« Rinaldo » Oratorio en trois actes HWV 7a (1711) de Georg Friedrich Haendel
Livret de Giacomo Rossi, d’après « La Jérusalem délivrée » du Tasse
Avec le pétulant Stefano Montanari à la direction de l’ensemble Il Pomo d’Oro. Avec les admirables solistes Franco Fagioli dans le rôle de Rinaldo, Julia Lezhneva dans le rôle d'Almirena, Karina Gauvin dans le rôle d'Armide, Daria Telyatnikova dans le rôle de Geoffroy, Andreas Wolf dans le rôle d'Argante, Terry Wey dans le rôle d'Eustache.
Sur le plateau, le public belge a pu découvrir Il Pomo d'Oro, un orchestre de musique classique créé en 2012, qui s’est produit à Paris, Londres, Lyon, Barcelone, Genève et qui a toujours eu vocation de travailler pour l'Opéra. Le petit orchestre rassemble une petite vingtaine de musiciens, parmi les meilleurs du monde. Ils travaillent sur instruments d'époque. Ensemble, ils forment un orchestre à l'immense exigence artistique, dans des répertoires extrêmement variés. Quel bonheur de les voir se produire ici, sur la scène du palais des Beaux-Arts de Bruxelles pour interpréter une version concert de l’opéra « Rinaldo ». Tout ce gratin de jeunes artistes fougueux et charismatiques, représente, corps et âme, autant de personnifications d’Amour, Gloire et Beauté!
« Rinaldo » fut sans doute le plus grand succès d’Haendel de son vivant et fait désormais partie des œuvres du musicien les plus représentées au monde. « Rinaldo » est un événement considérable dans l’histoire de l’opéra en Angleterre, une œuvre conçue dès l’arrivée d’Haendel en Angleterre et qui connut dès sa création, un engouement sans précédent. Composé sur un livret reprenant l'épisode de Renaud et de la magicienne Armide, c’est un ouvrage réputé pour ses redoutables difficultés vocales. Mais pas seulement. L’orchestration sublime, nécessite une perception très fine de l’œuvre et une interprétation particulièrement vivante, qui met en relief fraîcheur et justesse, loin de toute afféterie. Ce à quoi s’emploie avec brio, le malicieux Stefano Montanari. L’équilibre de l’ensemble est cohérent et parfaitement organisé, et autorise des débordements d’humeur joyeuse ou parfois moqueuse même! Demandez au claveciniste !
L’intrigue simple et efficace est pleine d’une vitalité qui égaie agréablement le public de la salle Henry le Bœuf. La soirée sera captivante. C’est l'histoire de Goffredo (notre Godefroid de Bouillon), chef des Croisés chrétiens. Ce dernier promet au preux chevalier Rinaldo la main de sa ravissante fille Almirena en cas de conquête de la ville sainte, défendue par le roi Argante, général de l’armée sarrasine ennemie, et par la magicienne Armide, sa cruelle complice. Almirena sera enlevée, et Rinaldo parti à sa recherche, fait prisonnier. Argante tombe amoureux d’Alminera, Armide s’éprend du chevalier, les choses deviennent « compliquées ». La magie d’un sage chrétien aidant, Goffredo et son compagnon d’armes Eustazzio retrouvent les traces des prisonniers, et les arrachent à leur sort.
Les Croisés remportent la victoire, tandis qu’Armide et Argante, réconciliés, acceptent leur défaite. La clémence magnanime pour les anciens ennemis transparait dans un final majestueux. Un vrai conte de fée, ou une histoire de super héros, une histoire à rêver, sur les thèmes ...d’« Amour, Gloire et Beauté ».
Quand le musical prime sur le visuel. La version de concert s’avère un excellent moyen d’explorer plus en profondeur le répertoire lyrique. L’absence d’appui de mise en scène met la musique tout à fait en valeur, puisqu’elle devient seul centre de l’attention.
Mais le sextuor fabuleux des chanteurs de haute volée ne se prive pas de la dimension théâtrale dans les entrées, sorties, et postures dramatiques créées par le compositeur. Un public enthousiaste, s’amuse comme à l’opéra, dialogue avec les artistes par des bravi et des brava très bien placés, et l’on quitte la salle à reculons, après une telle fête de la musique, des chants d'oiseaux et de la félicité.
Car le mot « cœur » reviendra sans cesse comme un mantra dans cet opéra absolument cordial et généreux. Le cœur, siège du courage et de l’amour ou les deux faces d’un même concept d’humanité: pleine, vivante et digne. Une musique qui palpite d’un bout à l’autre et redonne à tous, du cœur à l’ouvrage! Une musique qui appelle à la miséricorde. L’ancien mot pour tolérance et paix.
