Après « Le Roi se meurt » donné l’année dernière au Théâtre des Martyrs, Pietro Pizzuti nous a replongés avec «Rhinocéros » dans l'univers surréaliste et prémonitoire d’Ionesco. Un texte qui pourrait paraître obsolète mais qui semble avoir hélas gagné beaucoup, en pertinence.
Avec la mise en scène fulgurante de Christine Delmotte, une experte de l’imaginaire, Pietro Pizzuti nous livre avec la compagnie Biloxi 48 une sublime interprétation du personnage de Bérenger cet homme très ordinaire qui aime boire un coup de trop. Sans cris, sans violence, avec une retenue étonnante, alors qu’à l’intérieur la révolte de l’acteur fait rage.
Le texte est prémonitoire car dans notre monde qui avait tellement juré d’être meilleur, l’uniformisation des consciences ne cesse de progresser insidieusement : on pense, on parle, on s’habille, on rêve tout pareil. Et l’artiste, le seul à avoir encore quelque velléité de révolte - en vrai comme sur scène - se retrouve seul, devant une armée menaçante de rhinocéros. Et il ne se résigne pas!
Car cette pièce dénonce l'hystérie collective des foules. L’action se déroule dans une petite ville de province soudainement touchée par une épidémie étrange et inquiétante de rhinocérite : les habitants commencent un à un à se transformer en rhinocéros, « cette bête immonde » ! Un phénomène de métamorphose qui avait déjà affecté les malheureux compagnons d’Ulysse soumis au pouvoir de Circé. Si vous y réfléchissez un peu, le discours politique se rhinocérise à vue d’œil, il perd la tête et se répand avec bonheur au cœur d’une jungle moderne investie par la finance. D’ailleurs vous voyez encore des épiceries quelque part?
Ionesco en profite pour couper court aux syllogismes et démontrer en passant que la logique est dangereuse et permet d'énoncer des vérités incohérentes telles que "Socrate est un chat". Rires. Une scène percutante et un admirable morceau de raillerie! Tragique et absurde font excellent ménage. M.Papillon, Mme Boeuf, M.Dudard ne sont-ils pas déjà au bord de l’animalité? Exquises interprétation des comédiens alertes et bien vivants ...jusqu’à leur petite mort!
Contemplez l'allégorie: voilà les valeurs humanistes, si péniblement accréditées, piétinées par mille pachydermes en folie. Feu l’honnête homme, l’être pensant et aimant est en train de fondre et de se retrouver ligoté dans une armure de cuir vert-de-gris, le dos courbé comme un ouvrier de la mine, le regard égaré dans le sol au lieu de le tourner vers le ciel! C’est l’érosion de l’être, que Pietro Pizzuti combat pied à pied, avec conviction, par le jeu du corps et du verbe, dans un crescendo dramatique très bien dosé.
Ami, entends-tu...?
Avec Christophe DESTEXHE(Dudard et le serveur), Fabrice RODRIGUEZ (Jean) , Aurélie FRENNET ( L’épicière et Madame Bœuf) , Gauthier JANSEN (Le logicien et Botard), Julia LE FAOU (La ménagère et la femme de Monsieur Jean) , Camille PISTONE ( L’épicier, le pompier et Monsieur Jean) , Laurent TISSEYRE (Le vieux monsieur et Monsieur Papillon) Lumières : Nathalie BORLEE | |
Mise en scène et scénographie de Christine DELMOTTE | |
un spectacle de Cie Biloxi 48 http://www.theatredesmartyrs.be/pages%20-%20saison/grande-salle/piece4.html |
Commentaires
7 octobre: dernier jour! http://www.theatrezmoi.be/rhinoceros
Dernière semaine...
Dernière semaine pour découvrir RHINOCEROS dans la grande salle du Théâtre des Martyrs...
Mardi & samedi à 19h00
Mercredi, jeudi & vendredi à 20h15
Infos et réservations :
02 223 32 08 - http://theatre-martyrs.be/
Photos : Nathalie Borlée
Article du Focus Vif, 15.09.2017.
"D’abord il y a la voix, de plus en plus rauque, et une migraine tenace. Il y a aussi la peau, de plus en plus verdâtre, de plus en plus dure. Puis une bosse, qui enfle sur le front jusqu’à devenir corne. Tels sont les symptômes de la « rhinocérite », maladie inventée par Eugène Ionesco, maître du théâtre de l’absurde, pour sa pièce montée à Düsseldorf en 1959, devenue un classique et reprise aujourd’hui dans la version de Christine Delmotte.
Employé dans une maison de publications juridiques, Bérenger y assiste impuissant à l’épidémie qui transforme les êtres humains en périssodactyles piétinant tout sur leur passage. Ionesco utilise cette métaphore pour dénoncer la montée des totalitarismes, lui qui avait été marqué par l’essor, dans les années 1930, du mouvement nationaliste la Garde de fer dans son pays natal, la Roumanie. « J’ai vu des gens se métamorphoser. J’ai constaté, j’ai suivi le processus de la mutation, je voyais comment des frères, des amis devenaient progressivement des étrangers », déclara-t-il dans une interview en 1968.
Mais dans le contexte des années 1950, à Paris, où il s’est définitivement installé après la Seconde Guerre mondiale, c’est aussi contre la montée du communisme qu’il écrit Rhinocéros. (...)"
Estelle SPOTO
RHINOCEROS
À partir de mardi 19.09 et jusqu'au 07.10 dans la grande salle du Théâtre des Martyrs.
