parler comprendront. »

1. Les sources

Les sources qui permettent de connaître l'apôtre Paul sont toutes contenues dans le Nouveau Testament et, pour l'essentiel, sont des lettres de l'apôtre. La critique historique tient généralement pour authentiques, dans l'ordre chronologique, la Ire Épître aux Thessaloniciens, écrite au printemps de l'année 50 à Corinthe ; la IIe Épître aux Thessaloniciens en est probablement une imitation tardive, à la fois très proche de la première et nettement différente sur certains points (fin du monde et avènement du Christ). Du séjour mouvementé de Paul à Éphèse, de 54 à 56, datent sans doute l'Épître aux Galates, la plus polémique et la plus autobiographique de ses lettres, et l'essentiel de ce que le Nouveau Testament nomme les deux Épîtres aux Corinthiens, où il faut voir un amalgame de diverses lettres de l'apôtre écrites à ceux-ci pendant ce qu'on appelle avec raison la crise corinthienne. On y trouve l'écho de la première rencontre du christianisme naissant avec la mentalité et la religiosité grecques du temps. A cette même période éphésienne appartiennent probablement les épîtres dites de la captivité, le billet à Philémon et la lettre aux chrétiens de Philippe ; cette dernière est aussi, semble-t-il, formée de plusieurs billets ; elle contient quelques lignes capitales de Paul sur son passage du judaïsme à la foi au Christ et la manière dont il comprenait sa propre existence chrétienne (III, 4-14). Certains pensent que cette captivité ne fut pas celle d'Éphèse mais celle de Rome (en 60) ou celle de Césarée (58-59). C'est sans doute à Corinthe, au printemps 55 ou 56, que fut écrite l'Épître aux Romains (excepté, peut-être, le chap. XVI), qui, sans être un traité dogmatique, constitue certainement l'expression à la fois la plus complète et la plus concentrée de l'Évangile paulinien. D'autres épîtres du Nouveau Testament, même si on ne peut les attribuer à Paul, ne doivent pas être négligées dans une appréciation de sa pensée et de son influence. On sait que le procédé de la pseudonymie (attribution de son oeuvre par un auteur anonyme à un grand personnage du passé) était courant dans l'Antiquité. Les lettres deutéro-pauliniennes sont l'Épître aux Colossiens, tenue pour authentique par de nombreux critiques, et l'Épître aux Éphésiens ainsi que les Épîtres dites pastorales (I et II Tim. et Tite).

A cette documentation déjà variée et de qualité s'ajoute celle des Actes des Apôtres qui, en leur chapitre IX, racontent la conversion de Paul puis, du chapitre XIII à la fin du livre, présentent un récit continu des voyages et des aventures missionnaires de l'apôtre jusqu'à son arrivée à Rome en 60. Ce précieux récit, cependant, ne peut être utilisé qu'avec circonspection. Il a reçu sa forme définitive plus de vingt ans après la mort de l'apôtre ; il obéit à des intentions d'édification bien apparentes et se trouve souvent en contradiction avec les données, plus proches des faits, des lettres de l'apôtre (comparer, par exemple, le récit personnel de Gal., I, 13 et II, 14 avec Actes, XV, ou les trois récits des Actes de la conversion de Paul aux chap. IX, XXII et XXVI à ce que Paul en dit lui-même). Cette circonspection est de rigueur, en particulier, quand il s'agit des grands discours que les Actes des Apôtres prêtent à Paul, à Antioche de Pisidie (Actes, XIII, 16-41), à Athènes (Actes, XVII, 22-31), à Milet (Actes, XX, 18-35), à Jérusalem (Actes, XXII, 1-21) et à Césarée devant le roi Agrippa (Actes, XXVI, 2-23). Les données des Actes des Apôtres sur Paul ne peuvent donc être acceptées ou rejetées globalement ; sans doute composites, elles doivent être analysées et comparées à celles des épîtres pour chaque fait particulier.

2. Esquisse biographique

Le milieu religieux

La vie de Paul étant relativement bien connue, le caractère personnel de la documentation ne doit pas faire oublier que cette destinée, certes exceptionnelle, demeure incomprise, et même faussée si on l'isole des ensembles auxquels elle appartenait : le christianisme naissant gagnait alors le monde méditerranéen et faisait partie lui-même de la grande mutation religieuse et culturelle qui, à la faveur de la paix romaine, mettait en contact le Proche-Orient et l'Occident.

