On juge les pièces de Frank Wedekind indésirables à l’époque de l’Allemagne de Bismarck. Et pour cause : elles sont crues, sauvages, sensuelles et vilipendent la morale hypocrite de la bourgeoisie bien-pensante. L’Eveil du Printemps fait scandale en 1891 et est censuré. Cette époque-là apparemment si opposée à la nôtre, est-elle révolue? Pas si sûr. Si le sexe, depuis mai 68, est devenu obsessionnel et formaté, pour mieux le contrôler, l’utiliser et le proposer à la consommation, les peurs sont toujours présentes. Des tabous ont disparu, le vocabulaire a changé, la position sociale de la femme a évolué, mais certainement pas partout. La montée des intégrismes en témoigne. A quoi il faut ajouter la nouvelle crainte, justifiée, du sida.
Mélange de lieux et d’époques: Wendla regarde le film « Le ballon rouge (1956) » à la télé. Sur scène il y a une cabine de téléphone désaffectée, des tonnes de livres croulent devant un lit suspendu, un banc public tagué trône sur le toit, échappées de musique techno, des vieux postes télé, épars. C’est la société des parents aveugles et des maîtres souverains qui porte la responsabilité du drame...Quel drame attend donc notre société mortifère?
Dès la deuxième scène, on plonge dans un monde à part, obscur, lumineux et ludique, celui d’une bande d’adolescents qui déferle à tous les étages du décor vivant avec stupeur l’éclosion de sa sexualité… jusqu’au bord de scène. On pourrait croire que c’est «Rebel with a cause » (1955) ou l’Amérique de James Dean qui déferle. Ou celle de « The Virgin suicides » (1999). L’époque imprécise replonge certes les babyboomers dans leurs premiers émois. Ils avaient aussi des parents engoncés dans leur vertu, muets sur « la chose », hypocrites, inquiets de grossesses non voulues, soupçonneux et accusateurs et à l’extrême, despotiques au possible. Espérons que les enfants des babyboomers, les générations X ou Y, se sentiront peut-être moins concernés par la pièce. Quoique … leur éducation sexuelle a peut-être été aussi malhabile et inquiète. Quant aux générations futures…, les Z, nul ne sait. On ne peut leur souhaiter que le bonheur d’Être : bien dans sa peau et dans son être. Le repli sur soi menace toujours, les intégrismes montent, la jeunesse qui se veut toujours secrète et rebelle désespère parfois. Sur Facebook, les très jeunes déferlent : besoin de rassemblement, de recul vis-à-vis des parents ? Leurs pulsions de vie et de mort restent identiques.
Pulsion de mort : Moritz, un jeune garçon guindé, fasciné par la réussite scolaire et soumis à ses parents se suicide par peur de ne pas être à la hauteur de leur attentes. Le rythme est incessant entre Eros et Thanatos, entre le léger et le tragique. Pulsion de vie : Wendla, 14 ans épanouie et débordante de vie entreprend sa mère sur les questions de la naissance et de la reproduction. Ingénument voluptueuse et richement dotée par la nature, Wendla est sans complexes – une fille de maintenant ? Elle se donne naïvement au fougueux Melchior, symbole de la force vitale du corps. Joue-t-elle un jeu ambigu avec sa mère hors-jeu ? L’innocence et la pureté n’existent pas. Elle désespère néanmoins de se faire expliquer les choses de la vie et succombera à un avortement non annoncé. Scène glaçante où quelqu’un plante une croix au pied de son divan après ses dernières paroles : « Vous m’apporterez des primevères ? ». Prémonition lugubre d’un printemps coupé et volé?
Cette « Kindertragödie » mouvante et débordante est d’une grande richesse théâtrale. La bande de jeunes se cherche et cherche sa place dans le monde. Melchior s’en veut. Il a deux morts sur la conscience. On fait de lui le responsable de la mort de son ami Moritz. Les parents de Melchior s’affrontent. Des morceaux satiriques de la plus belle espèce génèrent le rire. Entre-deux : infusions habile de chorégraphies suggestives et poétiques. Texte iconoclaste, qui par la voix de Melchior tourne en dérision la Vertu et la Compassion, arguant à la manière de Nietzsche ...et de Saint-Paul que la détresse des uns ne doit pas être le faire valoir des autres.
http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=314&type=5
de FRANK WEDEKIND. Adaptation: Jacques Dedecker et Jasmina Douieb Mise en scène: Jasmina Douieb. Avec : Guy Pion(Mr Gabor), Béatrix Ferauge(Me Bergman), Delphine Bibet(Me Gabor), Réhab Benhsaïne(Ilse), Claire Beugnies(Professeur), Julien De Broeyer(Ernst), Agathe Détrieux(Martha), Vincent Doms(Moritz), Alexis Julemont(Melchior), Agnieszka Ladomirska (Théa), Nicolas Legrain (Jeannot), et Sherine Seyad(Wendla)
"L’Eveil du Printemps" DU 04/09/12 AU 20/10/12 au théâtre le Public
Commentaires
Il sera sans doute intéressant de comparer les productions:
Par l'audace de ses thèmes (la censure ne l'épargnera pas) et sa force visionnaire, l'œuvre de Wedekind marque durablement le théâtre moderne.
Peggy Thomas (la nouvelle directrice du Théâtre de la Vie) et son collectif, la Cie Les Orgues transposent cette "tragédie enfantine" dans la salle de sport d'un lycée, avec son attirail d'engins de torture. Des ados abandonnées à leur sort, dans l'attente d'un adulte providentiel qui n'arrive pas...
L'ÉVEIL DU PRINTEMPS
FRANK WEDEKIND / PEGGY THOMAS
CRÉATION
19 > 23 FÈV 2013 au Théâtre Royal de Namur JE 21 FÈV - rencontre avec Peggy Thomas et l'équipe de création Contact Presse : Pascale Palmers +32 (0)81 25 61 63 Billetterie : +32 (0)81 22 60 26
26 FÈV > 09 MARS 2013 au Rideau de Bruxelles ME 27 FÈV - rencontre avec Peggy Thomas et l'équipe de création RIDEAU @ XL THÉÂTRE - rue Goffart 7a | 1050 Bruxelles Billetterie : +32 (0)2 737 16 01
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DOSSIER DE PRESSE ici
AFFICHE ici
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Avec Janie Follet, Simon Gautiez, Julie Leyder, Antoine Plaisant, Philippe Rasse, Quentin Simon, Pierre Verplancken, Lucie Zelger
Mise en scène Peggy Thomas. Assistant à la mise en scène Jean-Marc Amé, Scénographie Emmanuelle Bischoff, Création & Régie lumières Guillaume Fromentin, Création son Grégoire Leymarie, Régie Stanislas Drouart, Habilleuse Carine Duarte
Texte français de François Regnault, disponible aux Éditions Gallimard, 1974 et aux éditions THÉÂTRALES Maison Antoine Vitez 1995.
Coproduction Cie Les Orgues / Rideau de Bruxelles. En partenariat avec Le Théâtre Royal de Namur et l’XL Théâtre du Grand Midi. Avec le soutien du Conseil de l’Aide aux Projets Téatraux de la Fédération Wallonie-Bruxelles (CAPT)