Magistral, flamboyant et austère à la fois. La Maria Stuarda du compositeur lyrique italien Donizetti est un des plus beaux exemples du Bel Canto, technique préférée dans l'opéra européen jusqu’au milieu du XIXe siècle. Las, il fut censuré par ses contemporains pour des raisons de contenu irrévérencieux pour l’époque. Et il faudra attendre que l’ombre du Wagnérisme s’estompe pour que la renaissance du Donizettisme s’opère (vers les années 1970) et que le public renoue avec cette œuvre lyrique empreinte de romantisme brûlant que La Malibran interpréta en 1835. Depuis lors, c’est l’engouement et du public et des chanteurs pour des partitions défiant la technique vocale.
Dans le rôle de Marie Stuart, Martine Reyners s’arme de splendides légatos, de vocalises divines. A elle, l’amplitude des nuances, les trilles, les roulades, les belles cadences a capella …et des pianissimi de rêve. Ses duos avec Leicester, Talbot et sa nurse sont particulièrement émouvants. Mais Elisa Barbero, qui incarne la Reine Elisabeth I face à sa cousine Marie Stuart, ne doit en rien la jalouser. Les deux soprani prime donne sont complémentaires et explorent à fond les replis passionnels de l’âme féminine. Toutes deux armées de timbres très contrastés pour la première et très riches pour la seconde, réalisent des interprétations dramatiquement impeccables.
Leur virtuosité va de pair avec une grande justesse dans l’expression des sentiments. Le point culminant du drame, c’est le finale de l’acte II, lors de la rencontre des deux reines. Elisa Barbero donne libre court à son hostilité vis-à-vis de sa cousine. Elle chante en aparté « E sempre la stessa, superbaorggliosa, coll’alma fastosa, m’ispira furor ! » avant que les fameuses imprécations injurieuses de Marie Stuart ne scellent sa sentence de mort. La réalité historique, il est vrai, a été un peu adaptée : jamais les deux reines ne se sont affrontées pour remporter le cœur d’un même amoureux, le comte Robert Leicester. Mais la tentation romantique était grande pour Donizetti de suivre de près l’intrigue de la pièce originale de Schiller où la jalousie féminine et les intrigues de cour sont une source inépuisable de drame qui mène souvent à un destin funeste. Le tout est doublé ici d’une intrigue politique sanglante de grand format.
Reine d'Ecosse à l'âge de six jours, en 1542, puis reine de France à dix-sept ans par son mariage avec François II, Marie Stuart est un des personnages les plus romanesques de l'histoire. Veuve du roi François II de France, elle rentre en Ecosse où elle impose la tolérance religieuse entre catholiques et protestants et épouse sur un coup de tête lord Henri Darnley. Par malheur, celui-ci organisa l'assassinat du principal conseillé de la Reine, un italien nommé Riccio qu'il suspectait d'être devenu son amant. C’est le début de complots cruels et de trahisons successives. Déçue par son mariage, elle devient la maîtresse du comte Bothwell. Lorsque ce dernier assassine à son tour Darnley, elle est arrêtée et jetée en prison. Elle s’évade et demande asile à Elisabeth … qui finit par la placer en résidence surveillée pendant 19 ans, craignant pour sa propre couronne. En effet, l’avènement d’Elisabeth I prêtait à contestation auprès des catholiques qui rejetaient une reine issue de l’union illégitime entre Heny VIII et Anne Boleyn. Danger! Marie Stuart, « la reine aux trois couronnes » pouvait revendiquer le trône d'Angleterre. L’action se place donc au moment où Elisabeth, poussée par ses partisans, va faire condamner à mort la prisonnière en sursis. Dans le deuxième acte, Marie prend tout l’espace, son courage devant le supplice la métamorphose en une martyre de l’amour et de la foi catholique...
De la pièce de Schiller il ne reste que 6 personnages et deux actes. Mais quel concentré de génie ! Du début jusqu’à la fin, l’atmosphère est électrique et chargée de maléfices alors que Marie Stuart se pose de plus en plus en ange pur et lumineux. Malgré l’enfermement, elle trouve à se ressourcer dans la nature bienveillante et à s’adresser à Dieu en direct !
Le décor très nu est d’Italo Grassi. Des grilles de geôle à gauche du plateau et le profil anthracite de la Tour de Londres à droite évoquent bien l’étroitesse de l’enfermement tragique de la passion et du pouvoir. La sobriété permet aux éclairages de Daniele Naldi particulièrement bien réussis d’évoquer successivement la salle du trône, la prison, la forêt, le ciel, la lumière divine, la sentence mortelle ou le sanglant échafaud. Cette austérité - mais qu’attendre d’autre dans une prison ? - est aussi largement compensée par de magnifiques mouvements scéniques des chœurs et des parties chorales très ardentes. Le Chef des chœurs est Marcel Seminara. Leur présence très cérémonielle est soulignée par la magnificence de somptueux costumes élisabéthains (de Francesco Esposito). Ce n’est pas l’Italie que l’on voit sur scène mais du Shakespeare qui vibre devant vos yeux, au cœur de l’intensité harmonique de la musique. Le personnage tendre d’Anna (Laura Balidemaj), la nurse et fidèle confidente de Marie, renforce encore cette impression. Marie Stuart s’appellerait presque Juliette !
Les personnages masculins ont peut-être moins d’épaisseur que le trio féminin, mais le ténor Pietro Picone, un Leicester divisé par les deux femmes, est très touchant et fort convaincant dans ses duos avec Marie et magnifique lorsqu’il implore vainement la clémence d’Elisabeth. La scène de confession de Marie avec le prêtre Talbot (Roger Joakim) est un bijou d’intériorité et d’effusion mystique. Quant au grand trésorier, Cecil, il attise la haine d’Elisabeth d’une voix de basse très impressionnante (Yvan Thirion) et annonce la sentence à Marie avec une perversité très évidente. Les parties instrumentales sont menées avec beaucoup de sensibilité par une direction d’orchestre (Aldo Sisillo) équilibrée, théâtrale, attentive aux chanteurs et haute en couleurs, qui rend parfaitement les ambiances psychologiques lugubres ou passionnelles et souligne avec grandeur l’apparat de la puissance royale.
Mais le moment qui reste gravé dans l’oreille est cette espèce de requiem soutenu par les cuivres et la timbale qui incarne les proches de Marie Stuart au début de la scène finale dont la vérité et la chorégraphie sont exceptionnellement poignantes.
Commentaires
The recently-refurbished Opéra Royal de Wallonie dominates the Place de l’Opéra in the Belgian city of Liège, not only with its imposing columned portico but with its new fly-tower which rears above it. Inside, the auditorium has been restored to its former Italianate splendour, and is greatly enhanced by newly-installed stage equipment. This is all good news for Liège’s opera-goers, who, from the evidence of a Sunday matinée performance of Donizetti’s Maria Stuarda, are a discerning, discriminating and smartly-turned-out lot. The theatre is the ideal size (about 1000 seats) for bel canto, and we were rewarded by some excellent singing and a clever, stripped-down staging which had previously appeared in Rome and in Bergamo.
https://bachtrack.com/fr_FR/review-maria-stuarda-liege-may-2014
Même sans (vraie) mise en scène, le bel canto triomphe
Le 21 mai 2014 par Bruno Peeters
Elisabetta, Elisa BARBERO et Maria Stuarda Martine REYNERS (photo Jacky Croisier)