Paul (Saul pour ses coreligionnaires juifs) est né à Tarse, capitale de la province romaine de Cilicie, vers le début de l'ère chrétienne, dans une famille juive de stricte observance pharisienne (Actes, XXI, 39 ; XXII, 3 ; Phil., III, 4-6). Dès sa naissance étaient ainsi fixées deux composantes majeures de sa destinée : l'attachement passionné au particularisme juif, scellé par la circoncision, et un contact intime avec la culture hellénistique, dont le grec tardif était alors la « langue commune » dans tout le bassin méditerranéen. Qu'on ne se représente donc pas la jeunesse de Paul confinée, à Tarse, dans un ghetto juif de province. Il y avait dans l'Empire quatre à cinq millions de Juifs, souvent fort cultivés (ainsi Philon à Alexandrie), en contact incessant les uns avec les autres et avec Jérusalem, passant d'une synagogue à l'autre et y accueillant d'innombrables païens attirés par le monothéisme juif (les « craignant-Dieu ») ou franchement convertis à la religion juive et donc circoncis (les « prosélytes »). Les pharisiens de cette Diaspora appartenaient le plus souvent à l'école d'Hillel qui se distinguait à la fois par un zèle ardent, dont la circoncision était l'emblème, et une grande ouverture d'esprit dans l'interprétation de la foi traditionnelle. Comme le père de Paul, beaucoup de ces Juifs de la Dispersion avaient acquis ou reçu la citoyenneté romaine (Actes, XVI, 37 ; XXII, 28). C'est très probablement à Jérusalem que Paul vint parfaire sa formation religieuse et qu'il devint « irréprochable quant à la justice de la loi » (Philipp., III, 6), c'est-à-dire inattaquable dans la connaissance et la pratique des traditions juives les plus exigeantes. C'est là qu'il devint persécuteur de l'Église (Gal., I, 13 ; Phil., III, 6) ; par là il faut entendre, contre le récit indubitablement romancé du livre des Actes, qu'il s'efforça de réfuter la foi nouvelle dans sa tendance la plus critique à l'égard du judaïsme et, déjà, la plus universaliste qu'elle prenait chez des « hellénistes », c'est-à-dire chez des disciples de Jésus d'origine juive, mais appartenant au judaïsme de la Diaspora, tel Étienne. Après le martyre d'Étienne, ces chrétiens durent quitter Jérusalem et c'est à Damas que Paul se proposait de les retrouver et de les confondre (Actes, VII et VIII ; Gal., I, 13-14).

La conversion

La conversion de Paul ne fut donc pas préparée par un temps d'inquiétude religieuse. Les témoignages de l'apôtre et ceux des Actes déjà cités s'accordent à en faire un événement inattendu et même brutal. Le persécuteur fut interpellé sur le chemin de Damas par le Ressuscité, convaincu de son erreur et immédiatement mobilisé pour la mission chrétienne chez les païens. Paul rangera lui-même cet événement dans la série des apparitions du Ressuscité à ses apôtres (I Cor., XV, 8-9 ; voir aussi Gal., I, 15-16). Il n'est guère possible d'en dire plus, mais deux remarques s'imposent ici. En premier lieu, il paraît certain qu'au moment de sa conversion Paul avait déjà une connaissance précise de la foi nouvelle, puisqu'il en persécutait les adeptes les plus avancés (les hellénistes) et en réfutait l'affirmation essentielle, à savoir que « le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son serviteur Jésus » (Actes, III, 13). En second lieu, comme l'indique cette citation, sa conversion ne fit pas de Paul le propagandiste d'une religion nouvelle. Au contraire, en donnant sa foi au Christ, il eut et garda jusqu'à sa mort la certitude de demeurer fidèle au Dieu de ses pères. Plus encore, il eut la conviction, constamment explicitée en de longues démonstrations théologiques, que la foi au Christ constituait dès lors la seule manière d'être fidèle à l'authentique tradition israélite, car « ce sont ceux qui croient qui sont fils d'Abraham » (Gal., III, 6 ; Rom., III, 31 à IV, 25 ; IX-XI).

