Mais quel sujet terriblement sérieux et actuel que la survie des opéras, théâtres et arts vivants dans un monde culturel de plus en plus étranglé par les réalités économiques! Quant course au succès, il n'y a pas affaire plus sérieuse, n'est-ce pas?
Si à notre époque, contrairement au 18e siècle, on fait l’économie de querelles de bouffons opposant le noble opéra séria aux morsures comiques de l’opéra qui se veut sédition, le discours de l’imprésario dans « L’Opera Seria » de Florian Léopold Gassmann, est un vrai cri d’alarme pour que l’art survive, …au propre comme au figuré. Voilà la splendide voix de basse de Fallito (Markos Fink), interprétant un directeur de théâtre que l’on nomme impresario en italien. Il est cerné de toutes parts par ses chanteuses chamailleuses, imbues de leur virtuosité musicale soutenues par leurs mères - tonitruantes vipères heureusement muettes*. Il est aux prises avec un librettiste flagorneur et intransigeant sur la moindre virgule (Delirio/ Pietro Spagnoli ), et avec un compositeur tout aussi prétentieux, amoureux des moindres bémols de ses chansons enflées de fioritures (Sospiro/ Thomas Walker). Il doit subitement faire face à (Passagallo/ Nikolay Borchev) et une invasion de danseurs de ballet qui lui tombent du ciel de Paris. Et comment gérer tout cela? On vous recommande le duo de la ballerine Hanna Al-Bender et son compagnon Maxime Melnik.
La vie d’artiste dans les coulisses nous est dévoilée à grand renfort de persiflage, de huées et de moqueries trempées dans le fiel ou le miel. La jalousie, l’hypocrisie, l’envie, et autres péchés capiteux s’emparent des protagonistes lâchés sur le plateau : ils répètent un spectacle devant être joué à la tombée du jour! Côté coulisses, elles se valent toutes! Les coulisses du pouvoir, celles des bureaux au faîte des gratte-ciel, celles des salles de presse, de la salle des profs (de la basse-cour à l’université), celles des couloirs d’hôpitaux, et autres réseaux de chasse gardée n’ont sans doute rien à leur envier. Les mêmes travers et les mêmes maux assaillent tous les hommes et les femmes de notre planète sans exception. La portée est universelle.
Ce directeur bourgeois inquiet (Markos Fink) qui aimerait bien dormir sur ses deux oreilles et se retrouve à toute heure sorti de son luxueux plumard, il nous semble bien pathétique, coincé entre sa peur panique de la dépense artistique et celle de l’ombre de la faillite. Mais vénal, empoisonné et véreux comme tous ceux qui ont quelque pouvoir, il quittera en douce la Citadelle du théâtre, comme un fieffé coquin, abandonnant tout ce beau monde à ses sortilèges, en filant à l’anglaise avec la caisse, comme un vulgaire saltimbanque de villes du Far West. Nul n’en doute: charité bien ordonnée commence par soi-même.
Nous avons donc aimé tout d’abord la musique doublement parodique, revisitée par René Jacobs à la tête du B’Rock Orchestra : des sommets d’humour et de finesse, des timbres délicats, des sonorités de rêve, parfois troublées par des salves de caricature et d’harmonies comiques ou de chaos organisé. Le chef d’orchestre s’amuse énormément car le rire a déjà fait son nid au cœur de la partition et il se prend même à chanter pour redonner le La à ceux qui l'ont perdu ! Le texte du livret de Calzabigi pétille de faconde extravagante et de perfidie. Les couleurs lagunes prédominent dans ce carnaval raffiné et intelligent qui opère sur plusieurs plans, ce qui scéniquement donne de la magie aux glissements de décors, et les chaises sont souvent musicales. Ajoutons différentes couches de ridicule qui se superposent les unes aux autres : tantôt les noms sot-grenus des personnages et la gestuelle féroce gesticulée à souhait, tantôt la nature grotesque des admirables costumes de travestis, mais aussi, la mise au point hilarante des voix de fausset si savamment imitées par les vedettes de vocalises en particulier, le ténor Mario Zeffiri et Alex Penda, la Détonnante Sonatrilla. Ajoutez à cela la critique du genre épique poussée à son comble dans le troisième acte grandiose. Et quelle mise en scène éblouissante pour toute cette foireuse entreprise! A souligner, l’interprétation vocale ardente du librettiste Delirio par de Pietro Spagnoli, et celle de Porporine par l’exquise Sunhae Im, si à l’aise en dauphin qui nargue les thons dans la lagune, une scène inoubliable.
Mais bien sûr nous avons adoré l’inénarrable scène de l’émeute live - de la pure perversion - qui finit par faire sorti de leurs gonds les spectateurs les moins turbulents! On se plaît même à imaginer, que lors des répétitions du spectacle, l'un ou l'autre différend cocasse a pu survenir entre René Jacobs, l’illustre oreille, et le metteur en scène, Patrick Kinmonth flanqué de son comparse dramaturgique Olivier Lexa, ...nécessitant soudain la médiation expresse du chef du théâtre en personne (Peter De Caluwe). sans pour autant aller jusqu'à mettre la clé sous le paillasson, bien sûr! Alors, la mise en abîme si bien orchestrée, serait absolument parfaite!