Production Théâtre des Champs-Elysées
Concert en italien, surtitré en français
http://www.bozar.be/fr/activities/5680-il-pomo-d-oro ;
Le lundi 8 février à 20h00
au Palais des Beaux-Arts
23, rue Ravenstein
1000 Bruxelles
Tél. : 02/507.82.00
Liens:
Daria Telyatnikova http://www.bolshoi.ru/en/persons/opera/2526/
Franco Fagioli http://www.franco-fagioli.info/vita-142.html
Andreas Wolf http://www.andreas-wolf.info/
Julia Lezhneva http://www.julialezhneva.com http://www.terrywey.com
Karina Gauvin http://karinagauvin.com
Terry Wey http://www.terrywey.com
Il Pomo d'Oro http://www.concertsparisiens.fr/rubrique/detail_artiste/il-pomo-doro-riccardo-minasi.html?idArt=57
Commentaires
http://www.crescendo-magazine.be/2016/02/transcendant-haendel/
Karina Gauvin (photo Michael Slobodian)
« Rinaldo » version oratorio
En novembre 1710 Haendel arrive à Londres. En deux semaines il compose « Rinaldo » qui paraît sur la scène du « Queen’s Theatre » à Haymarket, le 24 février 1711 pour 15 représentations. Bien entendu -comme c’est l’usage- les deux tiers des arias sont taillées dans des partitions précédentes, « Almira » (1705), « La Resurrezione » (1708), « Agrippina » (1710) et autres pages composées pour l’Italie. Les meilleurs et plus habiles chanteurs sont recrutés pour la circonstance. Deux castrats, deux sopranos, une contra-alto, une basse et deux personnages (disparus dans l’actuelle production : le magicien chrétien et le Hérault).
Dans ce livret tiré de « la Jerusalem délivrée » du Tasse, le croisé Renaud- Rinaldo amoureux d’Almirène (personnage ajouté), fille du général Godefroy secondé par son frère Eustache, est confronté aux assiégés, le roi sarrazin de Jérusalem, Argant dont l’amante, l’ombrageuse Reine de Damas est la fameuse magicienne Armide. Le Théâtre des Champs Elysées, après avoir programmé des œuvres de Haendel plus tardives, l’une -« Theodora » (mise en scène bien qu’il s’agisse d’un oratorio), puis « Partenope » (opéra en version concert)-, présente cette fois « Rinaldo », un opéra, mais aussi en version concert (!) (probablement en raison du partenariat avec La Monnaie actuellement en travaux).
En lisant les didascalies, on regrette de ne pas assister à l’ apparition fulminante de la magicienne dans un char tiré par des dragons entourée de ses « Furie terribili » puis celle des monstres épouvantables, flammes et fumées, sirènes enchanteresses… Mais quand l’impériale Karina Gauvin surgit en scène dans un envol de voiles mauves pour lancer ses terribles imprécations, arrachant des bras de Renaud sa délicieuse rivale, magnifique de colère, d’éclat et d’humour -lorsqu’elle fait des avances insistantes à l’objet de sa flamme- sa seule présence suffit. Son agilité vocale habite le monde du Merveilleux, s’apprivoise et après péripéties, quiproquos et métamorphoses, se réconcilie et s’unit aux adversaires chrétiens. Rien de nouveau sous le soleil ! Andreas Wolf est un roi sarrazin d’une ample étoffe vocale, capable de souplesse, de nuances et d’émotion aussi bien dans ses airs guerriers (admirable « conversation en musique » voix/trompette ) que dans la veine élégiaque ou amoureuse. Le camp des Croisés est mené avec panache par le contre-ténor argentin, Franco Fagioli (Renaud) qui résume à lui tout seul le trésor de l’art baroque belcantiste : voix curieuse de couleurs et de vibrato dans le medium, pleine et large dans les graves comme dans l’aigu (ici un peu moins sollicité) mais surtout, musicien dans l’âme, sachant orner, varier, dialoguer avec les instruments solistes, s’exposant généreusement à tout instant, investi dans chaque affect, il met de l’incandescence dans un répertoire qui n’existe pas sans elle (à défaut il ne resterait qu’une coquille vide, morne, ennuyeuse). Julia Lezhneva, ange tout droit descendue d’une peinture italienne du Trecento, met un goût sûr et une voix précise, souple, emmiellée au service d’une incarnation fraîche et gracile de la jeune fiancée. Les interprétations exubérantes, charnues voire outrancières auxquelles nous ont habitués nombre de cantatrices dont Cécilia Bartoli qu’admire la jeune Julia, ont plié ces arias fameuses -la Sarabande « Lascia ch’io pianga » (utilisée à 3 reprises au moins dans des œuvres différentes par Haendel)- à l’exhibitionnisme du récital. La soprano russe a ici le mérite de lui restituer un caractère humble, vulnérable ce qui ne l’empêche pas de conclure le Da Capo avec une bien jolie cadence. Son « Augelletti, che cantate » (Petits oiseaux qui chantez) la met aux prises avec un flageolet à l’intonation rétive mais elle surmonte le péril avec vaillance. Le personnage de Godefroy, Général de l’armée des Croisés offre des airs bien trop martiaux à la voix délicate et tendre de Daria Telyatnikova qui peine à se faire entendre mais parvient à charmer au dernier acte déployant sa vraie intériorité et ses moirures dans une aria élégiaque avec le soutien ténu et attentionné de la seule basse continue. Le contre-ténor suisse Terry Wey propose un Eustache bien chantant dont la sobriété met en valeur l’exubérance de son suzerain (Renaud). Le clavecin est à l’honneur d’où, en son temps, le compositeur officiait, se lançant dans de fameuses et étincelantes improvisations. Stefano Montanari qui semble lui aussi échappé d’un tableau médiéval et auquel il ne manque que les poulaines, dirige finement mettant admirablement en valeur chacun des pupitres et sachant renouveler sans cesse l’enchantement de cette longue et toujours variée « conversation en musique » : sublimes enlacements basson-voix, violon-voix, contrastes entre tension et repos, ensembles et solos… deux heures trente de pure beauté musicale, auxquelles le public reconnaissant répond par une vibrante et très longue ovation.
Bénédicte Palaux Simonnet
Paris, Théâtre des Champs -Elysées, le 10 février 2016