La vie de Paul, après sa conversion, échappe presque complètement à l'historien pendant une période de quinze ou seize ans. Cette lacune est d'autant plus grave qu'elle recouvre deux faits capitaux et solidaires : la première relation du nouvel apôtre avec l'Église mère de Jérusalem, et les premières formulations de sa prédication. Il semble qu'il faille préférer ici les brèves indications autobiographiques, mais polémiques, de l'Épître aux Galates (I, 16-24) aux données hautes en couleur mais souvent obscures des Actes des Apôtres (IX, 19-30 ; XI ; XIII-XIV). On s'en tiendra seulement au plus sûr : le nouveau converti, après un bref séjour à Damas, où se trouvait déjà une importante communauté de disciples issus de la Diaspora juive, prêche la foi nouvelle « en Arabie », c'est-à-dire dans les villes hellénistiques florissantes de Transjordanie : Petra, Gerasia, Philadelphia (aujourd'hui Amman). Puis il « revient » (Gal., I, 17) à Damas, et, de là, trois ans après sa conversion, fait un premier et bref séjour à Jérusalem où, sans doute par crainte des Juifs, il ne voit que Pierre et Jacques, « le frère du Seigneur » (Gal., I, 19). Il n'est donc pas un isolé prêchant des idées originales ; sa foi est très probablement celle de l'Église de Damas et il n'ignore pas l'importance de ceux de Jérusalem. Mais il n'est pas non plus un apôtre de deuxième zone, aux ordres de Damas ou de Jérusalem. « J'allai ensuite dans les contrées de la Syrie et de la Cilicie » (Gal., I, 21), ce qui correspond à peu près à Actes, IX, 30. La Syrie, c'est Antioche, où, entre-temps, la foi nouvelle avait été communiquée non seulement à des Juifs de la Diaspora mais, fait décisif et qui explique seul les développements ultérieurs, à des « Grecs », c'est-à-dire à des païens (Actes, XI, 19-21) : Paul ne fut donc pas le premier à annoncer l'Évangile du Christ aux païens. La Cilicie, c'est Tarse, où il retrouve la ville et la culture qu'il connaît parfaitement. Pendant cette longue activité, un homme que l'on connaît mal - et, une fois de plus, un « helléniste » -, Barnabas, originaire de Chypre, semble avoir grandement contribué à mettre Paul en liaison avec les « chrétiens » (Actes, XI, 26) d'Antioche et aussi, peut-être avec ceux de Jérusalem.

Les missions de Paul

Les événements d'Antioche comme l'ampleur de l'activité missionnaire de Paul faisaient apparaître des questions délicates. Il y allait de la communion, dans une même Église, des chrétiens d'origine juive et des chrétiens d'origine païenne ; il y allait aussi de la cohésion de la mission au sein des trois groupes nettement distincts ; les Juifs de Palestine, les Juifs de la Diaspora et les païens, auxquels s'ajoutait encore une catégorie non moins importante par la suite, les païens déjà acquis à la foi juive (craignant-Dieu et prosélytes) au moment de leur contact avec la prédication chrétienne. Vingt années ne s'étaient pas écoulées depuis la mort de Jésus que se posait, pour le fond comme pour les méthodes missionnaires, la question de l'essence et de la cohérence de la foi nouvelle. Cette question fut discutée, sinon définitivement réglée, au « colloque de Jérusalem », en 48 ou 49 (Gal., II, 1-10 ; Actes, XV, 1-34). Ici encore, on préférera la brève notice paulinienne au long récit, farci de discours de grands personnages, que présentent les Actes. On retiendra trois éléments. Tout d'abord, Paul, pas plus que la première fois, ne se présenta point à Jérusalem en accusé, encore moins en quémandeur d'une autorisation quelconque, mais, fort d'une « révélation » (Gal., II, 2), il « exposa » (ibid. ) l'Évangile qu'il prêchait et qu'illustrait à ses côtés Tite, un chrétien d'origine païenne. En deuxième lieu, les colonnes de la communauté jérusalémite - Jacques, Pierre et Jean - « reconnurent la grâce » qui avait été accordée à Paul (la grâce de l'apostolat non celle, présupposée, du pardon) et, plus particulièrement, la responsabilité de la mission chez les païens. En troisième lieu, le récit paulinien, sans doute plus réaliste que celui des Actes, ne fait pas état d'une décision de l'Église entière de Jérusalem ; il mentionne même avec insistance l'intervention de « faux frères », qui « épiaient la liberté que nous avons en Jésus-Christ » (Gal., II, 4), et auxquels Paul dut résister. Il restait donc dans l'Église de Jérusalem un groupe de « judaïsants » intraitables qui, malgré l'accord scellé entre Paul et les « colonnes », n'allait pas tarder à se manifester.

C'est ce qui arriva à Antioche, où Paul et Barnabas poursuivaient et élargissaient leur activité. On place généralement à ce moment le voyage missionnaire à l'île de Chypre, à Perge en Pamphylie, Antioche de Pisidie, Iconium, Lystres et Derbé, voyage que les Actes (XIII et XIV) situent avant la rencontre de Jérusalem. De retour à Antioche, les missionnaires y trouvèrent Pierre : « Il mangeait avec les païens » (Gal., II, 12), conformément aux décisions prises au colloque. Mais, de mystérieux personnages étant venus de Jérusalem (étaient-ils envoyés par Jacques ?), « on le vit s'esquiver et se tenir à l'écart » (Gal., II, 12), ce qui provoqua une violente intervention de Paul et des difficultés avec Barnabas, son compagnon de toujours. Cet incident d'Antioche, que les Actes se gardent bien de raconter, montre à quel point l'entente était encore fragile et comment Paul, bien loin de ne se battre que sur le plan des idées, entendait que le comportement et l'organisation des Églises correspondissent à la « vérité de l'Évangile » (Gal., II, 5).