Infos et réservations :
http://theatre-martyrs.be/…/76A9D26C-A5E0-F0C3-6788-8E74FC…/
FARCE CORNUE
Les habitants d’une ville sont confrontés à l’apparition de rhinocéros. Que faire, comment réagir ? Ils se transforment tous, petit à petit, en rhinocéros. Métaphore cinglante de la montée des totalitarismes, la pièce reste en résonance toujours bouleversante des temps que nous traversons.
Tout commence donc comme un rêve, le rêve de Bérenger. Il regarde son monde et ses bizarreries avec une certaine distance. Une femme possède un chat, qui meurt, puis la femme devient ce chat. Tout est permis dans les rêves, notre imagination n’a plus de limites. « Je préfère à l’expression absurde celle d’insolite » nous dit Ionesco.
Dans ce rêve raconté, la chorégraphie des rhinocéros est violente, agressive : gum-boots, body-clapping, peinture corporelle. Ces mouvements, ces couleurs et ces sons d’ensemble nous racontent « cette nature qui A Ses lois », comme le dit Jean, avant de devenir rhinocéros. « La morale est antinaturelle » ajoute-t-il en braillant. Il veut remplacer la loi morale par la loi de la jungle. Bérenger lui répond : « Ré échissez, voyons, vous vous rendez compte que nous avons une philosophie que ces animaux n’ont pas, un système de valeurs irremplaçable. » Cette opposition nature/culture est constante dans la pièce. « Nous sommes des individus, pas des masses », nous rappelle Ionesco.
Christine DELMOTTE
Distribution
JEU Isabelle De Beir, Christophe Destexhe, Aurélie Frennet, Gauthier Jansen, Julia Le Faou, Pietro Pizzuti, Fabrice Rodriguez, Salim Talbi, Laurent Tisseyre
LUMIÈRES Nathalie Borlée
ASSISTANAT À LA MISE EN SCÈNE & VIDÉO Fanny Donckels
BANDE SON Fabian Finkels
MOUVEMENTS Zoé Sevrin
COSTUMES Camille Flahaux
RÉGIE GÉNÉRALE Antoine Vilain
SCÉNOGRAPHIE Noémie Vanheste, Christine Delmotte
MISE EN SCÈNE Christine Delmotte
COPRODUCTION Compagnie Biloxi 48 | Théâtre en Liberté
L'humain qui se sent perdu trouve sa place dans un groupe en quête de domination par la force.
Ce conformisme va de pair avec une déshumanisation sans retour.
Quand on adapte une pièce qui a déjà été adaptée, comment fait-on ?
Je travaille beaucoup avec des pièces contemporaines, où je dois tout inventer. Sur les pièces classiques que je monte, je regarde ce qui a été fait, je m'adapte à ce que je ressens, à ce que je veux raconter. Souvent je me rends compte que ce ne sont pas les raisons pour lesquelles j'ai voulu monter la pièce. Je vais donc faire autrement. En général c'est très différent parce que le message n'est pas le même nécessairement, en tout cas la dramaturgie n'est pas la même.
https://belgiantouch.blogspot.be/2016/01/je-vais-donc-faire-autreme...
C’est le Ionesco révolté et lucide - plus que le maître de l’absurde si souvent salué -, le petit Eugène tiraillé entre la Roumanie de son père et la France de sa mère, entre les deux langues de ses racines, le jeune professeur de français inquiet de la montée des totalitarismes, l’indigné devant la mauvaise foi des uns et le silence coupable des autres, c’est le fabuliste dénonciateur que salue Christine Delmotte aux Martyrs.
C’est aussi une parabole pour notre temps troublé que propose la Cie Biloxi 48 - qui montait naguère "Le Roi se meurt" avec, déjà, Pietro Pizzuti. Formidable funambule, magistral en monarque, l’acteur imprime autant de noblesse désenchantée au Bérenger de "Rhinocéros" (1959), cet homme frêle et décoiffé qui boit pour oublier qu’il a peur, pour se retrouver lui-même, ce modeste employé - un peu pitre, un peu amoureux transi - qui se muera en ultime résistant alors que tous autour de lui auront l’un après l’autre succombé à la rhinocérite. Cette petite société (la bourgade et ses figures, le bureau et sa hiérarchie) est campée par Isabelle De Beir, Christophe Destexhe, Aurélie Frennet, Gauthier Jansen, Julia Le Faou, Camille Pistone, Fabrice Rodriguez et Laurent Tisseyre.
Depuis qu’un dimanche, à l’heure du marché, un pachyderme a chargé dans les rues écrasées de soleil, des peaux s’épaississent, verdissent, des fronts se font moins lisses, des cornes surgissent. La logique, elle, recule, ou du moins se tord pour expliquer l’épidémie.
Nature/culture
Sans surprise, la grande salle des Martyrs s’est, du parterre au balcon, peuplée de lycéens qui, outre une œuvre phare du XXe siècle - genres mêlés, variations de ton -, découvrent une forme habillée de très peu d’accessoires, sinon descendus des cintres, d’un jeu incorporé, d’une mécanisation assumée. Quelques projecteurs mobiles et des lampes miniatures sculptent l’espace et les corps (lumières de Nathalie Borlée), chocs, pas et cavalcades font vibrer l’air (mouvements de Zoé Sevrin, sons de Fabian Finkels) : voici comment naît sous nos yeux un troupeau de bêtes sauvages, puissante allégorie de l’opposition nature/culture.
Sommes-nous tous des rhinocéros ? La question demeure et se posera lors d’une rencontre-débat, samedi à l’issue de la représentation, dans le cadre de l’Ecole des spectateurs, avec Amnesty International et la metteuse en scène.
by my favourite Japanese friend! Can't resit!