Meuniers de Ploegsteert rubaniers de Comines
pêcheurs de crevettes lourds brasseurs de houblon
métalos liégeois débardeurs des Ardennes
ketjes bruxellois carolos de quatorze
et les jazzmen de blues joueurs de cornemuse
les suçeurs d'érable nos trois cents congolais
moins que rien au grand coeur les goumiers marocains
les chasseurs soudanais les zouaves à chéchia
dans nos prés de Flandre où Saint Victor fait pousser
les ailes des anges dans leurs gueules cassées
militairement morts encore mis au pas
fleurissent en bouquets de pierres toutes blanches
pions à baïonnettes mais frères dans le sang
alliés par contrainte ennemis allemands
dans de mêmes boyaux mais sous d'autres drapeaux
s'ils se tiraient dessus s'embrassaient à Noël
Mais comment éprouver leurs corps torches volant
leurs poumons exfoliés leur honte du miroir
la gangrène montant à bord de leurs vingt ans
avant que l'hypérite ait viré à l'orange
La guerre qui mina mon père dès quarante
me sort des oreilles tant il me fit bouffer
à chaque plat du jour dans un même verjus
du Schleu du Bougnoule du Jap et du Rital
moi j'aime la choucroute autant que le couscous
les pâtes all'dente les nems et la moambe
l'or du Rhin de Wagner la Tosca de Verdi
et le théâtre Nô et l'esprit d'Avicenne
Aujourd'hui le sarin l'anthrax la dioxine
et tout ce qu'on nous cache en Syrie ou ailleurs
Toujours la même histoire en constantes redites
Ypres Nagazaki racines d'amnésie
S'enfumer la mémoire et retourner vaquer
choisissant avec soin où déposer les yeux
tant qu'il en est certains qui poussent haut nos cris
pareils à des ballons à mourir dans l'espace
Le fou de pouvoir est fossoyeur d'hirondelles
Je ne cultive pas le goût des cimetières
Mais comme grand'père put le faire en dix huit
sans en rien effacer voudrais tourner la page
le 11 avril 2014
Commentaires
Mémoire salutaire.