Sur la suite des entreprises missionnaires de Paul, on peut être bref, car les données du livre des Actes se font plus précises et peuvent être corrigées par ce que Paul lui-même dit de son activité dans les lettres qu'il écrivit à ses Églises. Repartant d'Antioche avec Silas, après un nouveau conflit personnel avec Barnabas (Actes, XV, 36-40), Paul visita d'abord les communautés déjà prospères de Syrie et de Cilicie. Puis il gagna Derbé et Lystres où il fit la connaissance d'un « disciple » (sans doute un chrétien), « fils d'une femme juive et d'un père grec » (Actes, XVI, 1), qu'il circoncit et qui devait devenir, avec Tite, un de ses principaux collaborateurs. C'est mal comprendre Paul que de lui refuser la liberté d'avoir circoncis Timothée. Sa polémique contre la circoncision, qui allait remplir l'Épître aux Galates, ne s'adressait qu'à ceux qui en faisaient un préalable du salut. Au colloque de Jérusalem, Paul se devait de refuser de faire circoncire Tite ; à Lystres, pour des raisons pratiques que les Actes ne rapportent peut-être pas exactement, il pouvait circoncire Timothée. Poussant jusqu'en Galatie, Paul y fonda des Églises qui devaient par la suite lui donner les pires inquiétudes ; celles-ci expliquent la polémique acerbe de l'Épître aux Galates, si précieuse pour la connaissance de la vie et de la pensée de l'apôtre. Il est curieux que, mentionnant cette « traversée » de la Galatie, les Actes ne fassent aucune mention des Églises que Paul y laissa (Actes, XVI, 6). Descendant à Troas, Paul et ses compagnons gagnèrent Philippe où la fondation de l'Église donne de nouveau matière à un récit coloré (Actes, XVI, 11-40), partiellement confirmé par les billets contenus dans l'Épître aux Philippiens. Puis ce furent les péripéties de Thessalonique, de Bérée, d'Athènes et, enfin, la fondation de la très importante communauté de Corinthe, que l'on connaît mieux que toutes les autres grâce à la correspondance recueillie dans les deux Épîtres aux Corinthiens. C'est à Bérée ou à Corinthe que commença l'activité littéraire de Paul ou, du moins, la brève période de huit à dix ans pendant laquelle il écrivit toutes les lettres qui nous sont parvenues. Bien que, sur ce voyage extraordinairement fécond, le récit des Actes soit sans doute schématique, on peut apercevoir que l'apôtre eut affaire aux trois groupes d'hommes mentionnés plus haut : des Juifs demeurés strictement attachés à leur religion, et par là opposés à Paul, des Juifs hellénisés plus ouverts à la prédication évangélique, et des païens, ou des païens déjà sympathisants ou même convertis au judaïsme (et donc circoncis).

Derniers voyages et captivité

Après être resté « assez longtemps » à Corinthe (Actes, XVIII, 18), Paul regagna Antioche en passant par Éphèse, mais il est peu probable qu'il vint à Jérusalem (Actes, XVIII, 22). Puis il entreprit ce qu'on appelle maladroitement son troisième et dernier grand voyage : « Après avoir parcouru les hautes provinces de l'Asie » (Actes, XIX, 1), il réapparut à Éphèse où s'ouvrit pour lui la période la plus agitée et la plus féconde de sa vie (53 à 55). Au travers de dangers qu'on discerne mal, il annonça l'Évangile, fit face à des oppositions féroces et variées, écrivit des lettres enflammées (les Épîtres aux Galates, aux Corinthiens ; des billets aux Philippiens ; ce petit joyau de tendresse et de fermeté qu'est l'Épître à Philémon). Puis, dévoré d'inquiétude au sujet de l'Église de Corinthe, il y envoya successivement Timothée et Tite, non sans y avoir fait lui-même une apparition dramatique. C'est le lieu de citer l'évocation lyrique, et polémique, qu'on trouve de ces incessants tracas dans la IIe Épître aux Corinthiens (XI, 26-29). En s'excusant de parler de lui-même, mais puisqu'on lui oppose à Corinthe des gens qui ont souffert comme « ministres du Christ », il précise : « Souvent en danger de mort, cinq fois j'ai reçu des Juifs quarante coups de fouet moins un, trois fois j'ai été battu de verges, une fois j'ai été lapidé, trois fois j'ai fait naufrage, j'ai passé un jour et une nuit dans l'abîme [...]. J'ai été dans le travail et dans la peine, exposé à de nombreuses veilles, à la faim et à la soif, à des jeûnes multipliés, au froid et à la nudité. Et, sans parler d'autres choses, je suis assiégé chaque jour par les soucis que me donnent toutes les Églises. Qui est faible, que je ne sois faible ? Qui vient à tomber, que je ne brûle ? »