Crédit photos: © Clärchen und Matthias Baus
* Magnus Staveland, Stephen Wallace et Rupert Enticknap
MUSIC: Florian Leopold Gassmann (1729-1774), LIBRETTO:
Ranieri de’ Calzabigi (1714-1795) & Pietro Metastasio (or Trapassi, 1698-1782),
commedia per musica ‘Opera seria’ (1796).
CAST: Markos Fink (bar-b, Fallito); Pietro Spanioli (bar, Delirio); Thomas Walker (ten, Sospiro); Mario Zeffiri (ten, Ritornello & Nasercano); Alexandrina Pendatchanska (sop, Stonatrilla & Rossanara); Sunhae Im (sop, Porporina & Rana); Robin Johannsen (sop, Smorfiosa & Saebe); Nikolay Borchev (b, Passagallo); Magnus Staveland (ten, Bragherona); Stefen Wallace (ten, Befana); Rupert Entiknap (ct-ten, Caverna);
Hanna al-Bender, Maxime Melnik and Kamil ben Hsaïn-Lachiri dancers;
Members of La Monnaie Symphonic Chorus; B’Rock Orchestra & Members of La Monnaie Symphony Orchestra; René Jacobs cond.
Patrick Kinmouth stage dir., set, cost.; Olivier Lexa dramat.; Fernando Melo choreogr.; Andreas Grüter light.
http://www.lamonnaie.be/fr/opera/573/L-Opera-Seria
DATES: 09, 11, 12, 14, 16 and 17 Feb. 2016
TICKETS :
rue des Princes 14 / B-1000 Brussels .
tel.: +32 2 2291211 / fax: +32 2 2291384
e-mail: tickets@lamonnaie.be
online ticketing: www.demunt.be/nl/tickets/573/1975/L-Opera-Seria
Box office ‘Cirque Royal’:
rue de l’Enseignement 81 / B-1000 Brussels (Mon-Fri 10:30-18:00, or one hour before a performance).
tel.: +32 2 2182015
online ticketing: https://cirqueroyal.ticketmatic.com/addevent.php?a=zCk31bTsqxQ&e=l-kroaoqLE4&s=80cswBbInpo&l=nl
Commentaires
Cette saison (re)vivez sur ARTE Concert pas moins de six productions de la Monnaie : « L’Opera Seria » et « Béatrice et Bénédict » sont maintenant disponibles en ligne. — http://bit.ly/2bdOu0S
With Robin Johannsen, Sunhae Im and Alex Penda at Cirque Royal
Malgré l’absence du castrat Gargana, la répétition générale a lieu au deuxième acte, le plus amusant et le plus enlevé des trois, à lui seul une véritable aubaine pour un metteur en scène. Calzabigi épingle en une heure tous les défauts inhérents au genre, notamment l’air de comparaison, qui évoque des dauphins et des thons, ou l’invraisemblable et interminable air du suicide que répète Détonante, qui a besoin d’une coupe pour se mettre en situation – faute de celle-ci, elle utilisera un encrier. Quant à la première, elle se tient au troisième acte. Dans le public, des spectateurs expriment leur mécontentement, certains quittant leur siège en pestant contre l’amateurisme des artistes et les boursouflures de l’ouvrage – même le directeur général de la Monnaie se prête au jeu. La représentation, ridicule et grandiloquente, cesse donc abruptement après seulement l’Ouverture et trois airs. Dans les coulisses, la troupe se dispute de nouveau suite à cet échec, les mères des trois divas, Caverna, Befana et Bragherona, se mêlant, elles aussi, à cette empoignade. Soudain, le compositeur annonce que Fallito a pris la fuite avec la caisse et tous maudissent les imprésarios et leurs descendants.
La scénographie de Patrick Kinmonth, qui a conçu, il y a un an, les décors et les costumes d’Alcina et de Tamerlano, exploite bien le potentiel du Cirque royal: deux tréteaux, séparés d’une passerelle, de part et d’autre de laquelle se répartit l’orchestre, la représentation avortée d’Oranzebe se déroulant sur celui du fond, dans un décor de carton-pâte très ordinaire. Vive et précise, conférant beaucoup de justesse aux situations et de relief aux personnages, la direction d’acteur anime cette comédie sans vulgarité, l’humour restant le plus souvent subtil, en tout cas jamais vulgaire, un piège dans lequel maint metteur en scène moins inspiré serait probablement tombé. La toute fin, cependant, trop excessive, s’essouffle et se disperse.