Quittant précipitamment Éphèse, Paul se dirigea vers Corinthe par la Macédoine, où lui parvinrent de meilleures nouvelles de la situation en Achaïe. « Il se rendit en Grèce, où il séjourna trois mois. » Cette brève mention des Actes (XX, 3) ne laisse en rien imaginer que c'est pendant ce séjour à Corinthe que Paul, en route pour Jérusalem et déjà résolu à passer par Rome pour gagner l'Espagne (Rom., XV, 23-24), dicta l'Épître aux Romains, la plus importante de ses lettres. C'est une réflexion de grande envergure sur la destinée des nations, « maintenant » appelées à recevoir l'Évangile, « puissance de Dieu pour quiconque croit » (Rom., I, 16). En ce moment de sa vie, Paul était mieux placé que jamais pour se laisser interroger par le spectacle des peuples innombrables rassemblés dans l'Empire et donc comprendre la possibilité donnée à tout homme, quel qu'il soit, d'hériter du salut « par la foi, afin que ce soit par grâce » (Rom., IV, 16). Mais il avait aussi un souci plus immédiat : la collecte pour les frères de Jérusalem, non seulement oeuvre charitable, mais témoignage de l'unité toujours menacée des Églises du Christ. Comme toujours, l'apôtre associe intimement, dans sa réflexion et dans ses lettres, les aspects matériels de la vie des Églises et le sens théologique qu'ils revêtent : « Présentement, je vais à Jérusalem pour le service des saints [c'est-à-dire des chrétiens de Jérusalem]. Car la Macédoine et l'Achaïe [nomenclature typique par provinces] ont bien voulu s'imposer une contribution [littéralement une participation de solidarité] en faveur des saints de Jérusalem, qui sont dans la pauvreté. Elles l'ont décidé, mais elles le leur devaient. Car si les païens ont participé [littéralement ont été rendus solidaires] à leurs biens spirituels [allusion à l'Église mère de Jérusalem, d'où l'Évangile s'est répandu dans le monde], ils doivent subvenir également à leurs besoins matériels. Quand donc j'aurai terminé cette affaire et leur aurai remis officiellement cette collecte [littéralement : leur aurai scellé ce fruit], j'irai en Espagne en passant chez vous » (Rom., XV, 25-29).

On sait que Paul aboutit bien à Rome, mais à travers des événements plus périlleux encore que ceux qu'il entrevoyait (Rom., XV, 30-32). Le récit des Actes, pour cette dernière étape, paraît décidément trop édifiant (XXI-XXVIII) ; mais, pour l'essentiel de l'itinéraire et des faits, il doit faire écho à des sources non dénuées de solidité. Curieusement, hormis l'allusion contenue dans XXIV, 17, il ne fait aucune mention de la collecte ; sans doute cette affaire d'argent paraît-elle à l'auteur de ce livre indigne des motivations spirituelles de l'apôtre auxquelles il s'attache tout au long de sa narration. A son arrivée à Jérusalem, malgré l'accueil et les précautions de Jacques, Paul fut immédiatement plongé dans un bain de violence. Manifestement, comme dix ans plus tôt au colloque, l'Église mère était divisée à son sujet. Très intéressante est la mention, sans doute exacte, que ce sont « des Juifs d'Asie » (Actes, XXI, 27) qui ameutèrent la foule contre lui ; ils ne pouvaient lui pardonner de faire des païens, non des prosélytes du judaïsme, mais des chrétiens incirconcis. Protégé, c'est-à-dire arrêté par la police romaine, Paul fut transféré à Césarée où il attendit pendant près de deux ans d'être entendu par le gouverneur Felix et son successeur Porcius Festus, qui fit droit à sa requête de citoyen romain d'être entendu à Rome ; l'apologétique pro-romaine des Actes le montre là un peu trop confortablement installé « dans une maison qu'il avait louée » (Actes, XXVIII, 30), bien que les prisons antiques aient été souvent plus humaines, et plus perméables aux visites, que ne le sont les pénitenciers actuels. Le récit des Actes lui-même fait allusion à un procès et à une condamnation capitale, non immédiate mais certaine, qu'on peut situer au début de l'an 60 (Actes, XX, 22 et suiv. ; XXI, 10 et suiv.). Vers les années 96, l'Épître de Clément aux Corinthiens  fait plus qu'une allusion à cette mort violente, en y associant celle de Pierre : « C'est par suite de la jalousie et de la discorde [maux que Clément combat à Corinthe, et qui jouèrent un si grand rôle dans la destinée de l'apôtre] que Paul a montré comment on remporte le prix de la patience. Chargé sept fois de chaînes, banni, lapidé, devenu un héraut en Orient et en Occident, il a reçu pour sa foi une gloire éclatante. Après avoir enseigné la justice au monde entier, atteint les bornes de l'Occident, accompli son martyre devant ceux qui gouvernent, il a quitté le monde et s'en est allé au saint lieu, illustre modèle de patience. » Du style ampoulé de Clément on peut déduire qu'il n'apprend rien aux Corinthiens ; il rédige un morceau de rhétorique sur un sujet connu. Les mots « atteint les bornes de l'Occident » pourraient faire penser que l'apôtre a pu réaliser son projet d'atteindre l'Espagne avant de mourir (Rom., XV, 28). Mais aucun indice sûr ne confirme cette hypothèse, ni dans les Actes, ni dans les Épîtres pastorales (fin du Ier siècle), ni ailleurs. Paul a disparu dans l'ombre.

3. Esquisse théologique

Une pensée en mouvement

Dans l'activité débordante de Paul et dans les sujets de tous genres abordés par ses lettres, est-il possible de discerner une ligne, une motivation cohérente ? On a tout fait de Paul, y compris le destructeur du message de Jésus. Pour répondre à cette question, il faut d'abord relever un fait que l'esquisse biographique a peut-être déjà fait remarquer. Dans son action comme dans sa pensée, Paul ne crée pas ex nihilo . La foi au Christ l'a précédé, et même dans son orientation universaliste, principalement chez les « hellénistes ». A Damas puis surtout à Antioche, Paul a été accueilli dans une vie communautaire, liturgique et théologique certes non encore hiérarchiquement instituée, mais déjà fort riche. On trouve dans ses lettres de nombreux textes que l'analyse littéraire n'hésite pas à tenir pour pré-pauliniens (par exemple, I Cor., XV, 3-6 ; I Cor., XI, 23-26 ; Phil., II, 5-11 ; Rom., I, 2-6 et même peut-être le fond de Rom., III, 21-30, où l'on reconnaît le programme théologique paulinien) ; et ces textes sont capitaux. Quand Paul dit qu'il a « reçu du Seigneur » ce qu'il a enseigné aux Corinthiens (I Cor., XI, 23), il ne fait pas allusion à une communication individuelle du Ressuscité ; il veut dire que ce qu'il a reçu de ses devanciers (Églises, autres apôtres, trésor anonyme liturgique et kérygmatique), il se l'est approprié comme venant du Seigneur lui-même agissant dans son Église. Les textes cités plus haut montrent bien le comportement de Paul à l'égard de ce trésor traditionnel : bien loin de le transmettre mécaniquement, il le commente, le malaxe, l'applique à des situations concrètes, en insistant sur sa portée polémique et sur ses implications insoupçonnées. On en aura une idée en examinant dans le détail, par exemple, ce qu'il fait du credo primitif dans la Ire Épître aux Corinthiens (chap. XV).