La Monnaie, qui a pu compter sur l’implication de nombreux spectateurs, amenés à siffler, à huer, à invectiver les artistes sur scène au troisième acte, a réuni, pour l’occasion, une distribution soudée, chacun se montrant aussi bon chanteur que comédien. Il faudrait tous les citer mais quelques-uns se distinguent grâce à leur implication et à leur virtuosité, Gassmann n’épargnant pas certains rôles auxquels échoient de redoutables airs: Mario Zeffiri (Ritornello), Pietro Spagnoli (Delirio), Marcos Fink (Fallito), Alex Penda (Stonatrilla) et Sunhae Im (Porporina) composent de savoureux personnages et jouent la carte de l’ironie sans trivialité, certains faisant preuve d’un humour ravageur. Impayables aussi, les trois mères, deux d’entre elles barbues comme Conchita Wurst, et qui passent une bonne partie de leur temps dans les loges disposées autour du plateau.
Le mérite de cette redécouverte revient à René Jacobs qui explique, dans les copieuses notes de programme, avoir d’emblée été séduit par le livret, avant de prendre connaissance de la musique, déjà exécutée, il y a plus de dix ans, à Schwetzingen, Berlin et Paris – le chef a effectué une révision de l’ouvrage mais le programme n’apporte pas d’informations à ce sujet. Il lui arrive même d’en remontrer aux chanteurs ou de laisser la baguette à Sospiro, pour un résultat, évidemment, calamiteux. Sa direction experte convainc du potentiel de l’ouvrage, les musiciens de B’Rock, renforcés par des membres de l’Orchestre de la Monnaie, se prêtant au jeu de bonne grâce, certains se montrant même facétieux, notamment lors d’un concours avec Porporina pour jouer à produire les plus haut aigus. Il y aura encore d’autres productions d’ici le retour au théâtre mais celle-ci deviendra probablement l’emblème de la très originale saison «hors les murs» de la Monnaie.
Sébastien Foucart
http://www.concertonet.com/scripts/review.php?ID_review=11315
Allons rire à L'opéra!
http://www.lecho.be/culture/musique/Allons_rire_a_l_opera.9731367-3...
"Musically, one sensed a great camaraderie within the cast. It must have helped that some of the singers had previously sung with Jacobs in the Champs-Elysées production, including sonorous baritone and natural comic Pietro Spagnoli (Delirio)..."
© Clärchen & Matthias Baus
https://bachtrack.com/es_ES/review-gassmann-opera-seria-monnaie-bel...
Borrowed from Gérald Philippe:
L'opera seria with La Monnaie. (Despite its name, this is a comedy! ) Photos: Robin Johannsen)
René Jacobs revient à L’Opera Seria de Gassmann qui avait fait l’effet d’une bombe lors de sa reparution le 1er avril 2003 sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées – la production reprise alors venait de Schwetzingen et datait de 1994.
Mais qui est ce compositeur dont la postérité n’a retenu qu’un opéra parmi les vingt et un qui nous sont parvenus ? Florian Leopold Gassmann est né en Bohême, à Brüx, le 3 mai 1729. On ne sait pas grand-chose de son enfance, sinon qu’il fut comme Gluck élève des Jésuites à Komotau, et qu’il fit jeune homme le voyage d’Italie probablement pour étudier avec le Padre Martini. C’est à Venise qu’on le retrouve, musicien attitré du Conte Veneri : en 1757, le San Moisè dévoile sa Merope. Jusqu’en 1762 il donnera chaque année un opéra pour le temps du Carnaval, sa réputation prodigieuse – les Vénitiens voient en lui le successeur des grands compositeurs lyriques lagunaires – s’étend jusqu’à Vienne qui en fait son compositeur de ballet favori.
Il partage son temps entre Venise et Vienne avant de s’installer définitivement dans la capitale autrichienne où il s’éteindra le 20 janvier 1774, produisant opéras et oratorios, tous marqués par une verve, un invention qui firent s’extasier Burney et Mozart. Mais ses Symphonies - trente-trois - , totalement tombées dans l’oubli sont aussi remarquables par leurs hardiesses que celles de Joseph Haydn. Gassmann représente dans l’histoire de l’opéra une articulation subtile entre l’opera seria italien et tout un nouveau théâtre du sentiment, de l’intime, qui conduit directement à Mozart. Il fut l’un des maîtres de Salieri.
- See more at: http://concert-classic-liv.sites.ac/article/lopera-seria-de-gassman...
"Aucune baisse de régime ne viendra fléchir l’attention du spectateur, happé par un foisonnement de numéros plus drôles et féroces les uns que les autres et rehaussés par une mise en scène pleine de surprises que nous nous garderons bien d’éventer. Patrick Kinmonth nous a bien eu et a réalisé, avec le concours d’Olivier Lexa, un travail extraordinairement fouillé, impeccablement troussé, fluide, rythmé et souvent décoiffant. La profusion de détails, de tableaux simultanés, l’agitation fébrile des nombreux intervenants met parfois en péril la lisibilité d’une action pas toujours facile à suivre, surtout dans les ensembles, mais en même temps, cet emballement s’inscrit aussi, à sa manière, dans le chaos savamment orchestré par Gassmann. "
http://www.forumopera.com/lopera-seria-bruxelles-feroce-et-desopila...