Un autre fait à souligner est la mobilité incessante de cette vie et de cette pensée. Paul « voyage » en théologie autant que sur les mers et sur les routes. Il n'eut jamais pour ambition d'aboutir à des formules satisfaisantes et définitives. Bien que ses lettres fourmillent de formulations originales et synthétiques, son langage demeure incandescent et se modifie à chaque étape de ses voyages missionnaires et de ses polémiques avec les Églises. Ainsi, dans sa lettre aux Thessaloniciens, il se meut encore dans des catégories apocalyptiques juives ; le Christ est celui « qui nous délivre de la colère à venir », c'est-à-dire du jugement à la fin des temps, que Paul tient pour imminent (I Thess., I, 10). Quatre ans plus tard, reprenant les formules traditionnelles, il présente surtout le Christ dans son oeuvre historique, sur la croix ; et il résume sa polémique contre la tentation légaliste, à laquelle succombaient déjà les Églises de Galatie, dans l'exclamation célèbre : « Loin de moi la pensée de me glorifier [de donner un sens à ma vie] en autre chose que la croix de notre Seigneur Jésus-Christ » (Gal., VI, 14). Mais, pendant cette même période éphésienne, dans ses discussions avec les chrétiens de Corinthe, il amorce une réflexion totalement nouvelle sur le thème, central pour des Grecs de l'époque hellénistique, de la puissance divine dans la faiblesse de l'homme. Bien loin d'affirmer simplement, comme le ferait une apologétique de bas étage, que le christianisme seul est source de puissance divinisante, il présente paradoxalement Jésus-Christ, son Église et son apôtre comme « faiblesse de Dieu » pour le salut des hommes (I Cor., I, 17-31). Un dernier exemple de cette mobilité constante, non seulement du langage mais du propos théologique, est fourni par l'Épître aux Romains, dictée à la fin de la crise corinthienne : elle témoigne d'un renouvellement, ou plutôt d'une série de renouvellements presque absolus par rapport aux lettres aux Corinthiens. Dans une première partie, Paul décrit la détresse et le salut de l'homme dans une terminologie juridique qui lui vient de ses origines juives et qui lui est sans doute la plus familière : l'homme est interpellé au jugement de Dieu et en Jésus-Christ, il est gratuitement justifié (Rom., I-IV). Dans une deuxième partie, s'inspirant librement des mystères grecs, Paul montre comment l'homme, par l'Évangile et par la foi, est rendu solidaire du Christ crucifié, c'est-à-dire entraîné dans la mort pour être associé à la vie de Jésus et « vivre pour Dieu » (Rom., V-VI). Dans une troisième partie, la formulation se transforme encore : asservi à la loi, dominé par la chair, l'homme est « maintenant » libéré par l'Esprit (Rom., VII-VIII). Enfin, dans une dernière partie, la pensée embrasse l'histoire de tous les peuples de la terre, montrant qu'Israël, dont « la chute a été la richesse du monde », aura bientôt part au salut avec toute l'humanité (Rom., IX-XI).

L'essence de la prédication paulinienne : la justification gratuite

Cependant, dans cette mobilité foisonnante, on aperçoit, plus ou moins accentué, le sujet constant de la prédication paulinienne. Dire qu'il y est toujours question de Jésus-Christ serait trop facile. Toutes les Églises avec lesquelles l'apôtre a croisé le fer portaient et invoquaient le nom du Christ, comme le montrent les adresses des épîtres. Mais ce n'était pas là pour Paul une garantie de leur fidélité. Dire que Paul fut un grand mystique et que sa théologie rend compte d'une expérience religieuse exceptionnelle est également insuffisant, car, précisément à Corinthe où la mystique charismatique et gnostique fleurissait, Paul s'est employé à ramener l'attention de ses correspondants, non sur ses propres expériences, pourtant bien réelles (II Cor., XII, 1-6), mais sur le Christ historique, c'est-à-dire sur le Crucifié (I Cor., II, 1-5). Affirmer que Paul fut avant toute chose un missionnaire et un constructeur d'Églises n'est, certes, pas faux. Encore faudrait-il déceler la motivation de cette hâte apostolique et constater qu'après les avoir « fondées » ou « plantées » (I Cor., III, 1-19) Paul se préoccupait fort peu d'organiser ses communautés et encore moins d'y instituer des responsabilités hiérarchiques, ou même sacerdotales. On s'étonne, par exemple, que dans ses développements sur l'eucharistie ou sur le baptême il ne fasse jamais allusion à des ministres seuls habilités à présider ces célébrations.

Il est, par contre, un thème qui non seulement est l'objet de développements explicites et nombreux dans les épîtres mais qui, et ceci est significatif, affleure là même où l'on s'y attend le moins. C'est, dans les termes mêmes de l'apôtre, celui de la « justice de Dieu », c'est-à-dire, plus explicitement, la justification de l'homme, par la foi, sans les oeuvres de la loi ; ou encore, avec la référence expresse au Christ, la justification de l'homme, par la grâce de Dieu, en vertu de la rédemption accomplie en Jésus-Christ. De telles expressions se retrouvent au fond de toutes les épîtres, dans de larges exposés polémiques (par exemple : Gal., II et III ; Rom., III-V ; Philipp., III) et au sein de développements qui paraissaient s'orienter vers de tout autres perspectives. Ainsi, lorsque Paul médite sur la destinée de tous les peuples de la terre, brusquement apparaît la figure de l'individu justifié par la foi (Rom., IX, 30 et suiv. ; X, 4-6). S'embarrasse-t-il un peu dans la définition du ministère chrétien, il le présente inopinément comme le « ministère de la justice », c'est-à-dire comme le ministère évangélique qui justifie l'homme, « beaucoup supérieur en gloire » au ministère mosaïque lui-même, lequel donne la mort (II Cor., III, 7-11). Pense-t-il au jugement dernier, il pose la question de la destinée dernière de l'homme en termes strictement juridiques qui, pour lui, peuvent seuls rendre compte de la situation réelle de l'homme : « Qui accusera les élus de Dieu ? », à quoi il répond simplement, fort de sa foi au Christ : « C'est Dieu qui les justifie ! » (Rom., VIII, 33). A l'école de l'Ancien Testament et fidèle à la ligne la plus profonde du judaïsme de son temps, Paul pense donc qu'une seule question est vraiment décisive pour l'homme, c'est celle de sa situation « devant Dieu » (Rom., III, 20 ; I Cor., I, 29). Que tout homme puisse et doive vivre « maintenant » en paix avec Dieu à cause de Jésus-Christ, c'est ce qu'il a voulu maintenir jusqu'au bout, contre toute recherche anxieuse ou prétentieuse de justice propre ou d'autosatisfaction, fussent-elles fondées sur la Loi (comme en Galatie), sur l'expérience de l'Esprit et la connaissance divinisante (comme à Corinthe) ou même sur l'« aliment spirituel » reçu dans les sacrements (I Cor., X, 1-12). A ce sujet, l'ancien pharisien qu'il était savait ce qu'il disait : « Moi aussi, j'aurais sujet de mettre ma confiance en la chair [c'est-à-dire en l'homme, et en l'homme religieux] [...] circoncis le huitième jour, de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin [...], irréprochable quant à la justice de la loi. Mais ces choses qui étaient pour moi des gains, je les ai regardées comme une perte, à cause du Christ. » Son projet de vie, c'est d'être trouvé par Dieu non avec sa propre justice, « celle qui vient de la Loi, mais avec celle qu'on reçoit par la foi au Christ, la justice qui vient de Dieu par la foi » (Phil., III, 8-9).

4. Paul et Jésus

Si tel est le fond de l'entreprise missionnaire et théologique de Paul, comment comprendre sa relation avec Jésus ? Ce qui est évident, d'abord, c'est l'extraordinaire différence de style et de situation entre les récits évangéliques et les épîtres pauliniennes. Deux ou trois ans après la mort de Jésus, Paul se joint à une communauté qui, déjà, reconnaît en Jésus « celui que Dieu a glorifié » (Actes, III, 13). Il est donc inexact d'affirmer que Paul fut le créateur de la foi au Ressuscité en opposant cette foi à la « simple » confiance de Jésus envers Dieu. Si grande qu'ait été l'importance de Paul dans le christianisme naissant, c'est une erreur historique que d'en faire le propagandiste individuel d'idées inédites. D'autre part, c'est également une erreur d'opposer la simplicité des Évangiles aux complications théologiques pauliniennes. Les Évangiles n'ont reçu leur forme définitive que vingt à quarante ans après la mort de Paul. Ce sont des écrits tardifs par rapport aux lettres pauliniennes et leurs conceptions théologiques, pour s'exprimer dans un autre langage que celui de Paul, n'en sont pas moins nourries de la foi au Ressuscité, tributaires de milieux chrétiens postpauliniens, et fort élaborées. Il faut comparer Paul et Jésus à un niveau plus profond : ce qu'ils ont voulu l'un et l'autre - Paul après Jésus, ou plus exactement Paul à cause de Jésus -, n'est-ce pas le même retour en grâce de l'homme séparé de Dieu ? La plus sûre tradition évangélique présente Jésus transgressant les tabous de la religion et de la morale à la recherche de « ce qui était perdu » (Luc, XV, 24), accordant librement et gratuitement sa communion aux réprouvés et aux déclassés (Matth., IX, 10-13), communiquant le pardon de Dieu sans aucun préalable de la part de l'homme, si ce n'est la foi - d'ailleurs pas toujours explicite (Marc, II, 3-12) -, rejeté, non par les mécréants de son temps mais par une élite religieuse prisonnière de ses privilèges traditionnels. Dans des conditions nouvelles, avec des moyens d'un autre ordre, ce qui se passe dans l'action missionnaire et théologique de Paul ne paraît pas différent.

 

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Commentaires

  • Cher Robert paul,

    Je vous suis très reconnaissante pour cette rubrique Ethique et spiritualité 

    que je me réserve d'explorer durant mes vacances de Noël.

    C'est un vrai cadeau de votre part qui donne la teneur que j'apprécie tant sur votre site

    d'Artistes inspirés et fraternels.

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